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Loi de Finances pour 2015 – examen en commission de mon rapport pour avis sur les crédits de l’audiovisuel extérieur

FMMJ’ai présenté en commission de la Culture, de l’Education et de la Communication mon rapport budgétaire sur les crédits du programme Audiovisuel extérieur. Vous pouvez lire mon intervention ci-dessous et consulter ici l’ensemble des échanges.
Le rapport sera en ligne quelques heures avant l’examen des crédits en séance, le 4 décembre

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis des crédits du programme « Audiovisuel extérieur ». – Comme vient de nous le rappeler notre collègue Jean-Pierre Leleux, cette année est marquée par une accélération de la convergence numérique qui touche tous les médias, transforme le paysage audiovisuel en favorisant l’émergence de nouveaux acteurs et rend indispensable l’élaboration de nouveaux services innovants.

L’audiovisuel extérieur n’échappe pas à ce phénomène puisque le numérique, par nature, se joue des frontières. Il est d’autant plus concerné par ces changements que l’actualité est redevenue brulante sur un certain nombre de fronts : en Ukraine, en Syrie et en Irak, au Mali. Dans ces conditions, tous les acteurs ont bien compris que l’information était devenue un instrument d’influence. La Russie vient ainsi de lancer un nouveau service multimédia international dénommé « Sputnik » qui intègre un nouveau site Internet et la nouvelle agence de presse « Russie d’aujourd’hui » qui comprend la radio « Voix de Russie » et un service en langues étrangères. Ce nouveau service diffusera ses informations sur Internet mais aussi à la radio dans une trentaine de pays – dont la France – afin de donner je cite « une interprétation alternative » des événements du monde.

Nous ne pouvons évoquer cette explosion du numérique dans les médias, sans mentionner, bien sûr, la douloureuse et toute récente actualité, et l’impact certain qu’elle a eu sur les dizaines voire les centaines de jeunes partis pour l’Irak et la Syrie qui ont tous muri leur projet au contact de médias étrangers – souvent arabophones ou anglophones – qui ont investi Internet et les chaînes d’information en continu.

Le temps n’est plus, où l’audiovisuel extérieur pouvait être considéré simplement comme un outil du développement de la francophonie. Plus que jamais, notre audiovisuel extérieur constitue un instrument d’influence au service aussi de la défense de nos valeurs. C’est le cas lorsque les Russes regardent France 24 en anglais pour s’informer sur la guerre de Crimée et d’Ukraine (avec des taux d’audience supérieurs à ceux de BBC – British Broadcasting Corporation – et CNN – Cable News Network). C’est aussi le cas lorsque Monte Carlo Doualiya (CMD), chaîne publique de radio arabophone diffuse à Marseille et propose une alternative aux médias étrangers dont la conception d’une information vérifiée, pluraliste et indépendante diffère de la nôtre.

Ces enjeux, effectivement particulièrement sensibles cette année, appellent une attention nourrie quant à la mission plus que jamais essentielle de l’audiovisuel public extérieur. Il me semble que dans le contexte difficile que nous connaissons, l’essentiel a été préservé et un certain nombre de clarifications bienvenues ont été opérées.

La première clarification concerne le financement de l’audiovisuel extérieur au travers de la seule contribution à l’audiovisuel public. Dans la perspective de la suppression de l’ensemble des dotations budgétaires à l’audiovisuel public à l’horizon 2017 une première étape importante a été atteinte cette année avec la suppression du programme 115 « Action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Le compte de concours financiers s’enrichit ainsi d’un nouveau programme 847 « TV5 Monde » doté de 77,8 millions d’euros TTC (soit 76,2 millions d’euros HT), un montant stable par rapport à 2014. Il voit ensuite croître les crédits du programme 844 « France Médias Monde » qui passent de 169,9 millions d’euros en 2014 à 247 millions d’euros en 2015 (242 millions d’euros HT) du fait du transfert de crédits du programme 115. À périmètre constant, la dotation augmente de 0,9 %.

Dans le contexte budgétaire extrêmement contraint que nous connaissons, je tiens à saluer particulièrement la stabilité de ces crédits. Cependant, l’annulation de crédits de France Médias Monde à hauteur de quelques 612 000 euros en juillet dernier dans le collectif budgétaire m’enjoint à la plus grande prudence et les menaces n’ont pas disparu en cette fin d’année. Nous demeurons donc vigilants.

Pour autant, on ne peut que se féliciter que le financement des deux groupes publics repose dorénavant entièrement sur la contribution à l’audiovisuel public – CAP. Cela constitue un progrès en termes de stabilité de la ressource comme d’indépendance du financement. Mais cette louable situation d’un financement complet de l’audiovisuel extérieur par le contribuable met d’autant plus en exergue l’incongruité et même l’injustice d’un accès aussi limité à cette source d’information pour le contribuable en France. Je vous ferai quelques propositions pour combler cette lacune.

