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Audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres sur l’audiovisuel extérieur de la France

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du sénat a auditionné Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres ancien ministre de la culture et de la communication sur l’évolution de l’audiovisuel extérieur de la France. A cette occasion, j’ai tenu à rappeler l’importance de Tv5 monde et de France médias monde pour les Français de l’étranger. J’ai également souhaité interroger l’ancien ministre sur la possibilité de créer un Netflix francophone.

Retrouvez ci-dessous mon intervention et le compte rendu des débats :

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Après avoir entendu en janvier le directeur général de Deutsche Welle puis, plus récemment, le Secrétaire général du Quai d’Orsay, nous poursuivons ce matin notre réflexion sur l’évolution du pôle audiovisuel extérieur de notre pays en accueillant Renaud Donnedieu de Vabres qui a organisé, en tant que ministre de la culture, le lancement de France 24 le 6 décembre 2006 après de nombreuses années de débats.

Il m’a semblé important de vous entendre à la fois pour faire le bilan de ce pôle audiovisuel extérieur compte tenu de la feuille de route initiale mais aussi pour examiner l’adéquation de ses missions et de ses moyens dans le cadre d’un contexte qui a beaucoup évolué.

Faut-il rappeler combien la naissance de France 24 a été difficile ? Les autorités publiques avaient d’abord envisagé de créer un média 100 % privé associant TF1 et Canal + puis une alliance entre TF1 et FTV a été recherchée avant qu’un projet 100 % public ne s’impose, mais hors du périmètre de France Télévisions. A ces hésitations sur l’actionnariat et la gouvernance s’est ajoutée une contrainte sur les moyens qui perdure encore de nos jours.

Alors que nous avons célébré il y a peu les dix ans de France Médias Monde, c’est un tout nouveau contexte qui s’impose aujourd’hui. L’enjeu est moins, en effet, de concurrencer CNN et la BBC que de faire front face à l’offensive des nouveaux médias d’État russe et chinois, en particulier en Afrique. C’est dans cet esprit qu’il nous a semblé utile d’examiner les coopérations possibles entre la France et l’Allemagne.

Monsieur le Ministre, votre expérience nous est précieuse pour répondre à ces questions. Je vous proposerai donc de nous livrer votre réflexion avant de répondre à nos collègues qui ne manqueront pas de vous interroger.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. – Mes convictions sont plus qu’intactes. Le contexte de l’époque où a été créée France 24, marqué par la violence internationale, n’a fait que s’aggraver. Pour mémoire, c’est la prise d’otages de journalistes français en Irak, motivée par la remise en cause de la laïcité à la française, qui avait justifié la création d’un média international permettant de défendre nos valeurs. Dès le départ, le projet était d’émettre en plusieurs langues étrangères afin de pouvoir échanger avec les populations concernées et de réaliser des synergies entre la diplomatie et la politique culturelle. À cet égard, le projet du Louvre d’Abu Dhabi s’inscrivait dans une logique similaire visant à affirmer des valeurs et des principes de liberté à travers le prêt d’oeuvres culturelles.

Lors de ma prise de fonctions j’avais évoqué la nécessité de mobiliser la culture pour éradiquer la violence, ayant constaté l’écho entre les tensions internationales et nationales.

Les débats ont été longs et difficiles pour créer cette chaîne d’information internationale compte tenu des difficultés à faire travailler ensemble les acteurs publics et privés. Mais la structure du capital a, selon moi, moins d’importance que le choix qui a été fait de diffuser en plusieurs langues étrangères. Une confusion a été faite concernant la francophonie dont le rayonnement est assuré par TV5 Monde. Pour ce qui est de l’information il était essentiel que la vision française puisse être portée dans différentes langues. Dès le départ, le choix du français, de l’anglais et de l’arabe s’est imposé avant que l’espagnol, plus récemment, soit ajouté avec, néanmoins, un nombre d’heures insuffisant. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la prochaine langue doit être le chinois ou le portugais.

Il y a un bon attelage entre France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya qui permet une grande complémentarité.

Concernant l’information qui est diffusée, il me semble nécessaire de veiller à l’attractivité de notre pays. Alors que les médias relayent dans le monde entier la paralysie française qui se manifeste chaque samedi, il pourrait être utile de mettre en évidence une autre réalité qui tient aux différentes manifestations culturelles qui réunissent des milliers de français chaque week-end.

Il ne s’agit pas de développer une vision messianique ou éloignée de la réalité mais au contraire de réaffirmer la liberté des journalistes.

Un autre sujet concerne le périmètre européen : ce n’est pas parce que les étudiants et les artistes voyagent en Europe qu’on peut considérer que les échanges sont suffisants ! Je pense qu’il serait utile d’instaurer une nuit des cultures européennes avec des contenus destinés au grand public.

