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Banana spleen

leparisien.frMalgré la crise, le président a la « banane » et tient à le faire savoir. Recevant le 25 mars les députés UMP à l’Elysée afin de les rasséréner, inquiets qu’ils sont des conséquences sociales et politiques de la récession économique, Nicolas Sarkozy s’est efforcé de guérir leur spleen : « la période est formidable » leur a-t-il dit « C’est nous qui conduisons le bateau. On n’a pas le droit d’avoir peur. Je me fais taper dessus, mais j’ai la banane. On a besoin de nous et ça paiera ». Autrement dit : vive la crise !

Evidemment, on peut voir ça comme ça. Je doute tout même que les femmes et les hommes qui combattent au quotidien les effets des tempêtes financière et économique aient le sentiment de vivre une époque formidable au point d’en avoir la banane. De Continental – l’usine de la colère de Clairoix dont les « forçats du pneu » sont venus s’inviter chez les « forçats de la route » du Paris-Roubaix – aux travailleurs d’Heuliez, de Caterpillar ou de Gandrange, il n’est qu’à voir la brutalité des méthodes de revendication pour comprendre que c’est tout le contraire : la confiance en un avenir assuré pour eux et leurs proches a cédé le pas à l’angoisse puis à la peur toute crue de devenir précaire en peu de temps. Alors ils n’acceptent plus de se voir payés de mots au moment où tout risque de basculer. Quand en plus la presse étale à longueur de colonnes les montants des « rémunérations faramineuses », « bonus », « stock options » et autres « parachutes dorés » dont bénéficient ou vont bénéficier ceux-là mêmes qui ont détruit leur emploi, le sentiment d’injustice se transforme en révolte : au mépris ils répondent alors par la violence du désespoir. Bien sûr la loi républicaine doit s’appliquer partout, y compris dans l’entreprise où les séquestrations de personnes ne doivent pas être tolérées, mais comment ne pas comprendre le tourment et la souffrance de leurs auteurs ?

En fait Nicolas Sarkozy trouve la période formidable car la main, pense-t-il, est enfin revenue au politique : « la crise nous donne la possibilité de renouveler notre corpus idéologique » a-t-il dit. Pourquoi pas ? Mais que fait-il ? Quand lui et son gouvernement tentent de rassurer en affichant un sang-froid de circonstance, les chiffres les rattrapent : l’INSEE (intégrant pourtant les effets du plan de relance) envisage d’ores et déjà une croissance de – 3% pour 2009, avec pour corollaire un accroissement du nombre de chômeurs de près de 300 000 ce trimestre et un taux de chômage qui pourrait à nouveau dépasser 9% en fin d’année.

Or pendant qu’il parle de renouveler son « corpus idéologique » en – je suppose – réformant le capitalisme, le président consacre toute son énergie à faire redémarrer le système comme avant, en utilisant des méthodes qui ont déjà montré leurs limites : privilégier l’investissement à la relance de la consommation en portant à bout de bras des banques qui, malgré cela, rechignent toujours à financer ou refinancer des entreprises exsangues face à la baisse de la demande, ou des industriels de l’automobile qui obligent leurs sous-traitants à se délocaliser – donc à licencier – pour cause de gains de productivité et donc de compétitivité…

Comment à partir de là, ne pas faire le parallèle entre la différence de traitement des victimes de la crise : l’argent public distribué en masse à des établissements financiers qui ne prêtent plus, à des entreprises qui n’embauchent plus, voire qui licencient tout en rémunérant grassement leurs dirigeants va cruellement manquer lorsqu’il va falloir indemniser et aider les nouveaux chômeurs. Pour pallier ce manque on pourrait par exemple supprimer le bouclier fiscal – tout un symbole ! – mais surtout rétablir la progressivité de l’impôt en augmentant les prélèvements sur les très hauts revenus. Mais de tout cela Nicolas Sarkozy ne veut pas entendre parler : matamore, selon Le Monde, il déclare en effet « Prenez-moi bien en photo : je ne créerai pas une nouvelle tranche d’impôt, on n’abandonnera pas le bouclier fiscal ».

Pourtant ce serait réinventer la solidarité nationale en quelque sorte, redonner un petit espoir de justice sociale… De quoi alimenter un corpus idéologique, non ?

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