J’en viens maintenant aux détails de la situation des deux opérateurs.

Concernant France Médias Monde tout d’abord, comme vous le savez, mes précédents rapports n’ont jamais éludé mes interrogations sur les conditions de la fusion. J’évoquais, par exemple, l’année dernière, le fort sentiment de délaissement ressenti par Radio France internationale – RFI – et le manque d’objectifs de France 24. Le climat social constituait également un motif de préoccupation que nous étions nombreux à partager.

La fusion juridique a été engagée le 13 février 2012 tandis que Marie-Christine Saragosse a été désignée présidente de France Médias Monde (FMM) le 7 octobre 2012 avec pour mission de mener à bien le rapprochement et de restaurer la confiance au sein de l’institution.

Afin de pouvoir me rendre compte des progrès accomplis, j’ai rencontré cette année les cinq organisations syndicales de France Médias Monde (CFDT – Confédération française démocratique du travail, CFTC – Confédération française des travailleurs chrétiens, CGT – Confédération générale du travail, FO – Force ouvrière – et SNJ – Syndicat national des journalistes) ainsi que sa présidente avec l’intention de leur poser, à chacun, les mêmes questions : la fusion a-t-elle été une bonne chose ? Comment s’est passé le rapprochement des structures et des personnels ? Où en est-on, enfin, de l’harmonisation des statuts ?

Concernant la fusion tout d’abord. C’est un point essentiel : aucun des syndicats de salariés ne demande le retour en arrière, la fusion constitue un acquis. Cela ne veut pas dire, pour autant, que tout est pour le mieux. Si la CFDT, 1er syndicat de France Médias Monde, reconnaît que la fusion était « une bonne chose » et que le rapprochement radio/télévision/Internet est positif, la CFTC, qui était contre la fusion, considère que les salariés ont envie maintenant de « passer à autre chose ». Pour le SNJ, « la nouvelle structure a le mérite d’exister ». FO rappelle qu’elle ne voulait pas la fusion mais qu’elle a joué le jeu et qu’il n’y a plus de retour possible. La CGT, quant à elle, estime qu’ « il n’y a pas de culture commune » et s’inquiète d’une éventuelle future fusion des rédactions.

On le voit, au-delà des différences, le principe même de la fusion est aujourd’hui acquis. Ce sont plus les conditions de cette fusion et les nouvelles places de chacun qui font débat. Ces conditions de rapprochement font, en effet, l’objet de griefs plus nombreux même si rien ne semble irrémédiable. Tout d’abord – et je souhaite vivement lui en reconnaître le mérite – tous s’accordent à considérer que Marie-Christine Saragosse a su restaurer les conditions de la confiance nécessaire pour assurer le succès de l’opération de fusion juridique. La CFTC évoque ainsi des « améliorations concernant le dialogue social » et des relations plus « courtoises et détendues ». Mais dans le même temps, ce même syndicat considère que « les personnels vivent côte-à-côte » et qu’il n’y a « aucune synergie ni aucune ambition éditoriale commune ». Ce constat va souvent de pair avec des inquiétudes sur les moyens et la charge de travail. Le SNJ pointe que les journalistes sont plutôt « ouverts à se former à de nouveaux médias comme la vidéo et la photo » mais il insiste sur le fait qu’ « un journaliste ne peut produire pour tous les médias ». Le SNJ déplore également que les journalistes doivent faire des tranches d’information plus longues, sans avoir suffisamment le temps de préparer leurs papiers. Cette surcharge de travail mise en avant par ce syndicat est aussi ressentie par la CGT qui évoque des « flux tendus à RFI ».

Il demeure donc des difficultés, peut-être inhérentes à toute fusion. Mais ce qui pose véritablement problème aujourd’hui concerne d’une part l’harmonisation des statuts et, d’autre part, le projet de développement de l’entreprise.

L’ensemble des syndicats des salariés redoute, en effet, le futur statut commun d’autant plus que la négociation a pris du retard, les réunions ayant été suspendues depuis juillet. Cette situation laisse tout autant place aux inquiétudes sincères qu’aux rumeurs pas toujours bien intentionnées. La coexistence de personnels pouvant avoir des statuts très différents – tout en exerçant le même emploi – ne peut pas perdurer. Pour autant, les syndicats estiment que l’enveloppe de 3,5 millions d’euros provisionnée pour financer l’harmonisation sera insuffisante pour réaliser un alignement par le haut ce qui leur fait craindre des remises en cause des acquis.

