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Indépendance de l’audiovisuel public: mes interventions en séance

3bad19d1e7Je suis intervenue ce mardi lors de la discussion générale sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel public. Je me suis, bien sûr, réjouie de la nouvelle procédure de désignation des présidents de chaîne, par le CSA et non à la discrétion du Président de la République, tout en remarquant que François Hollande avait devancé la réforme législative pour la nomination de Marie-Christine Saragosse à la tête de France Médias Monde (anciennement Audiovisuel Extérieur de la France).

J’ai évoqué l’importance de la diffusion de tels médias en France, également. Il serait, en effet assurément très positif de permettre aussi aux résidents en France de bénéficier de l’éclairage spécifique et de l’expertise internationale de radios comme RFI ou Monte Carlo Doualiya ou encore de la chaîne France 24. J’ai d’ailleurs insisté sur la caractéristique de MCD, radio arabophone, laïque, universaliste, soucieuse de l’égalité entre les hommes et les femmes, qui pourrait être une alternative bienvenue aux autres radios arabophones toutes confessionnelles. De surcroit, à la veille de la campagne pour les élections européennes, comment justifier que d’excellentes émissions qui concourent à la création d’un sentiment d’appartenance européenne soient diffusées partout dans le monde mais ne puissent être écoutées par les citoyens résidant en France!

La ministre, Aurélie Filippetti m’a apporté des précisions notamment quant à la diffusion de France 24 en métropole. Je regrette cependant que la solution envisagée ne permette qu’aux franciliens d’avoir accès à la chaîne. Pour ce qui concerne RFI et Monte Carlo Doualiya, elle m’a assurée vouloir encourager les expériences de diffusion, telle que celle déjà menée à Marseille.

Lire ci-dessous le texte de mon intervention et la réponse de la ministre.

Mme Claudine Lepage. « La désignation des responsables des chaînes publiques de télévision et de radio dépendra d’une autorité indépendante et non plus du chef de l’État et du Gouvernement. » Tels étaient les termes de l’engagement 51 du candidat François Hollande ; il nous appartient aujourd’hui de les traduire dans le droit.

La désignation des responsables de l’audiovisuel public par l’exécutif, mesure emblématique de l’ère Sarkozy, a d’emblée été contestée, sept Français sur dix s’y déclarant opposés. Cette seule considération suffit d’ailleurs à rendre une telle disposition inacceptable. En effet, comment envisager un audiovisuel public apprécié, donc performant, dès lors qu’il existe dans l’opinion un doute sérieux quant à son indépendance à l’égard de l’exécutif ?

Au-delà, c’est l’organisation même de la chaîne de télévision ou de la station de radio qui peut pâtir d’un tel défaut de crédibilité. À cet égard, le psychodrame qu’a connu l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, devenu depuis peu France Médias Monde, est révélateur. Tout le monde s’accorde à le dire, la gestion de l’AEF par Alain de Pouzilhac, nommé à la tête de l’entreprise par son ami Nicolas Sarkozy, a été calamiteuse, notamment parce qu’il ne bénéficiait pas de la confiance d’une grande partie de ses salariés.

Au regard de cette funeste expérience, je me réjouis que la réforme mette fin à la pratique qui avait cours voilà cinquante ans, à l’époque où l’ORTF n’était rien d’autre que la « voix de la France ».

Le texte garantit donc l’impartialité et la transparence de procédures de nomination collégiales. Certes, des esprits chagrins regretteront l’impossibilité pour le Parlement de valider les nominations suite à une récente décision du Conseil constitutionnel.

Mais rappelons-nous que le texte prévoit également une réforme d’envergure du CSA, dont la composition bénéficiera dorénavant d’une garantie d’indépendance, ses membres devant voir leur nomination approuvée par une majorité des trois cinquièmes au Parlement. Une telle exigence de majorité spéciale induira ainsi des nominations transpartisanes ou, du moins, consensuelles.

En tant que sénatrice des Français de l’étranger et rapporteur, ces dernières années, des crédits de l’audiovisuel extérieur, je suis particulièrement sensible à l’anticipation législative qui a été effectuée par le Président de la République pour la nomination de Marie-Christine Saragosse à la tête de l’AEF.

M. Yves Pozzo di Borgo. Une nomination politique…

Mme Claudine Lepage. Pour en finir avec les errements du passé et faire repartir ce formidable outil de rayonnement de la France qu’est l’AEF, François Hollande a ainsi confié au CSA le soin d’en désigner le président. Mme Saragosse reconnaît d’ailleurs elle-même qu’une telle procédure a rendu sa position plus confortable. Sa crédibilité auprès des salariés s’en est trouvée renforcée, lui dégageant une plus grande marge de manœuvre. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour saluer le beau travail qu’elle a déjà accompli.

