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Commission spéciale de lutte contre le système prostitutionnel: mon intervention lors de l’audition de la ministre

prostitution-senegalLa commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel a auditionné Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes. Vous pourrez lire ci-dessous l’intervention de la ministre suivie de ma propre intervention.
Lire ici l’ensemble de la discussion et notamment les réponses de la ministre

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des droits de femmes. – Je vous remercie de votre invitation : cet échange n’est pas inutile avant la discussion en séance plénière. Je sais que vous avez mené un travail approfondi sur cette proposition de loi, dont je rappelle qu’elle a été votée il y a plus d’un an à l’Assemblée nationale, qui en était à l’origine. Ce texte est important à bien des titres. La lutte contre le système prostitutionnel, qui pose de nombreux défis à notre société, appelle des réponses fortes et coordonnées. On est attentif, dans le monde, à ce que sera celle de la France. J’étais il y a quelques jours au siège de l’Organisation des Nations unies (ONU), à New-York, avec une délégation à laquelle participait votre rapporteure, Michèle Meunier. Les échanges ont été nombreux avec les pays qui ont adopté des lois abolitionnistes ou qui sont en passe de le faire. D’autres nous observent également : l’Allemagne ou les Pays-Bas, par exemple, qui ont adopté un système organisant la prostitution sur lequel ils s’interrogent aujourd’hui, ou bien encore des pays qui considèrent la prostitution comme criminelle, mais sans viser aucunement le client. Ce que décidera la France ne sera pas sans effet.

La prostitution relève désormais en France de la traite. Selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), plus de 90 % des personnes mises en cause pour racolage sont étrangères et plus de 80 % sont victimes de proxénétisme, de réseaux de traite à des fins d’exploitation sexuelle. Tous les observateurs s’accordent sur ce point : la très grande majorité des personnes prostituées sont sous l’emprise de ces réseaux. Elles vivent, on le sait, tout comme le savent leurs clients, dans la violence, la misère, la souffrance. Dans la dépendance financière et souvent celle de la drogue, elles sont de surcroît victimes de la violence des clients, qui peut aller parfois jusqu’à l’assassinat. Les études menées par des offices indépendants et par les associations en témoignent. Une récente tribune de médecins, parmi lesquels Axel Kahn, rappelle que toutes les études s’accordent sur le fait que les personnes prostituées sont victimes de violences extrêmement graves, qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique. Leur taux de mortalité est six fois plus élevé que celui du reste de la population. En Europe, entre 16 % et 76 % d’entre elles selon les pays déclarent avoir été victimes de viol dans les douze derniers mois. Et le rapport de votre commission spéciale souligne combien la contrainte économique est prégnante.

Subir plusieurs fois par jour un acte sexuel non désiré est une violence aux effets désastreux, notamment pour la santé. Le rapport d’information présenté au nom de la mission d’information du Sénat par Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno souligne qu’en dépit de la diversité des situations, les risques sanitaires sont communs à toutes les formes d’exercice de la prostitution. Les atteintes à la santé vont au-delà de la seule santé sexuelle. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, Prostitution : les enjeux sanitaires, mentionne turberculose, dermatoses, pathologies hépatiques, problèmes musculo-squelettiques et dentaires… A quoi s’ajoutent les problèmes sanitaires liés à la consommation d’alcool et de drogue, souvent imposée. Celles qui sont venues témoigner devant votre commission spéciale l’ont confirmé.

La prostitution relève de la traite et bien souvent de l’esclavage. C’est bien à quoi cette proposition de loi entend s’attaquer. La France s’est engagée dans une position abolitionniste en signant, en 1960, la Convention des Nations Unies du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, qui établit un lien direct entre traite et prostitution et dont le préambule déclare la traite des êtres humains en vue de la prostitution « incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».

