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Propriété littéraire, artistique et patrimoine culturel: le Sénat a adopté le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE

_colonnesburenCet après-midi du 18 décembre, le Sénat a adopté le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.
Vous pouvez lire, ci-dessous, mon intervention au nom du groupe socialiste.

« Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

Je me réjouis de la transposition des trois directives qui nous retient, aujourd’hui. Ces trois textes ne présentent aucun lien entre eux si ce n’est de relever, toutes, de votre compétence, Madame la Ministre car visant à régler des situations concernant d’une part les acteurs du monde de la musique et  les auteurs d’œuvres de l’esprit et, d’autre part, les biens publics. Ils ont néanmoins tous pour objectifs d’améliorer des situations particulières, de reconnaître des droits supplémentaires et de lutter contre les importations illicites de trésors nationaux au sein de l’Union européenne.

Concernant la première directive, elle aborde le sujet des droits voisins, toujours délicat car interférant avec le droit d’auteur.

On le sait, les artistes interprètes constituent les parents pauvres du secteur en termes de juste rémunération pour exploitation de leurs prestations ; ils  constituent  la catégorie de titulaires de droits voisins la moins bien rémunérée.

Je ne peux donc que me réjouir de l’allongement, par la directive que nous transposons, de la durée de protection de leurs droits patrimoniaux et de leur alignement sur celle (post mortem) dont bénéficient les ayants-droit des auteurs.

Outre le fait que nous sommes en retard dans la transposition de cette directive et que ce retard prolongé risque de coûter très cher à la France, il est grand temps de prendre en considération plusieurs facteurs justifiant l’allongement de la protection des artistes-interprètes et des producteurs de disques.

D’abord, il ne me semble pas inutile de rappeler que les artistes –interprètes jouent un rôle primordial dans l’accès au succès de l’œuvre d’un auteur ; sans interprétation d’une œuvre musicale, celle-ci est vouée à tomber dans l’oubli et, dans ce cas, son auteur aura peu de chance de toucher une quelconque rémunération au titre du droit d’auteur.

L’allongement de l’espérance de vie entraîne, par ailleurs, une extinction de plus en plus fréquente des droits patrimoniaux du vivant des artistes-interprètes, à un moment où ils n’ont généralement plus d’activité professionnelle et des revenus décroissants. Nombreux sont les artistes qui se retrouvent dans une situation de grand dénuement à un âge avancé. On peut souhaiter que l’allongement de la durée des droits patrimoniaux permette aux titulaires de droits voisins concernés de percevoir des revenus durant l’intégralité de leur vie.

L’extinction de leurs droits rend également leurs titulaires, et plus particulièrement les artistes-interprètes, très démunis face à des usages discutables de leurs prestations qui peuvent porter atteinte à leur œuvre ou à leur nom, sans qu’ils ne puissent plus contester les utilisations qui en sont faites.

Ces arguments valent aussi pour les autres catégories de titulaires de droits voisins tels les producteurs de disques. L’extension de la durée de protection va surtout leur fournir des recettes supplémentaires provenant de la vente de musique en magasins et en ligne.

Cet allongement de durée de droits aidera notamment les producteurs à  s’adapter aux mutations rapides du marché et à favoriser des investissements supplémentaires pour faire émerger de nouveaux talents.

Enfin, l’allongement de la durée des droits voisins devrait permettre de limiter les distorsions de concurrence dues aux différences de durée de protection entre les états importateurs et ceux exportateurs de musique. Je rappelle – même si cela dépasse le champ de la directive – que l’Europe est encore éloignée des Etats Unis sur  la question de la durée de protection des droits des producteurs de phonogrammes qui, outre-Atlantique, est de 95 ans.

Concernant le sujet des œuvres orphelines, il s’agit d’une cause qui tient particulièrement à cœur aux sénateurs du groupe socialiste.

C’est par un amendement des sénateurs socialistes qu’avait été introduite, dans le code de la propriété intellectuelle, la définition de l’œuvre orpheline, lors des débats qui ont conduit à l’adoption de la loi du 1° mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XX° siècle.

Désormais, l’article L113-10 de ce code dispose que : « L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses.

Lorsqu’une œuvre a plus d’un titulaire de droits et que l’un de ces titulaires a été identifié et retrouvé, elle n’est pas considérée comme orpheline »

Je me réjouis que le présent projet de loi ne touche pas à cet article mais en précise la portée. Lors de la rédaction de cet article, nous avions souhaité la calquer sur celle de la directive et je m’en félicite ! La CMP nous avait d’ailleurs donné raison, préférant notre définition à celle proposée alternativement par les députés.

