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Choisir ses immigrés ?

pw(c) Les débats de l’Obs – Le spécialiste des politiques d’immigration publie «Liberté, égalité, discriminations» et juge dangereuse et irréaliste la politique de Sarkozy par Patrick Weil

Le Nouvel Observateur. – Comment jugez-vous la politique d’immigration de Sarkozy ? Patrick Weil. – Puisque le président de la République veut évaluer ses ministres, disons qu’il nous donne l’occasion de l’évaluer car il a été responsable de cette politique de façon quasi continue depuis six ans. Ce qu’on remarque d’abord, c’est une tendance à instrumentaliser politiquement l’immigration. Dans une première phase, en tant que ministre de l’Intérieur, de 2002 à 2004, il cherche à séduire la gauche. Il fait voter une première loi en 2003 qui contient certes des mesures restrictives injustifiées, mais aussi d’autres mesures qui auraient pu être reprises par un gouvernement de gauche si Jospin avait été président de la République : il réforme la procédure d’asile, rétablit le certificat d’hébergement, protège mieux de la double peine. A partir de la convention UMP de juin 2005, la politique d’immigration devient clairement un instrument de séduction de l’extrême-droite. Sarkozy y manifeste le désir de créer des quotas pour limiter l’immigration de famille et aussi pour sélectionner les immigrés par origines géographiques (c’est-à-dire ethniques) . Deux dispositions qui sont contraires non seulement au préambule de la Constitution française, mais aussi à certaines conventions internationales qui engagent la France, comme la Convention des Droits de l’Homme. Il vient donc de confier à Pierre Mazeaud une mission de réforme de la Constitution en ce sens, après que la loi Hortefeux de 2007 eut restreint au maximum du cadre actuel de la Constitution les flux des familles, particulièrement ceux des conjoints de Français.

D’autres dimensions de sa personnalité sont apparues durant ces années où il a dirigé la politique d’immigration : l’impatience et le goût du pouvoir discrétionnaire. La loi de 2003 a mis du temps à être adoptée puis à produire des résultats, ce qui est normal; parce que, après une loi, il y a des décrets d’application, et après les décrets d’application il faut le temps de la mise en place. La gestion juridique de l’Etat, ça ne se fait pas par un coup de baguette magique. Les premiers résultats de la loi de 2003 ne sont donc apparus que dans les chiffres de 2005, et surtout en 2006 : on a constaté par exemple une réelle baisse de la demande d’asile, etc. Trop tard pour M. Sarkozy, il fallait qu’il se soit déjà lancé dans l’élaboration de deux ou trois lois successives qui accentuent inutilement la complexité des procédures et le pouvoir discrétionnaire des bureaux. Et maintenant, quelque chose de très grave se prépare, là, en ce moment : permettre à la Constitution de porter atteinte au principe d’égalité, inscrit dans la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen», c’est créer une hiérarchie de fait entre, par exemple, les Américains du Sud, les Asiatiques et les Africains. C’est une rupture régressive, un retour vers le passé, vers une politique que les Américains ont pratiquée entre deux guerres, mais qu’ils ont dû abandonner en 1965 pour des raisons éthiques et diplomatiques. Si nous l’adoptions, la France, patrie des droits de l’homme, serait au ban des nations civilisées.

N. O. – Mais la France ne peut-elle choisir ses immigrés en fonction de son intérêt économique ? P. Weil. – L’Etat français a le droit de choisir les travailleurs qu’il admet au séjour, mais il ne peut le faire en excluant des candidatures sur des bases ethniques. Il n’a pas le droit – et c’est heureux – d’empêcher les Français de choisir des conjoints étrangers et de vivre avec eux en France, ou de limiter par quotas le droit à la vie familiale normale. Toute une campagne se développe sur la faillite du modèle français d’intégration, mais les études comparatives internationales montrent que, du point de vue de l’intégration culturelle, la France a de meilleurs résultats que tous les autres pays d’immigration, y compris les Etats-Unis. Elle est en revanche beaucoup moins bonne en matière d’intégration économique et sociale, sur le marché du travail ou du logement. Chez les Britanniques, c’est l’inverse : ils ont mieux lutté contre les discriminations, mais ils ont été défaillants à créer un sentiment d’appartenance à la même communauté nationale. A diplôme de master égal, des Français trouvent quatre fois moins de travail dans une entreprise s’ils sont d’origine algérienne. Mais à la question «Avez-vous des amis qui sont musulmans ?», la réponse est en France «oui» à 69%, en Grande-Bretagne à 38%. A celle «Auriez-vous une objection à ce que votre enfant épouse un(e) musulman(e) ?» : «oui» à 19% en France, et à 36% en Grande-Bretagne. A la question «Vous considérez-vous d’abord comme un citoyen de votre pays ou un musulman ?» : en France 42% se considèrent d’abord comme français, alors que 7% seulement font la même réponse en Grande-Bretagne. La valeur d’égalité transmise par nos écoles est au coeur de cette identification à la nation et à la République. Il faut donc réduire les discriminations sans employer des méthodes, des discours, des actes qui mettraient en cause ce qui marche dans le modèle français, grâce au principe d’égalité et à la laïcité : le sentiment d’appartenance commune. Il faut prendre garde à ne pas tout efhniciser non plus, à ne pas voir de la discrimination ethnique partout. Si l’on observe par exemple l’accès à l’enseignement supérieur sélectif, on s’aperçoit que ce n’est pas tellement la couleur de peau ou la différence culturelle qui est le facteur principal, mais plutôt la zone géographique de scolarisation ou la classe sociale.

