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Interview au petitjournal Dakar

A l’occasion d’un déplacement à Dakar, j’ai eu le plaisir de répondre aux questions du petit journal Dakar.

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la fonction de Sénatrice des Français de l’Étranger et depuis combien d’années vous l’exercez ?

Claudine Lepage : Je suis Sénatrice depuis 2008 après avoir passé 35 ans de ma vie en Allemagne où je travaillais dans le secteur de l’Enseignement et de la Formation. Avant d’être élue Sénatrice, j’ai été membre du Conseil Supérieur des Français de l’Étranger, puis de l’Assemblée des Français de l’Étranger (AFE). Je suis Membre de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je suis également membre de la Délégation aux droits des femmes et à l’Égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous travaillons actuellement sur la lutte contre les violences faites aux femmes et d’autres sujets en relation tel que l’excision.

Vous êtes également la Présidente des Français du monde-adfe (Association Démocratique des Français de l’Étranger). En quoi consistent les actions de cette association ?

C’est une association de défense des droits des Français de l’étranger depuis sa création. Aujourd’hui, c’est une association progressiste qui s’engage sur des thèmes comme la citoyenneté des Français de l’étranger, qui défend des valeurs de solidarité, d’égalité, de justice, pour l’accès de tous aux services français, à l’éducation. Français du monde-adfe ne dépend d’aucun parti politique mais revendique son appartenance à la grande famille de la gauche républicaine.

La dernière fois que vous êtes venue au pays de la Teranga remonte à novembre 2013. Pourquoi avoir mis si longtemps avant de revenir ?

Figurez-vous que je suis déjà revenue au Sénégal depuis 2013, dans le cadre de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie et également en septembre 2016 avec le Premier Ministre de l’époque, Manuel Valls. Avec mes collègues sénateurs, nous étions présents lors de la réception à l’attention de la communauté française et dans le cadre de la visite officielle d’une école franco-sénégalaise.

Quelle est votre feuille de route durant votre séjour au Sénégal ?

Je suis présente pour répondre à l’invitation de Français du monde-adfe Dakar qui organise sa fête annuelle. J’en profite également pour visiter les services consulaires et culturels français au Sénégal. Nous allons nous entretenir sur des thèmes comme la Francophonie. À ce sujet, j’ai publié l’an passé, avec mon collègue sénateur Louis Duvernois, un rapport intitulé « Francophonie : un projet pour le XXIème Siècle. » Ce thème est d’actualité puisque le Président de la République souhaite développer la Francophonie.

Récemment, vous vous êtes également rendue au Cambodge. Sur place, vous avez accordé une interview à l’un de nos confrères, Thibault Bourru, du www.lepetitjournal.com/cambodge. Dans cet article, vous rappelez l’importance du rôle de la Femme dans la société et dans la vie politique. Quel serait le constat que vous pourriez faire de la place de la femme africaine en politique aujourd’hui ?

La place de la Femme dans la société africaine est cruciale. Ce que je souhaiterais souligner, c’est la force des femmes africaines. Elles travaillent et subviennent aux besoins financiers de la famille tout en s’occupant de la vie quotidienne. Je pense que les femmes en politique sont le reflet de cette société. Les femmes africaines qui évoluent en politique occupent des postes importants comme celui de parlementaire ou ministre. Cependant, seule une minorité de femmes est concernée.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le dispositif STAFE ? Est-ce un dispositif récent et quelle est son importance ?

Ce dispositif est en train de se mettre en place pour remplacer la réserve parlementaire supprimée par la République En Marche. Ce nouveau dispositif aura à sa disposition 2 M € sur les 3 M € que représentait la réserve parlementaire. Il servira à cofinancer à hauteur de 50% du montant des projets d’associations implantées à l’étranger. Les projets seront présentés dans un premier temps aux Conseillers Consulaires. La décision finale sera prise par une Commission à Paris, au niveau du Ministère des Affaires Étrangères. Au sein de cette commission, siègeront des représentants de l’Assemblée des Français de l’Étranger.

Vous êtes pour la suppression du « verrou de Bercy ». Quels en sont les enjeux et en quoi cela consiste t’il ?

Le verrou de Bercy est un filtre à la justice. À titre d’exemple, l’auteur d’une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l’administration. Ce verrou bloque toute la chaine pénale en empêchant la variété des poursuites. Il n’a pas sa place dans un État de droit tel que la France. De plus, il semblerait que nous soyons le seul pays européen qui utilise cette procédure jusqu’à aujourd’hui. Une Sénatrice du groupe socialiste et républicain, Marie-Pierre de La Gontrie a déposé une proposition de Loi visant à supprimer le verrou de Bercy. Il s’agit ici de renforcer l’efficacité des poursuites contre les auteurs d’infractions financières.