Concernant les moyens, j’ai toujours été étonné qu’on évoque les dépenses dans le secteur de la culture et les investissements dans celui de la recherche. Toute la problématique est de d’arriver à parler des dépenses d’investissement dans la culture à l’image du Louvre d’Abu Dhabi qui a constitué un vecteur d’accompagnement des entreprises françaises au coeur de notre stratégie de rayonnement.

Le financement de l’audiovisuel extérieur doit reposer d’une part sur la redevance, mais également sur d’autres ressources comme, par exemple, des crédits d’aide au développement puisque ce média constitue un moyen de développement et de formation de la jeunesse. Ce financement s’inscrit dans la bataille des priorités et le paradoxe français qui veut que si les questions culturelles sont stratégiques, leur financement n’est jamais considéré comme prioritaire. Il faut montrer les enjeux à l’image de la prochaine langue de diffusion. L’opinion publique a conscience des grands affrontements qui sont en cours.

M. Jean-Pierre Leleux. – Alors que de plus en plus de pays s’engagent dans l’audiovisuel extérieur pour accentuer leur influence culturelle dans le monde, la France réduit ses investissements. Nous considérons que France Médias Monde fait aujourd’hui un travail incroyable mais avec des moyens extrêmement limités. Or, il est aujourd’hui nécessaire de s’engager relativement massivement dans l’audiovisuel extérieur.

Je souhaiterais donc savoir quels moyens de financement sont envisageables. Un rapprochement est-il possible entre France Télévisions et France 24 et entre RFI et Radio France pour un audiovisuel extérieur plus performant ?

M. André Gattolin. – Je ne pense pas que ce soit une simple question de moyens. La notion d’audiovisuel extérieur m’interroge, je trouve incroyable que France 24 en langue arabe ne soit pas diffusée en clair dans toute la France par exemple. Je m’interroge également sur une construction audiovisuelle européenne, au-delà d’Arte. Pourrait-on développer un média fournissant de l’information sur l’Europe et fondé sur des valeurs européennes ?

Plus globalement, je pense que la stratégie et la fonctionnalité de l’audiovisuel extérieur français sont à repenser.

M. Pierre Ouzoulias. – Je suis d’accord avec notre collègue Jean-Pierre Leleux, il s’agit de reprendre pied dans un domaine où les moyens ne sont pas à la mesure des ambitions qui doivent être les nôtres pour porter un message de culture et d’amitié envers les peuples de toutes les rives de la Méditerranée.

Mme Catherine Dumas. – Je pense qu’il y a un problème de moyens mais surtout de volonté politique. Je voudrais savoir si vous pensez que le Gouvernement prend bien la mesure de l’importance de l’audiovisuel extérieur.

M. Laurent Lafon. – Avant même la question des moyens, c’est la volonté politique qui apparaît insuffisante. Le débat qui existe actuellement sur la langue à privilégier entre le chinois et le portugais est symptomatique. On devrait développer des émissions dans ces deux langues. Le portage politique de l’audiovisuel extérieur est donc limité. Je souhaiterais par ailleurs savoir ce que vous pensez de la diversification des ressources de France 24 et de la possibilité de faire appel à d’autres ressources, notamment privées ?

Mme Claudine Lepage. – Merci pour ce rappel historique du développement de l’audiovisuel extérieur français. Je porte un regard un peu différent en tant que Française à l’étranger dans la mesure où TV 5 et France Médias Monde jouent un rôle important pour la communauté des expatriés. La diffusion des émissions françaises en langue étrangère en France doit être soutenue, notamment en ce qui concerne les émissions en arabe. En Afrique, RFI joue un rôle important et est diffusée dans des langues locales. Cet aspect ne doit pas être négligé. Par ailleurs, au sein de l’Union européenne, RFI a lancé un rapprochement avec la Deutsche Welle qui pourrait servir de modèle à d’autres acteurs de l’audiovisuel. Ma question est la suivante : que pensez-vous de la création d’un Netflix francophone ?

M. Olivier Paccaud. – Au cours de votre présentation, vous avez insisté sur la conception française de la culture, considérée essentiellement comme une dépense alors qu’on parle d’investissement lorsqu’il s’agit du secteur de la recherche. En réalité, la culture est transversale et souffre peut-être de son cantonnement dans un ministère spécifique. Sous la troisième République, il existait un ministère de l’instruction publique et des beaux-arts. Est-ce qu’il ne faudrait pas privilégier cette organisation institutionnelle ?