Mais plus encore, c’est bien l’ambition des pouvoirs publics pour France Médias Monde, dans un contexte de contraintes budgétaires accrues, qui fait débat. La diminution des départs en mission des journalistes pour couvrir les événements – pour des raisons budgétaires mais aussi pour des raisons de sécurité – le projet d’abandonner les ondes courtes en Chine, en Russie et en Iran, le report de la création de l’antenne en bambara qui a coïncidé avec la baisse des crédits dans le collectif budgétaire en juillet dernier, ont alimenté le pessimisme. FO s’interroge ainsi sur la stratégie de l’État pour l’audiovisuel extérieur et tous ont pris conscience de la concurrence accrue initiée par l’arrivée des nouveaux acteurs.

Paradoxalement, ces inquiétudes sont plutôt rassurantes puisqu’elles illustrent aussi l’attachement des personnels à leur entreprise et une conscience aigüe de leur mission d’information. Pour ma part, je suis particulièrement confiante dans l’avenir de France Médias Monde. Cela d’autant plus encore que beaucoup des inquiétudes que je viens d’évoquer recevront bientôt des réponses précises. Je ne doute pas, en effet, que Mme Saragosse mette tout en oeuvre pour parvenir non seulement au meilleur résultat possible mais aussi à un résultat accepté par tous. Ainsi, comme elle me l’a confirmé au cours des auditions, le processus de remise à plat des statuts est maintenant achevé et, sans vouloir divulguer des éléments de la négociation qui devraient être présentés très prochainement par la direction, il semble que la solution pourrait être trouvée au travers d’une convergence réciproque des temps de travail assortie, bien entendu, d’un effort financier pour ceux qui verront leur temps de travail augmenter. J’insiste sur le fait que les efforts demandés devraient être raisonnables et être source d’améliorations, par exemple, dans la prise des congés à RFI. Quant à la négociation sur les métiers, elle devra prendre en compte leur évolution très rapide aujourd’hui. Au regard de ces informations, il me semble que l’objectif de conclure un accord au premier semestre 2015, même s’il est ambitieux, est parfaitement crédible. Cet accord constituera une des fondations de la nouvelle société, il faut souhaiter qu’il permette aussi d’insuffler un nouvel esprit commun propre à favoriser de nouvelles dynamiques.

J’en viens maintenant à la stratégie de France Médias Monde. Celle-ci ne peut être appréciée que remise en perspective dans son cadre budgétaire. France Médias Monde devrait bénéficier en 2015 de 242 millions d’euros (HT). Cela correspond à une baisse de 10,7 millions d’euros des ressources publiques d’exploitation sur la période 2011-2015 soit, en cumulé, une économie pour les comptes publics de 54 millions d’euros par rapport à la dotation de 2011. Autant dire que France Médias Monde a déjà fortement contribué à l’effort de redressement des comptes publics.

Si l’on considère que les ressources propres ont augmenté de seulement 6,1 % entre 2011 et 2015 du fait de la mauvaise tenue du marché publicitaire, on comprend mieux pourquoi France Médias Monde a été dans l’obligation de réaliser d’importants gains de productivité. La mise en place de deux plans de départ volontaire (PDV) a eu pour conséquence une baisse nette des effectifs de 253 équivalents temps plein (soit une baisse de 20 % des effectifs) et une économie globale annuelle de 19 millions d’euros. Par ailleurs, un gros effort a également été fait sur les achats et les frais de fonctionnement, ce qui a permis de réduire ce poste de 16,7 millions d’euros par an. Enfin, 4,1 millions d’euros ont été économisés sur les dépenses de marketing et de communication avec le risque de limiter le développement de l’entreprise.

Ces économies n’ont pas empêché le développement de la version arabophone de France 24 et une migration de la production vers la haute définition (HD). Mais les moyens sont aujourd’hui extrêmement contraints ce qui limite le nombre des nouveaux projets. L’antenne en bambara de RFI est toutefois aujourd’hui sur les rails et devrait commencer à émettre au plus tard au second semestre 2015, c’est fondamental compte tenu des enjeux qui traversent la partie du continent africain où cette langue est pratiquée. Par ailleurs, France 24 sera bientôt diffusée au Québec et un projet existe d’une antenne hispanophone.

Comme je le disais en introduction, nous avons maintenant un bel outil, financé entièrement par la contribution à l’audiovisuel public. L’audience progresse d’ailleurs sensiblement : +5,4 % en un an pour RFI et +4,2% pour France 24.