 

SÉNATEURS

 

Vous avez également participé et contribué à la mise en place de la réforme de la CFE (Caisse des Français de l’Étranger) avec vos collègues Sénatrice et Sénateurs, madame Conway et messieurs Leconte et Yung. Concrètement, en quoi consiste cette réforme pour les Français de l’Étranger ?

Cette réforme émane d’une requête formulée par le Conseil d’Administration de la CFE et ce depuis de nombreuses années, afin de mettre en place les réformes concernant les cotisations et les prestations. La situation était bloquée en 2015, moment où nous avions essayé de déposer une proposition de loi qui n’avait pas abouti. Cette fois-ci, la proposition de loi a été adoptée à la quasi unanimité au Sénat. Si la loi est votée à l’Assemblée Nationale, elle permettra de mettre en place une nouvelle politique tarifaire au niveau des prestations proposées afin de mieux s’adapter aux différents contextes locaux. Ce que nous aurions souhaité aurait été l’élargissement du Collège électoral du Conseil d’Administration de la Caisse des Français de l’Étranger, mais comme nous n’avons aucune piste quand au devenir de la représentation, nous n’avons pas pu aller plus loin dans le cadre de cette réforme.

Sur un autre registre, que pensez-vous de la proposition de loi intitulée « Secret des affaires » adoptée à l’Assemblée Nationale avec une majorité écrasante de la part de la Droite et de LREM ? En sachant que cette loi inquiète grandement les médias, les journalistes, les syndicats, les associations et l’opinion publique.

C’est une proposition de loi qui vise à transposer dans le Droit National une directive européenne du 08 juin 2016 sur le Secret des Affaires. En toute logique et dans le respect fondamental des procédures, la transposition d’une directive ne se fait pas sur initiative parlementaire mais sur l’initiative du gouvernement, qui est un projet de loi en général et dans ce cas là, il y a une étude d’impact. Or, dans ce cas bien précis, il n’y a pas eu d’étude d’impact. Dans la directive, il s’agit de protéger les entreprises contre toute forme de concurrence déloyale. Cependant, dans les faits, cette directive s’attaque au journalisme d’investigation et aux lanceurs d’alerte qui sont insuffisamment protégés par le texte. Beaucoup de personnes ont déjà signé une pétition qui circule sur internet pour sensibiliser l’opinion publique. Le Groupe socialiste et républicain s’est naturellement opposé à la proposition de loi « Secret des Affaires » examiné au Sénat.

Dans à peine dix semaines, des milliers d’élèves scolarisés dans les lycées français de l’Étranger vont se présenter pour passer l’épreuve du Baccalauréat. En février dernier, vous avez voté contre le projet de loi « Orientation et réussite des étudiants ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et en quoi ce projet risquait d’être au détriment de nos élèves français de l’Étranger ?

Il ne s’agit pas que des élèves français des lycées de l’étranger mais plus généralement des jeunes. Au départ, le groupe socialiste n’était pas foncièrement opposé à une réforme. Nous souhaitions aménager le texte pour conserver la garantie qu’aucun jeune ne reste sur le bord de la route mais cela n’a pas été possible.

Il est évident que les universités n’ont ni les moyens financiers ni les moyens humains d’orchestrer ce nouveau système. Nous avons tous entendu l’inquiétude qui émane des professeurs d’université que nous avons auditionnés. De plus, dans l’Enseignement Secondaire, les enseignants des classes de Terminale manifestent également leurs difficultés de terrain quant à la formulation des vœux sur Parcours Sup et à la constitution des dossiers post Bac. Le fait de demander à un élève de Terminale de produire un CV et une lettre de motivation n’est pas une mauvaise chose en soi. Par contre, la réflexion doit porter sur l’égalité des chances à produire des dossiers de qualité, selon l’aide disponible autour du jeune, que ce soit dans sa famille ou dans le contexte scolaire. Dans les faits, on s’aperçoit que d’un point de vue social il y a des disparités et des différences flagrantes. Ce qui nous a beaucoup inquiété était de ne pas avoir la garantie que chaque futur étudiant obtiendrait une place en faculté. L’autre raison qui nous a poussé à voter contre, c’est le fait que la droite sénatoriale a durci le texte en renforçant le processus de sélection et ce n’est bien entendu pas ce que nous souhaitions.

Vous devez savoir que le texte comprend un amendement sur la situation spécifique des Français de l’étranger. Depuis, s’est soulevée la question suivante : s’ils veulent présenter leur candidature dans différents établissements ou différentes académies, qu’en est-il? 

Pour le moment, nous restons sans réponse mais ce cas peut s’améliorer par un décret ou une circulaire.