Un petit regret cependant : que le champ de la directive – et donc le droit français désormais – n’appréhende, au titre des œuvres orphelines qui seront désormais protégées, ni les photos, ni les images fixes, pourtant souvent accompagnées de la mention « DR » (droits réservés). Par l’insertion de ces deux lettres, l’utilisateur d’une œuvre photographique pourra continuer à la reproduire sans respecter ni le droit moral (maîtrise des conditions de cession de l’œuvre), ni les droits patrimoniaux de l’auteur (absence de négociation de contrepartie à la reproduction de l’œuvre).

L’exception « bibliothèques » qui figurait à l’article L134-8 du code de la propriété intellectuelle – grâce encore à un amendement des sénateurs socialistes à la même loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle – et autorisait les  bibliothèques à exploiter gratuitement, sous certaines conditions, sur support numérique, les livres indisponibles figurant dans leurs fonds, est reprise, par le projet de loi, mais déplacée dans le nouvel article L135-2 du code de la propriété intellectuelle. L’exception sera même élargie aux musées, services d’archives, institutions procédant au dépôt légal d’archives cinématographique ou sonores et aux établissements d’enseignement. Cet accès facilité aux œuvres pour de nombreux publics ne peut que nous réjouir.

J’en viens à la dernière directive qui prévoit la restitution des trésors nationaux qui sont sortis de illicitement d’un état membre.

Ce texte permettra de résoudre d’éventuels contentieux entre états membres concernant des biens anciens de leurs collections, rapportés dans des conditions parfois douteuses de leur lieu de création ou de conservation  initial.

 Il nous est arrivé, par le passé, de légiférer pour déclasser un bien d’une collection de musée, un trésor national, à ce titre inaliénable afin de pouvoir le restituer à son état d’origine. Certes il s’agissait de biens dont l’origine était  extra communautaire

Ainsi, le vote de la loi du 6 mars 2002 a autorisé la restitution des restes de la Vénus Hottentote à l’Afrique du sud. Il s’agissait d’un bien d’une collection publique (Musée de l’homme) présentant donc un caractère inaliénable. La loi a  permis le déclassement de ce bien afin qu’il puisse sortir du territoire français et être rendu à l’Afrique du Sud.

En 2009, à l’initiative de notre présidente de commission, Madame Morin-Desailly, nous nous étions également saisis d’un texte (devenu la loi du 18 mai 2010 après son adoption par l’Assemblée nationale) visant à déclasser une tête humaine maorie tatouée, momifiée et conservée en dépôt depuis 1875 dans les collections du Muséum municipal d’Histoire naturelle, d’ethnographie et de préhistoire, afin de pouvoir la restituer à la Nouvelle Zélande.

Quant à la directive que nous transposons ce soir,  elle visait plus particulièrement les marbres du Parthénon, volés au début du XIX° siècle par Lord Elgin, alors ambassadeur à Constantinople, et conservés  depuis au British Museum…

Soulignons que, pour ce qui a trait aux biens français, les œuvres « rapportées » par Napoléon de ses campagnes, appartenaient à des états non membres de l’UE et ne rentreront donc pas dans le champ d’application du texte transposé.

Les trésors nationaux  qui pourraient être concernés par le champ de la future loi sont ceux acquis illicitement par la France et les autres états membres. En aucun cas, les collections de peintures et de sculptures, acquises régulièrement pour des collections royales ne seront concernées. La plupart des cours européennes, depuis la renaissance, disposaient d’émissaires voyageant partout dans les autres cours d’Europe afin de repérer les artistes les meilleurs, de leur acheter des œuvres ou de leur passer des commandes, pour le compte du souverain, voire même de les débaucher.

Ce « mercato » avant l’heure des plus grands artistes a permis la perméabilité des différentes écoles d’art, dès la renaissance et leur enrichissement mutuel d’autres techniques.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe,  tous les artistes attirés en France, tels les peintres maniéristes de Florence (Le Rosso ou Le Primatice) ou Léonard de Vinci,  par François Premier,  ont permis à notre pays de se constituer les bases de ses collections royales, devenues ensuite celles nationales des musées de notre pays. Ces biens acquis tout à fait licitement par la France ne sont aucunement appelés à être restitués sur la base de la directive que nous transposons.

Je me réjouis que les trois textes que nous examinons cet après-midi procèdent à des avancées dans le ce secteur culturel et artistique, en permettant de régler des questions parfois épineuses, notamment sur le plan diplomatique et des situations individuelles injustes.

Les sénateurs socialistes apporteront leur entier soutien au projet de loi de transposition. »

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