M. David Assouline. – L’expression « influence française » se banalise et il faut le regretter. En effet, on ne peut pas accepter de média d’influence dans une société démocratique. Nous sommes tous révoltés lorsqu’on évoque l’influence russe ou chinoise, et on ne peut donc pas souhaiter faire la même chose : non seulement nous n’aurions pas assez d’argent pour y parvenir, mais ce qu’on veut, c’est assurer le rayonnement culturel de la France et la diffusion de nos valeurs. Seul le ministère de la culture peut porter ce projet, il ne faut pas essayer de faire de l’audiovisuel public le bras armé de la diplomatie française. J’ai bien compris que ce n’est pas ce qu’on cherche à faire avec France Médias Monde, mais les mots peuvent influencer les concepts.

M. Jacques Grosperrin. – Cette idée de guerre froide de l’information a retenu mon attention. Au lendemain de la visite en France du président chinois Xi Jinping, on peut regretter l’absence de liberté des médias dans ce pays, même si ce sujet n’est pas abordé volontiers par nos dirigeants surtout lorsque la Chine propose d’acheter 300 Airbus.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. – Monsieur le rapporteur, je soutiens volontiers la combativité de la commission de la culture du Sénat pour imposer un audiovisuel extérieur digne de nos ambitions. Cet objectif ne pourra pas être atteint sans une réflexion sur les contenus. Si j’étais ministre de la culture, je demanderais à la présidente de France Télévisions quelle a été sa stratégie vis-à-vis de l’Union européenne depuis deux ans. Dans mon exposé liminaire, j’ai évoqué avec vous une piste de réflexion pour développer chez les citoyens une meilleure connaissance du patrimoine culturel européen à travers des émissions sur ce sujet qui seraient diffusées dans tous les pays européens.

En ce qui concerne la question des partenariats, il me semble qu’une coopération avec des acteurs privés pourrait être lancée sur des missions qui ne portent pas sur l’information. Je souhaite toutefois insister sur la spécificité de France 24 et TV5 Monde qui s’adressent à un public qui ne connaît pas bien la France. Par conséquent, je ne crois pas à l’efficacité de partenariats, voire d’une fusion entre ces acteurs et France Télévisions ou Radio France. Il ne s’agit pas de brider les journalistes qui doivent être libres dans leur travail. Toutefois, ces derniers ont une cible particulière, à savoir des publics qui sont informés à travers d’autres sources audiovisuelles étrangères.

Pour accroître notre influence politique et peser dans le grand débat européen qui s’annonce, il me semble que notre pays gagnerait à réclamer le poste de commissaire chargé de la culture, de l’éducation et de la communication, plutôt que de se battre sans cesse pour celui de commissaire chargé de l’économie et des finances, dont on connaît les marges de manoeuvre limitées. Ce serait un signal très fort, y compris vis-à-vis de nos concitoyens.

La question de la diffusion en clair de France 24 en plusieurs langues sur le territoire national est un sujet complexe. Autoriser une nouvelle chaîne d’information en clair pourrait déstabiliser le paysage audiovisuel, après la création de plusieurs chaînes d’information au moment de la mise en place de la TNT. France 24 est déjà accessible en numérique sur notre territoire. Je ne suis pas certain que sa diffusion en clair en langue arabe permettrait de détourner certains jeunes Français de regarder Al-Jazeerah. Je crois plutôt que nous gagnerions à mettre en place une stratégie offensive en matière de contenus, ce qui suppose de mobiliser des moyens.

Vous connaissez mes liens avec le Président Jacques Chirac et je ressens beaucoup de tristesse après les rumeurs qui ont circulé à son sujet ces derniers jours. Cet épisode révèle une nouvelle fois les nombreux problèmes posés par la circulation des fausses informations.

Il me paraît important que notre audiovisuel extérieur porte un message de vérité : l’objectif n’est pas de travestir la réalité. Il ne faut pas passer sous silence la grande violence qui accompagne les manifestations des gilets jaunes, mais il faut aussi évoquer le bon fonctionnement général de notre pays, en dehors de ces épisodes brutaux ou de paralysie.

Deux éléments me paraissent à la fois essentiels et étroitement imbriqués : les contenus et la langue de diffusion. Sans contenus solides et intelligents, peu importe la langue dans laquelle ceux-ci sont diffusés : le public ne sera guère au rendez-vous. J’estime que des partenariats privés pourraient être envisagés pour créer des émissions à caractère culturels afin d’accroître l’attractivité des contenus.