France Médias Monde a retrouvé une cohérence avec un véritable projet, englobant France 24, Radio France internationale, RFI, et Monte Carlo Doualiya. Il nous appartient d’encourager, de stabiliser et de sécuriser les équipes d’une entreprise en renaissance.

À cet égard, je souhaite évoquer la question de la diffusion de tels médias en France, même si j’ai bien conscience que ce n’est pas l’objet principal du projet de loi.

Certes, notre audiovisuel extérieur est un outil de rayonnement de notre langue, de notre culture et de nos valeurs à l’étranger, et d’information de nos communautés expatriées. Mais, comme l’a évoqué sa présidente, il remplit également une mission que l’on pourrait qualifier de « sociétale », en s’adressant, certes, à des auditeurs ou téléspectateurs, mais également à des citoyens.

Par exemple, selon Jean-Luc Hees, président de Radio France, RFI remplit des missions de service public laissées de côté par les médias nationaux.

Il serait donc certainement positif de permettre à tous les habitants de notre pays, et pas seulement à ceux de l’Île-de-France et, exceptionnellement, de Marseille, en tant que « capitale européenne de la culture », de bénéficier de l’expertise particulière de cette radio sur l’Afrique.

De même, au seuil de la campagne pour les élections européennes, alors même que, chacun en conviendra, l’actualité européenne ne passionne malheureusement pas les médias nationaux, n’est-il pas incongru que les personnes résidant en France ne puissent pas bénéficier, à l’instar des Français partout ailleurs dans le monde, d’émissions telles que Accents d’Europe, qui visent à créer un sentiment européen ?

Et que dire de l’incompréhension des parlementaires européens, qui s’étonnent de ne pas pouvoir écouter leurs propres interviews depuis Strasbourg, où ils siègent ?

Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’ouvrir la diffusion de RFI à plusieurs villes de France, notamment Strasbourg ?

Dans le même esprit, envisagez-vous une diffusion pérenne de Monte Carlo Doualiya en France, alors même que l’expérience menée conjointement avec RFI à Marseille doit prendre fin le 31 janvier prochain ?

Cette radio arabophone, créée par la France voilà plus de quarante ans, laïque, universaliste, soucieuse de l’égalité entre les hommes et les femmes offrirait pourtant une solution de remplacement bienvenue aux radios de langue arabe, toutes confessionnelles, qui sont présentes sur notre territoire.

Enfin, madame la ministre, vous aviez évoqué un possible octroi d’une fenêtre sur la télévision numérique terrestre, la TNT, pour France 24. Où en est la réflexion ?

Il me semble d’ailleurs que l’option d’une fenêtre sur France 3 Île-de-France mérite d’être envisagée avec prudence : France 24 n’a pas vocation à être la chaîne d’information de l’intelligentsia parisienne. (Exclamations amusées.) La chaîne doit pouvoir apporter un éclairage différent sur l’actualité à l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

[…]

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier collectivement de votre apport au débat et saluer le travail mené depuis de longues semaines sur le sujet par M. le rapporteur David Assouline.

Comme Jean-Pierre Plancade l’a souligné, le texte a été mû par une volonté d’apaisement et de modernisation de nos institutions. Nos objectifs sont un renforcement de l’indépendance, un élargissement de la démocratie et une plus grande association du Parlement au mode de désignation des membres du CSA.

Il s’agit d’une avancée majeure. Elle s’inscrit dans le cadre d’une rupture assumée et voulue avec le texte précédent, dont je remarque d’ailleurs que personne ici ne souhaite le rétablissement.

Vous avez également été nombreux à souligner la nécessité de poursuivre la modernisation en procédant à des évolutions et des adaptations sur des sujets techniques de régulation du secteur de l’audiovisuel. Ces questions seront abordées lors du deuxième temps législatif, dont je vous ai parlé.

Au cours de l’année écoulée, qui n’a pas été vaine, nous avons étudié, avec mes collègues Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, la possibilité de rapprocher l’ARCEP et le CSA. Toutefois, au regard des spécificités du spectre hertzien – ce dernier est mis gratuitement à la disposition des chaînes de télévision, en échange d’obligations, alors que son utilisation est payante pour les opérateurs télécoms –, nous avons jugé qu’il n’était pas opportun d’opérer une telle fusion. Le travail entre les deux institutions sera toutefois plus simple et plus régulier dès lors qu’elles comprendront chacune sept membres.