Un autre obstacle, c’est la précipitation. Il aurait fallu pour tout le monde, aussi bien les établissements scolaires que les Universités, au moins un an pour se préparer. Quitte à préparer la réforme du Bac, il aurait peut-être fallu présenter tout cela au même moment puisque finalement l’orientation est un processus assez long. On pourrait imaginer accompagner les élèves à partir de la Seconde afin d’élaborer un projet d’étude et un projet professionnel. L’inscription sur Parcours Sup pour les élèves de Terminale a débuté avant même que la Loi ne soit votée.

Suite à votre visite officielle à Dakar en novembre 2013, vous aviez rédigé un compte rendu, dans votre espace internet « Carnets de route », concernant vos déplacements et disponible sur votre site internet www.claudinelepage.eu. Vous y décriviez notamment la situation professionnelle préoccupante de certains Personnels en contrat local dans les établissements scolaires français du réseau AEFE au Sénégal. Or, quatre ans plus tard, rien n’a changé pour ces Personnels. Au contraire, la qualité des contrats et des conditions de travail s’est dégradée, et ce, sur l’ensemble du réseau. Les dossiers litigieux sur des droits de retraite française sont toujours en attente de solutions qui seraient apportées par l’Agence ou l’État. L’année scolaire 2017-2018 aura été rythmée par des mouvements de grèves, de protestations, d’alertes et de pétitions lancées à la fois par les familles, les Personnels (tous types de contrats réunis) et les associations d’anciens élèves. Au vu de ce bilan fort alarmant pour tous, quel est votre opinion sur l’avenir des établissements français de l’Étranger ?

Vous attirez mon attention sur la situation des recrutés locaux. Au vu des difficultés de renouvellement des demandes de détachement, je ne peux que dire que le nombre de recrutés locaux est appelé en effet à augmenter. On assiste à une refonte totale du réseau tel que nous le connaissions depuis la création de l’AEFE. Prenons l’exemple du réseau de l’AFLEC (Association Franco-Libanaise pour l’éducation et la Culture qui regroupe les écoles du Liban) et la MLF (Mission Laïque Française) qui sont très intéressées par une formation proposée en France à l’Université de Clermont-Ferrand, appelée DU (Diplôme Universitaire), pour former leurs Personnels recrutés localement au sein de leurs établissements. Là où une question éthique se pose, c’est que cette formation n’est pas proposée uniquement à du personnel enseignant déjà en poste mais également à de jeunes gens qui, suite à l’obtention de ce DU, vont partir enseigner le français à l’étranger avec une expérience quasi-inexistante du métier d’enseignant. Je précise qu’il s’agit d’un enseignement au niveau des classes de Primaire. Par le biais de cette formation, nous assisterons sous peu à la mise en place d’une nouvelle catégorie d’enseignants qui officieront aux côtés des titulaires et des recrutés locaux actuellement en poste. Qu’une remise à plat soit nécessaire semble incontestable, néanmoins, entre cette formation courte DU et la formation de l’ESPE (Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation) des néo-titulaires enseignants, il y a un fossé.

Une réflexion est en cours au niveau du Ministère de l’Éducation Nationale, du Ministère des Affaires Étrangères et de l’AEFE à travers des réunions techniques sur l’avenir des établissements français à l’Étranger. Par contre, ni les parlementaires, ni le Conseil d’Administration de l’Agence dont je suis membre n’ont été à ce jour informés de la direction qui serait prise. Si on se réfère au discours du Président de la République lors de la semaine de la Francophonie, il dit vouloir renforcer le réseau AEFE mais avec quels moyens ? Le président de la République veut doubler le nombre d’élèves scolarisés à l’étranger, mais une fois de plus, comment et avec quels moyens humains et financiers ?

CLAUDINE LEPAGEIl y a deux années, j’ai émis un rapport dans lequel je préconisais une plus grande mobilité pour les enseignants résidents et je peux en expliquer la raison : tous les résidents ne souhaitent pas rester ad vitam aeternam dans le même pays d’accueil. L’objectif était de leur offrir la possibilité de changer de pays à la fin de leur contrat de trois ans (renouvelable deux fois) mais également celle de rester dans le même pays avec dans ce cas un réaménagement du statut, mais tout en conservant des conditions de vie décentes. De plus, il est nécessaire de rappeler que le manque de mobilité crée des difficultés à recruter dans certaines zones géographiques et coûte également très cher. Il ne s’agissait pas de changer la situation de personnels déjà en poste mais d’une mise en place pour les futurs contrats.

Concernant le dossier litigieux sur les cotisations retraite non perçues par les recrutés locaux français de l’AEFE dont les contrats remontent à avant les années 2000, lors du dernier CA (Conseil d’Administration) de l’AEFE, 7 ou 8 cas ont été validés et pour lesquels la situation va être régularisée. Néanmoins, il reste des cas en souffrance, en effet.

Merci, Madame la Sénatrice, d’avoir pris le temps de répondre aux questions du

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