Depuis la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, la loi sanctionne le recours à la prostitution lorsque la personne prostituée est mineure. La loi du 18 mars 2003, qui a introduit l’infraction de traite dans notre code pénal, a étendu cette disposition aux personnes prostituées vulnérables. L’Assemblée nationale a adopté, le 6 décembre 2011, une résolution, signée par des parlementaires de tous bords, réaffirmant la position abolitionniste de la France et soulignant que la prostitution ne pourra régresser que par un travail de changement des mentalités et de prévention. La proposition de loi issue de l’Assemblée nationale s’inscrit dans cette lignée. Le Gouvernement entend respecter le travail de grande qualité des parlementaires, mais n’en est pas moins attaché à certaines de ses positions. Pour m’être rendue, comme vous, sur le terrain, j’ai pu constater l’ampleur de la violence que subissent ces femmes et ces hommes qui viennent de loin, sont privés de leur liberté, violentés, marqués comme du bétail par des tatouages ou des scarifications et qui subissent une pression permanente, qui s’étend jusqu’à leur famille dans leur pays d’origine.

Il s’agit de légiférer en connaissance de cause. C’est là une réalité pour près de 90 % des personnes prostituées sur notre territoire. Le Gouvernement est attaché à préserver un certain équilibre, qui consiste à accompagner les victimes tout en accentuant la lutte contre les proxénètes et les réseaux. Pour protéger les victimes, qui le plus souvent ne parlent pas notre langue et n’ont pas de papiers, nous avons mis en place un fonds d’accompagnement. Mais la lutte contre la prostitution passe aussi par la prévention et la formation : user d’un acte sexuel tarifé n’est pas anodin. Il faut aider les jeunes, dès l’école, à en prendre conscience. Il s’agit aussi de responsabiliser les clients et de leur faire comprendre qu’un tel « achat » participe au financement de réseaux dont l’argent est souvent utilisé dans d’autres domaines, où nous menons aussi la lutte. Nous n’entendons pas que la France soit un pays d’accueil pour ces réseaux.

Tels sont pour nous les piliers de ce texte, qui s’inscrit dans la ligne de l’engagement qui est celui de la France depuis 1960 et qui en porte témoignage sur la scène internationale. « On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme et il s’appelle prostitution. » Ces mots de Victor Hugo n’ont rien perdu de leur actualité.

Mme Claudine Lepage. – Je vous remercie, madame la ministre, de votre intervention, et j’adhère pour ma part entièrement à vos propos. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir travaillé avec plaisir sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy.

Je reviens des Pays-Bas, où j’ai pu avoir divers entretiens sur le sujet. Ce pays a fait un choix diamétralement opposé au nôtre, ce qui n’a pas empêché les réseaux de se développer, parallèlement aux « vitrines » qui jalonnent les rues d’Amsterdam. Les Pays-Bas regardent avec beaucoup d’attention ce qui se prépare en France.

La prostitution soi-disant consentie est aussi accompagnée de violences. La prostituée devient la chose du client, qu’elle soit prostituée de rue ou escort girl – les témoignages de celles qui ont été entendues dans un récent procès qui a fait beaucoup de bruit sont éloquents. J’ajoute que la prostitution n’est jamais un choix de vie : c’est la nécessité qui y pousse.

La responsabilisation du client – terme que je préfère à celui de pénalisation – est ce qui fait débat au sein de notre commission, et qui a amené au rejet des articles 16 et 17 de la proposition de loi. Pour moi, la responsabilisation du client est un moyen de montrer que la traite des êtres humains s’appuie sur un triangle : les prostituées, que nous considérons tous comme des victimes ; les réseaux, contre lesquels il faut lutter ; mais aussi les clients, sans lesquels il n’y aurait pas de prostitution et qu’il est normal de responsabiliser. On n’achète pas un corps humain. Il s’agit de poser un symbole. Alors que nous nous battons en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, il est impensable d’admettre qu’une moitié de l’humanité puisse acheter l’autre moitié.

Lire l’ensemble des débats ici

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