Monsieur Gattolin, je suis évidemment extrêmement sensible à vos propos sur les missions du service public de l’audiovisuel. J’ai d’ailleurs veillé à ce que, dans l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens, et malgré la contrainte budgétaire pesant sur le service public, ces grandes missions soient préservées, en particulier le soutien à la création – 20 % pour la création audiovisuelle, 3,5 % pour le cinéma –, mais aussi les programmes destinés à la jeunesse, l’information de qualité, l’exposition des outre-mer ou encore l’accessibilité.

Vous avez aussi évoqué, de même que Claudine Lepage, la question de l’exposition de France 24 dans l’hexagone. Nous avons évidemment besoin de préserver la mission fondamentale de France 24, qui consiste à diffuser à l’extérieur de nos frontières. Toutefois, dans le souci de mieux faire connaître aux Français cette chaîne, qu’ils financent à travers la redevance, j’ai souhaité que France 24 puisse disposer d’heures d’exposition en métropole, en l’occurrence sur un canal précédemment attribué à France Ô en Île-de-France.

En ce qui concerne RFI et Monte Carlo Doualiya, chère Claudine Lepage, je souhaite encourager des expériences du type de celles qui ont été menées dans le Sud, particulièrement à Marseille. Elles seront examinées de manière pragmatique, au cas par cas, en tenant compte des équilibres économiques. Mais sachez que la promotion de la laïcité opérée par ces radios est très importante pour nous.

Monsieur Leleux, vous avez salué l’indépendance de la nouvelle procédure qui a été instaurée. Je vous remercie d’avoir noté le geste d’ouverture consistant à associer l’opposition au choix des futurs membres du CSA, pour renforcer son indépendance. Il est regrettable que vous n’ayez pas fait montre de la même objectivité en critiquant, de manière totalement inappropriée, de prétendues destitutions dans les établissements théâtraux nationaux.

Je n’ai procédé à aucune destitution d’un responsable d’établissement culturel avant le terme de son mandat, monsieur le sénateur. Mais peut-être les mauvais réflexes des années passées ressurgissent-ils encore de temps en temps…

J’ai prévenu, un an avant l’échéance de leur mandat, les personnes en question qu’elles ne seraient pas reconduites, de sorte qu’elles aient le temps d’organiser leur départ. Cela n’a rien à voir avec un limogeage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Et nous avons mis en place des procédures de sélection transparentes, auxquelles nous associons bien entendu les élus : les candidats sont auditionnés sur leur projet par des commissions, qui établissent ensuite un classement. Nous avons procédé ainsi dans toutes les grandes villes de France, de Lille à Bordeaux – chez Alain Juppé ! –, et, à chaque fois, cela s’est extrêmement bien passé. Je suis très fière d’avoir ainsi instauré des principes transparents, respectueux des personnes, pour le plus grand bénéfice de tous.

Cela permet aussi, chère Françoise Cartron, de renforcer la place des femmes à la tête des établissements culturels et audiovisuels. Les nouvelles procédures ont manifestement permis de lever certains blocages, puisque la proportion des femmes candidates à nos établissements culturels est passée de moins de 15 % à plus de 50 %. (Mmes Françoise Cartron, Claudine Lepage et Gisèle Printz applaudissent.)

Madame Morin-Desailly, tous les parlementaires ont été conviés aux Assises de l’audiovisuel.

Mme Catherine Morin-Desailly. Non !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Pour répondre à votre question, le Gouvernement a décidé que les arbitrages sur le calendrier d’ouverture à la téléphonie mobile de la bande 700 ne seraient pas rendus sans une concertation préalable avec les parlementaires.

Nous avons introduit dans le projet de loi la création d’une commission chargée de suivre la modernisation de la gestion du spectre hertzien dédié à l’audiovisuel, qui permettra aussi de passer de la HD à l’ultra HD.

Sans même attendre le vote de la loi, les parlementaires, dont vous faites partie, madame la sénatrice, sont invités dès jeudi à Matignon, où un groupe de travail relatif à la concertation sur la bande 700 sera réuni.

L’arbitrage sur le calendrier d’ouverture sera rendu à la fin du mois d’octobre, après la consultation. Nous veillerons à ce qu’il permette de mettre en place les nouvelles normes de compression et de diffusion et de faire passer l’ensemble des chaînes en HD dans les années à venir, tout en offrant l’espace hertzien nécessaire à la téléphonie mobile.