Le principe de rapprochements entre chaînes européennes pour créer et diffuser des contenus constitue à mes yeux une piste intéressante. Compte tenu des conséquences graves au niveau européen qu’est susceptible d’avoir la crise politique entre la France et l’Italie, deux membres fondateurs, la création et la diffusion d’émissions soulignant les liens artistiques et culturels étroits entre nos deux pays, par exemple, seraient tout à fait opportunes. Est-ce à France 24 de le faire, avec la question de ses moyens, ou à d’autres médias de s’en charger ? Quoi qu’il en soit, je suis favorable à ce type d’opérations « commandos ».

Beaucoup de progrès restent aussi à faire en matière de circulation des oeuvres européennes au sein de l’Union européenne. La culture et le cinéma américains restent largement dominants. C’est vrai en France et ça l’est encore plus dans le reste de l’Union.

Fusionner le ministère de la culture et de l’éducation nationale me paraît l’exemple type de la fausse bonne idée. Un gouvernement est un orchestre symphonique : chaque ministère a sa partition à jouer. Après des événements dramatiques comme les attentats du 13 novembre 2015 qui ont porté atteinte à des lieux de culture et à notre mode de vie, la réponse doit être non seulement celle du droit, de l’ordre et de la sécurité, mais aussi celle de la liberté et de la diversité, sans quoi le risque de dérives et d’amalgames serait grand. Dans de telles circonstances, c’est avant tout au ministre chargé de la culture de porter ce second message. Le ministre de la culture me paraît également mieux placé que le ministre de l’éducation nationale pour s’exprimer dans le cadre de la crise européenne actuelle. Il est vrai que des passerelles se créent entre les deux ministères dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique de l’éducation artistique et culturelle, mais il serait regrettable de confondre la rue de Valois et la rue de Grenelle.

En revanche, je crois qu’il y a une réflexion urgente et très opérationnelle à mener sur la structuration du ministère de la culture. La réorganisation qui a découlé de la revue générale des politiques publiques (RGPP) a trop mis l’accent sur la transversalité, privant parfois les acteurs culturels d’un interlocuteur clairement identifié au sein du ministère, ce qui constitue un handicap.

En ce qui concerne la question des médias d’influence, les journalistes de France 24 ne doivent pas farder la réalité. Mais n’oublions pas qu’ils s’adressent à des publics étrangers, dont les centres d’intérêt peuvent différer, ce qui explique que l’information ne soit pas traitée de la même manière que par les chaînes d’information intérieures françaises. C’est un élément important à garder à l’esprit dans cette période de tension autour de l’information. La crainte, qui s’était exprimée au moment de la création du Louvre Abu Dhabi, qu’une censure ne s’exerce sur la présentation des oeuvres pour ne pas choquer la population locale ne s’est pas vérifiée. La Bible, le Coran et la Torah voisinent la sculpture d’un homme nu, preuve que nous continuons à endosser le rôle qui doit être le nôtre en termes d’appel à la tolérance et au respect et de promotion de la diversité culturelle et du dialogue des cultures.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Le musée du Louvre Abu Dhabi constitue une réussite exceptionnelle.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. – C’est effectivement une véritable révolution qui fait suite à celle du Louvre Lens avec une présentation muséographique innovante qui permet de faire dialoguer les oeuvres autour de lieux et de thèmes, ce qui ouvre un changement de perspective par rapport à une présentation cloisonnée par période des oeuvres.

Mme Maryvonne Blondin. – Que pensez-vous de l’idée d’un Netflix à la française et de l’intérêt de développer des émissions à destination de la jeunesse notamment dans un optique d’apprentissage de la langue ?

M. Alain Schmitz. – L’expérience du Louvre Abu Dhabi vous paraît-elle duplicable dans d’autres endroits ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres. – Je suis bien entendu favorable à un Netflix à la française ainsi qu’à des émissions à destination de la jeunesse avec des contenus attractifs. De manière plus générale, je suis fermement attaché à une diffusion plus large de l’art en recourant par exemple aux nouveaux outils du numérique. Nous devons adopter une stratégie de valorisation conquérante de notre patrimoine. Un nouveau Louvre Abu Dhabi pose la question de l’agence France-Muséums qui a été à l’origine conçue afin d’éviter les conflits d’intérêt et de permettre des mutualisations. Elle a investi toute son énergie sur le Louvre Abu Dhabi. Certains projets des musées ne nécessitent pas son intervention comme les coopérations ponctuelles. Quel que soit la forme retenue, je suis absolument persuadé de l’intérêt qu’il y aurait à multiplier l’exposition des oeuvres d’art sur le territoire national – pourquoi pas dans les collèges et les lycées – et à l’étranger. Je milite pour que les lieux puissent s’ouvrir avec des idées comme la création de résidence d’artistes dans certains endroits d’excellence comme le château de Versailles, par exemple.

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