Il me semble maintenant éminemment souhaitable de mieux valoriser les antennes de France Médias Monde ce qui passe, à mon sens, par une diffusion de France 24 sur la TNT, non seulement en Île-de-France, mais sur tout le territoire, comme je l’ai indiqué à la ministre de la culture et de la communication lors de son audition. De même, si la diffusion de RFI et MCD à Marseille est déjà en discussion, il semblerait également pertinent d’étendre la diffusion de ces radios au reste du territoire, tout au moins, aux grandes villes.

J’en viens maintenant à TV5 Monde, la grande chaîne francophone dont le capital est partagé entre la France (6/9e), la Suisse (1/9e), la Fédération Wallonie-Bruxelles (1/9e) et le Québec et le Canada (1/9e). Le total des ressources de la chaîne s’établira en 2015 à 108,76 millions d’euros dont 99,91 millions d’euros de contributions publiques et 8,85 millions de ressources propres. La quote-part de la France s’établira à 76,23 millions d’euros HT, soit le même niveau qu’en 2014. La nouveauté tient au fait que, ici aussi, ce financement sera intégralement assuré en 2015 par la contribution à l’audiovisuel public ce qui constitue une bonne nouvelle.

Un mot sur les ressources propres. Les recettes de publicité continuent à constituer une préoccupation depuis la fin du minimum garanti qu’assurait la régie de France Télévisions puisque les recettes sont passées de 4,2 à 2,5 millions d’euros. TV5 Monde considère ainsi qu’il y aurait moyen de mieux valoriser ses audiences en Afrique et en Asie, mais cela nécessiterait un plus grand investissement de la régie dans son démarchage local. C’est pourquoi l’essentiel des ressources propres continue à dépendre des recettes de distribution pour un montant en légère baisse de 6,18 millions d’euros en 2014.

Les grandes priorités de TV5 Monde concernent le basculement en HD qui a été opéré aux États-Unis, en Asie, dans le Golfe persique et qui reste à faire en Amérique latine et en Afrique. La chaîne est ensuite en négociation au Brésil afin de développer un quota de production locale. Mais les deux grandes priorités concernent surtout le lancement d’une chaîne enfant en Afrique pour lequel il manque encore 1,5 million d’euros et le projet d’une chaîne consacrée à l’art de vivre à destination de l’Asie.

TV5 Monde est également très présent sur le numérique avec des offres de replay et de streaming mais aussi une offre de vidéo à la demande par abonnement en Amérique latine. La société qui dispose d’une forte notoriété a aussi lancé une offre Internet d’accès à 200 grands classiques de la littérature francophone qui a reçu un excellent accueil du public.

J’évoquerai également, pour conclure, le lancement par Canal + de la nouvelle chaîne A+ destinée à l’Afrique francophone qui constitue à la fois une concurrence pour TV5 Monde mais aussi une opportunité pour développer des coproductions.

En définitive, mes chers collègues, je crois qu’il n’est plus possible de penser séparément la diffusion de TV5 Monde du service public de l’audiovisuel. Avec le financement intégral de la quote-part de la France par la contribution à l’audiovisuel public, le téléspectateur français est en droit de pouvoir accéder à ces programmes de qualité qui devraient avoir toute leur place sur la TNT.

En somme, ce dont nous avons besoin, c’est bien d’une vision globale du service public de l’audiovisuel. Nous savons que son avenir dépendra de deux critères, le niveau de la contribution audiovisuelle publique d’une part et son périmètre d’autre part. Plus il y aura de chaînes à financer, plus les ressources nécessaires seront importantes ; moins nous voudrons augmenter la contribution à l’audiovisuel public pour nous rapprocher des niveaux pratiqués au Royaume-Uni et en Allemagne, moins il nous sera possible de maintenir certaines chaînes qui n’ont pas trouvé leur public mais qui coûtent cher.

TV5 Monde constitue une belle fenêtre sur d’autres cultures francophones : belge, suisse, québécoise mais aussi africaine, arabe, asiatique. Le coût de sa diffusion sur la TNT serait de 13 à 15 millions d’euros du fait du surcroît de droits qui devrait être payé. Ce coût est à comparer, à mon sens, au budget de France 4 qui s’élève à 40 millions d’euros pour une audience très faible. À un moment où l’on s’interroge sur l’avenir de France Télévisions et notamment sur son périmètre, j’observe que la substitution de TV5 Monde à France 4 sur la TNT permettrait d’enrichir l’offre de programmes proposée aux téléspectateurs français et de réaliser plus d’une vingtaine de millions d’euros d’économies, cela mérite réflexion.

À l’issue de l’examen des crédits de l’audiovisuel extérieur, je vous propose de donner un avis favorable à leur adoption.

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