Vous avez également évoqué les deux euros de redevance supplémentaires que j’ai fait voter l’année dernière. Sachez qu’ils ont été intégralement reversés à France Télévisions.

Cela me permet de revenir sur la réforme de la redevance, que plusieurs d’entre vous ont évoquée.

La redevance est la source de financement qui garantit le mieux l’indépendance du service public, qui est aussi la plus moderne, la plus pérenne et la plus juste socialement, puisqu’elle comporte un certain nombre d’exonérations.

Elle doit toutefois être modernisée, et nous continuerons de travailler sur l’évolution de son assiette pour lui permettre de s’adapter aux évolutions technologiques.

Ces évolutions s’accomplissent de façon concertée, après des consultations. C’est la méthode du Gouvernement, et c’est aussi la mienne, celle que j’ai retenue pour cette réforme. Une telle démarche, qui est respectueuse des institutions, ne souffre pas l’improvisation. Elle laisse place au débat, en particulier avec les parlementaires.

Là encore, les critiques que vous avez émises à propos d’attaques que j’aurais proférées à l’encontre de programmes du service public ou de la télévision sont nulles et non avenues. Je n’ai jamais contesté tel ou tel programme ; j’ai simplement rappelé les grandes missions du service public de l’audiovisuel. Il revient au Gouvernement, notamment au ministre de la culture, de préciser la nature de ces grandes missions, en particulier au moment où l’on négocie un avenant à un contrat d’objectifs et de moyens.

Vous avez évoqué la nomination du président du CSA par le chef de l’État. Je vous rappelle que le Président de la République s’est départi de sa possibilité de nommer deux membres du CSA, se privant lui-même d’un pouvoir.

Vous feignez aujourd’hui d’ignorer l’aspect collégial des décisions du CSA. La voix du son président ne s’impose pas ; elle ne l’emporte pas sur la collégialité du CSA. La collégialité des décisions prises par le CSA constitue une garantie de l’indépendance de l’audiovisuel public.

MM. Jacques Chiron et Jacques-Bernard Magner. Très bien !

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Monsieur Laurent, vous avez souligné, et je vous en remercie, l’importance de l’encadrement des nouvelles dispositions prévues dans le texte. Vous avez également salué le travail du rapporteur, qui a permis l’enrichissement des pouvoirs nouvellement confiés au CSA. Je suis également très sensible à ces aspects.

Par ailleurs, vous avez mentionné les nouveaux acteurs de l’Internet, comme Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on appelle les GAFA. Je partage votre avis : ces groupes doivent absolument participer au financement de la création. C’était l’un des objets de la mission confiée à M. Pierre Lescure. Nous allons désormais travailler pour que ces acteurs participent au financement de la création. Il y a aujourd’hui urgence dans ce domaine, s’agissant de la création tant audiovisuelle que cinématographique et du monde du livre. Tous les secteurs sont concernés.

Néanmoins, le présent texte porte principalement sur l’indépendance de l’audiovisuel public.

Votre question sur la concentration, qui est pertinente, sera évoquée de manière approfondie lors de l’examen du deuxième texte législatif sur l’audiovisuel. De même, les rapports entre diffuseurs et producteurs font l’objet d’une mission, confiée à Laurent Vallée, visant à renforcer les équilibres entre les investissements, mais aussi la circulation des œuvres. Les conclusions en seront rendues publiques à la fin du mois de novembre. Laissons donc cette mission aller à son terme, afin d’enrichir le texte de la deuxième loi sur l’audiovisuel.

En outre, l’ambition de l’audiovisuel public passe par la réalisation des grandes missions de service public auxquelles j’ai déjà fait allusion. C’est dans cet esprit que j’ai négocié un avenant au contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions.

Un tel contrat pour France Médias Monde sera prochainement conclu suite à la négociation que j’ai menée avec Marie-Christine Saragosse. Ce contrat d’objectifs et de moyens était attendu depuis plusieurs années. Alors qu’il n’avait pas pu être conclu sous la direction d’Alain de Pouzilhac, son aboutissement proche permettra de réaffirmer notre grande ambition pour le service public de l’audiovisuel. Il s’agit là de grandes et belles avancées.

Dans ce même esprit, la défense du service public de l’audiovisuel, vous serez fortement associés à la réflexion qui se poursuivra après ce texte, dans le cadre de la deuxième loi sur l’audiovisuel. Celle-ci portera sur la régulation de l’audiovisuel public à l’ère du numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?… La discussion générale commune est close.

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