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Affaire Lambert : « la Cour européenne des droits de l’homme doit statuer au plus vite »

Vue du bâtiment de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à Strasbourg.J’ai signé cette tribune publiée dans le journal Le Monde, demandant à la cour européenne des droits de l’homme de statuer au plus vite sur l’affaire Lambert afin de respecter le droit à la dignité de Vincent Lambert. Victime d’un accident de la route en 2008, Vincent Lambert, dont les lésions cérébrales sont irréversibles, se trouve aujourd’hui dans un coma dit « pauci-relationnel ». Cette tribune est signée par des proches de Vincent Lambert, des femmes et des hommes politiques ainsi que des acteurs de la société civile.

Le Conseil d’État a estimé dans son arrêt du 24 juin 2014 que la procédure collégiale ayant abouti à la décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles de Vincent Lambert était allée bien au-delà de ce que demande la loi (6 médecins y ont été associés, ainsi que son épouse, ses parents et ses huit frères et soeurs) et qu’elle avait été menée en toute impartialité par le docteur Éric Kariger. Ce dernier s’appuyait également sur le bilan effectué en juillet 2011 au Coma Science Group de Liège, organisme de référence en Europe pour les patients en état végétatif.

Le Conseil d’État approuvait donc cette décision, en se fondant d’une part sur les conclusions d’une nouvelle expertise médicale (réalisée par trois spécialistes en neuroscience reconnus internationalement) décrivant l’état de santé de Vincent Lambert, caractérisé par la nature irréversible des lésions cérébrales dont il est atteint, l’absence de progrès depuis l’accident et la consolidation du pronostic fonctionnel, et d’autre part, sur la certitude que Vincent Lambert ne voulait pas avant son accident vivre dans de telles conditions.

Quatre heures après cette décision, la CEDH, saisie la veille d’une demande de mesure provisoire par les parents, une soeur et un demi-frère de Vincent Lambert, demandait à la France de suspendre cette décision le temps de traiter l’affaire au fond, tout en précisant bien que l’affaire serait traitée en priorité.

Elle n’indiquait toutefois pas dans quel délai. C’était il y a deux mois. L’urgence est pourtant caractérisée, car il s’agit ici d’une mise en balance inédite du droit à la vie d’un être humain, et de son droit à la dignité. Mise en balance ayant abouti à une décision médicale qui a été pesée et contrôlée comme jamais aucune autre ne l’a été en France. Il s’agit donc maintenant de défendre ce droit à la dignité de Vincent Lambert.

Le Conseil de l’Europe, qui représente 47 États et 800 millions de personnes et dont la CEDH est l’organe juridictionnelle, s’exprime régulièrement sur la fin de vie et sur l’acharnement thérapeutique. La CEDH de son côté saisit toutes les occasions qu’elle peut pour que l’acharnement thérapeutique soit un enjeu pour les pays signataires de la Convention, sans pour autant avoir eu un jour l’opportunité de statuer concrètement sur ce sujet (elle n’a eu que des demandes émanant de personnes conscientes réclamant le droit de mourir par euthanasie ou suicide assisté).

Il est donc clair que cette affaire soulève une question importante relevant de l’intérêt général dépassant la personne et les intérêts de Vincent Lambert, et que la Cour saisira l’opportunité qui lui est offerte pour statuer au fond. Alors même que la recevabilité des requérants est loin d’être acquise (95% des requêtes déposées devant la Cour sont rejetées, à très bref délai). Et alors même que toutes les règles, contraignantes ou non, que ces deux instances émettent, dans la convention européenne des droits de l’homme et de la biomédecine, ainsi que dans des recommandations, des guides et des arrêts, ont été suivies (et même au-delà) lors de la procédure concernant Vincent Lambert. Rien ne peut donc nous amener à penser que cette procédure contredira notre plus haute instance juridictionnelle. Mais sa durée nous inquiète.

Les mesures provisoires sont en général destinées à empêcher une extradition vers un pays dans lequel une personne pourrait subir une condamnation à mort ou des tortures. On ne peut donc extrader avant l’issue du procès. C’est une mesure humaine, protectrice de la victime potentielle des atteintes en question. La durée de la procédure passe dans ce cas au second plan.

S’il est de tradition d’accéder aux demandes de la Cour pour ce qui est des mesures provisoires, aucun pays signataire de la Convention n’a expressément admis leur caractère contraignant. Seule la Cour leur a donné elle-même force obligatoire en 2005. Mais elle ne peut pas se contenter de combler les silences de la Convention quant à son application. Elle doit, pour être légitime et s’imposer progressivement (elle a été créée en 1953), le faire en partenariat avec les États signataires. Désobéir à une demande de mesure provisoire ne serait évidemment pas un bon signal, mais ce ne serait pas non plus bafouer le 2 droit au sens strict. Car il s’agit ici de prendre ses responsabilités. Chaque jour qui passe est une violation des droits de Vincent Lambert aux termes des articles 3 (traitements dégradants) et 8 (dignité, droit à l’auto-détermination) de la Convention, que la France s’est expressément engagée à respecter et surtout à faire respecter.

Si leur requête est recevable, les requérants auront trois mois pour saisir la Grande Chambre de la Cour à l’issue du procès. Cela aboutirait à un nouveau procès, plus lourd encore à mettre en place. Et donc plus long.
Nous sommes des proches de Vincent, et des personnalités publiques de tous bords, aux opinions diverses sur beaucoup de questions, notamment sur celle de la fin de vie, et nous soutenons le CHU de Reims dans sa décision d’arrêt de traitements, que ce soit pour faire respecter la personne qu’était Vincent et/ou la décision du Conseil d’État. Cette affaire dure depuis mai 2013. C’est trop long, pour tout le monde. Il est inconcevable qu’elle puisse durer jusqu’en 2015. Une bonne administration de la justice, que tout le monde souhaite, devrait permettre de statuer de façon définitive avant la nouvelle année.