N. O. – N’y a-t-il pas contradiction entre la politique de Brice Hortefeux et les conclusions du rapport Attali, qui propose un appel à l’immigration ? P. Weil. – La commission Attali critique à juste titre la lourdeur des procédures de recrutement des travailleurs étrangers qualifiés et suggère qu’il aurait mieux valu ouvrir, comme nos voisins l’ont déjà fait, l’immigration aux Européens, parce que de toute façon on devra le faire en 2011 . A cette date, les Roumains ou les Polonais auront le droit de venir travailler en France. Alors autant s’y préparer intelligemment, plutôt que de définir 152 métiers accessibles – procédure complexe et illisible -, tandis que la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Finlande ou la Suède ont décidé de s’ouvrir aux nouveaux Européens sans restriction. Position soutenue par tous les syndicats français et à laquelle le gouvernement s’est opposé. Sarkozy a aussi fixé des objectifs irréalisables : 50% d’immigration économique, pas un seul pays au monde n’atteint ce chiffre. Outre les arrivées de réfugiés et de membres des familles, les travailleurs qualifiés que nous voulons attirer ne viennent pas sans leur famille ! Enfin, l’autre objectif fixé à M. Hortefeux – 25 000 reconduites d’illégaux – est aussi inhumain qu’absurde. Pour atteindre le chiffre, on s’attaque aux petits poissons plutôt qu’aux gros. Les policiers affectés à la lutte contre la délinquance le sont dorénavant à la traque des étrangers les moins dangereux : la hausse du total des reconduites cache une baisse de 25% – en deux ans – des reconduites des étrangers les plus dangereux, ceux qui sortent de prison et qui repartent plus qu’avant dans la nature !

N. O. – Vous avez démissionné du conseil scientifique de la Cité de l’Immigration (de la Porte-Borée) pour protester contre la création d’un ministère de l’Identité nationale. Pourquoi ? P. Weil. – Quand, à quelques-uns, nous avons démissionné des instances de cette Cité, nous pensions que le rapprochement immigration-identité nationale – fait au début du siècle par l’Action française et plus récemment par le Club de l’Horloge – était un message codé qui signifiait : il y a des étrangers «assimilables» et d’autres qui ne le sont pas. Nous n’imaginions pas à quel point la suite nous donnerait raison : la loi qui vise à freiner les conjoints de Français à rejoindre leurs époux, les tests ADN, les déclarations de Dakar et celles non démenties sur l’inintégrabilité des musulmans, ce changement de notre Constitution annoncé pour établir des quotas par origines géographiques. Enfin, le malaise des pouvoirs publics lors de l’ouverture de cette Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration, qui touche à l’histoire de 25% de la population française et délivre le message inverse du ministère Hortefeux. Faute d’inauguration officielle, c’est le public nombreux qui s’est approprié cette Cité et – depuis son ouverture – l’inaugure tous les jours lui-même.

Patrick Weil Directeur de recherche au CNRS (université de Paris-Panthéon-Sorbonne), Patrick Weil est l’auteur de nombreux ouvrages, dont «la France et ses étrangers» (Calmann-Lévy) et «Qu’est-ce qu’un Français ?» (Grasset). Il vient de publier «Liberté, égalité, discriminations. L’«identité nationale» au regard de l’histoire» chez Grasset.

Gilles Anquetil, François Armanet

Le Nouvel Observateur

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