C’est pourquoi nous demandons à l’État français d’user des outils à sa disposition pour que cette affaire ne traîne pas encore plus en longueur.

La France doit donner un ultimatum à la CEDH, et s’il n’est pas respecté, elle devra autoriser l’équipe médicale du CHU de Reims à arrêter les traitements de Vincent Lambert, dans le respect de sa dignité, du droit interne et du droit international.

Signataires de l’appel :

François Lambert, neveu de Vincent Lambert ; Marie-Geneviève Lambert, demi-sœur de Vincent Lambert ; Marie Lambert, sœur de Vincent Lambert

Véronique Massoneau, députée EELV de la Vienne ; Alain Tourret, député PRG du Calvados ; Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen ; Pascal Canfin, ancien ministre délégué au développement ; Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé ; Christian Hutin, député MRC du Nord, vice-président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale ; Muguette Dini, sénatrice UDI du Rhône ; Julien Bayou, porte-parole EELV, conseiller régional Île-de-France  ; Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement, présidente de CAP 21, avocate ; Jacques Valax, député PS du Tarn ; Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne du Calvados ; Bernard Roman, député PS du Nord ; Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne ; Gérard Bapt, médecin-cardiologue, député PS de Haute-Garonne, membre titulaire de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Jacques Chiron, sénateur PS de l’Isère ; Jean-Pierre Michel, sénateur PS de la Haute-Saône, 1er Vice-président de la commission des lois, membre suppléant de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Stéphane Saint-André, député PRG du Pas de Calais ; Alain Néri, sénateur PS du Puy de Dôme ; Noël Mamère, député EELV de la Gironde ; Barbara Pompili, députée EELV de la Somme et co-présidente du groupe écologiste ; Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice PS de Paris ; Sandrine Rousseau, vice présidente du conseil régional Nord-Pas-de-Calais, porte parole d’EELV ; Dominique Gillot, sénatrice PS du Val d’Oise ; Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche ; Bernadette Laclais, députée PS de la Savoie ; Nathalie Chabanne, députée PS des Pyrénées-Atlantiques ; Hervé Pellois, député DG du Morbihan ; Daniel Raoul, sénateur PS du Maine-et-Loire ; Bernard Lesterlin, député PS de l’Allier ; Marie-Line Reynaud, députée PS de la Charente ; Danielle Auroi, députée EELV du Puy de dôme, présidente de la commission des Affaires européennes, membre titulaire de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Jean-Louis Touraine, député PS du Rhône ; Catherine Tasca, sénatrice PS des Yvelines, ancienne ministre de la culture ; Karine Claireaux, sénatrice PS de Saint-Pierre et Miquelon ; Jean-Luc Mélenchon, député européen, ancien ministre délégué à l’enseignement professionnel ; Marie-Odile Bouillé, sage-femme, députée de la Loire-Atlantique ; Arnaud Leroy, député PS de la cinquième circonscription des Français établis hors de France ; Odile Saugues, députée PS du Puy de dôme ; Anne Hidalgo, maire PS de Paris ; Jean-Noël Carpentier, député MUP (Mouvement progressiste) du Val-d’Oise ; René Rouquet, député PS du Val-de-Marne, président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et vice-Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Viviane Le Dissez, députée PS des Côtes d’Armor ; Guy Fischer, Sénateur PCF du Rhône ; Bérengère Poletti, sage-femme, députée UMP des Ardennes ; Chantal Guittet, députée PS du Finistère ; Catherine Troallic, députée PS de Seine-Maritime ; Yves Détraigne, sénateur UDI de la Marne ; Denis Baupin, député EELV de Paris, vice-président de l’assemblée nationale ; Jean-Yves Leconte, sénateur PS représentant les français établis hors de France ; Annie David, sénatrice PCF de l‘Isère, présidente de la commission des affaires sociales ; Geneviève Gaillard, députée PS des Deux-Sèvres ; Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche ; Michel Rocard, ancien premier ministre ; Jean Lassalle, député UDI des Pyrénées-Atlantiques ; Bernadette Bourzai, sénatrice PS de la Corrèze, membre suppléante de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Hervé Féron, député PS de Meurthe et Moselle ; François De Rugy, député EELV de la Loire-Atlantique ; Gilles Savary, député PS de Gironde ; Joël Giraud, député PRG des Hautes-Alpes ; Philippe Cordery, député PS des Français du Benelux ; Marie-Christine Blandin, sénatrice EELV du Nord; Claudine Lepage, sénatrice PS des Français établis hors de France ; François Loncle, député PS de l’Eure, vice-président de la délégation française de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Dr Claude Grange, chef de service U.S.P/E.V.C/M.A.S, hôpital de Houdan ; Dr Michel Cymes, chirurgien spécialisé dans l’ORL, animateur de l’émission Le magazine de la Santé ; Professeur François Blanchard, président de l’Association francophone des Droits de l’Homme Âgé ; Dr Bernard Devalois, médecin en soins palliatifs à Pontoise, ancien président de la SFAPS ; Dr Jan Bernheim, médecin oncologue, co-fondateur des soins palliatifs en Belgique et du groupe européen de recherches sur la qualité de la vie, professeur, membre du Groupe de Recherche sur les Soins en Fin de la Vie de la Vrije Universiteit, Bruxelles et du Coma Science Group, Université de Liège ; Dr Bernard Senet, médecin généraliste, ancien médecin en soins palliatif.

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