0

Il faut sauver le réseau culturel français à l’étranger

Depuis trois ans on assiste à la liquidation discrète de ce qui faisait depuis plus d’un siècle l’une des spécificités françaises dans le monde : son réseau culturel, composé d’instituts (voués principalement à l’enseignement du français), de centres culturels, d’Alliances françaises (de statut local, mais respectant le cahier des charges de l’Alliance française de Paris), d’instituts de recherche et de « maisons » ou académies (résidences de chercheurs ou d’artistes), tous coordonnés localement par le Service culturel et de coopération (SCAC) des ambassades.

C’était notre image de marque, le fonds de commerce de la France, le réseau le plus dense du monde, facteur d’une soft power sans égale pour employer le jargon à la mode. Ce réseau, qui reste le modèle du genre pour beaucoup de pays, le gouvernement actuel (et M. Kouchner en particulier lorsqu’il était au Quai d’Orsay) est en train de le démanteler en toute discrétion puisque aussi bien l’opinion hexagonale n’en connaît guère l’ampleur ni la réalité : interrogez votre voisin ou vos proches.

Or, un centre culturel n’est pas une danseuse, même si Bercy cible depuis longtemps ces centres de rayonnement de notre pays dont la « rentabilité » est évidemment difficilement chiffrable. Pourtant, ce rayonnement « rapporte » au plan de l’influence et même de la balance des paiements. Croit-on que ce maillage mondial n’était pour rien dans le fait que Paris et la France sont encore la première destination touristique mondiale, en raison bien sûr, et principalement, de leur richesse culturelle et du foyer intellectuel qu’ils sont depuis toujours ? Nos centres en étaient les relais, fréquentés par des dizaines de milliers d’étudiants et de visiteurs.

Preuve de cette efficacité, d’autres pays, imitant notre système, et alors même que la France ferme boutique, se mettent, eux à ouvrir des établissements similaires : la Chine ouvre partout de grands et efficaces « centres Confucius », et l’Espagne se lance, quant à elle, dans un beau projet de développement d’excellents « centres Cervantès », l’une et l’autre pour diffuser leur langue et leur pensée. Bercy n’est pas la seule instance qui avait à l’œil notre réseau : le ministère des affaires étrangère lui-même supportait mal cet archipel où œuvraient des agents pour l’essentiel, de par leurs fonctions, issus de l’éducaton nationale ou de ministères techniques. C’était aussi le cas de beaucoup de conseillers culturels des ambassades (chefs des SCAC), qui font localement fonction d’inspecteurs d’académie et étaient donc eux-mêmes des enseignants à l’origine.

Soucieux de conserver ces postes prestigieux dans son giron, le Quai d’Orsay a progressivement remplacé presque tous ces intrus par des diplomates de carrière, dont ce n’est pas tout-à-fait le métier. Quant aux établissements qu’ils gèrent, on n’y trouve presque plus aucun professeur détaché, sauf en contrat local (et souvent mal payés), même dans le réseau des écoles et lycées français destinés en priorité à nos ressortissants et gérés par une agence distincte.

400 POSTES SUPPRIMÉS

Comme si cette éviction ne suffisait pas, Paris a désormais prévu de supprimer dans les trois ans 400 postes dans les SCAC, que les ambassadeurs vont devoir désigner. Ne subsisteraient, en Asie par exemple, que quelques gros postes dans les pays émergents à la mode (Chine, Inde) alors que notre fierté était de mailler la quasi-totalité des pays, où la France jouissait (jouit encore pour le moment) de relais solides qu’on va sacrifier et qui nous oublieront. Un petit pour cent de ce qui va être, d’un trait de plume, attribué massivement à la Chine ou à tel autre très grand pays suffirait pour laisser allumées des petites loupiotes un peu partout.

Dans les centres, on assiste aussi depuis quelques années à une dérive inquiétante. Partout, on cesse de favoriser l’enseignement du français et on consacre l’essentiel des crédits à l’action artistique, souvent coûteuse. Faire venir une exposition ou une troupe prestigieuse, si on en a les moyens, c’est bien et ça plaît toujours aux ambassadeurs parce que cela se voit et impressionne leurs collègues étrangers. Mais une fois la troupe ou l’orchestre reparti, le public local a vite oublié, tandis que les centaines ou les milliers d’étudiants qui viennent assidûment deux ou trois fois par semaine suivre des cours de français et fréquenter la bibliothèque et la cafétéria du centre constituent une clientèle fidèle qui reste longtemps liée à la France.

Là où elles existent, les Alliances françaises font bien ce travail, mais elles n’existent pas partout et elles ne dépendent pas directement de nos services. Les activités culturelles elles mêmes étant victimes des coupes budgétaires, les directeurs de centres sont de plus en plus obligés de chercher des « sponsors » locaux, mais c’est de plus en plus difficile et cela aliène notre indépendance. Résultat : certains centres prêtent nos locaux à des confrères étrangers, ce qui peut être sympathique (dans le cadre européen) de temps en temps, mais pour le coup, n’est pas défendable devant les contribuables français.

Cerise sur le gâteau, M. Kouchner, qui n’avait aucune expérience en matière d’échanges culturels, a transformé le conseiller culturel de certaines ambassades en « attaché humanitaire » comme si les deux fonctions avaient quelque chose en commun. Bien sûr, dans ces postes, l’essentiel des crédits passe à l’humanitaire, souvent d’ailleurs pour des actions multilatérales, ce qui est défendable mais ne confère aucune visibilité à l’action de notre pays. Un centre culturel français, ce n’est pas Médecins sans frontières.

Tout n’est peut-être pas perdu si Mme Alliot-Marie, plus sensible sans doute que son prédécesseur à la diplomatie culturelle de notre pays, met à profit son arrivée récente au Quai d’Orsay pour redresser immédiatement la barre et remettre les choses d’équerre. Il a fallu parfois des années d’efforts et de négociations pour ouvrir certains centres dans des pays « sensibles » et implanter le français dans certaines régions du monde.

Ne laissons pas s’éteindre ces foyers de présence française qui coûtent très peu et in fine rapportent beaucoup parce qu’ils font que la France est encore, malgré sa démographie, une puissance mondiale, présente partout par l’esprit et la culture. C’est de leur survie aussi, ou de leur disparition, que dépend la réponse à apporter au livre de Jean-Pierre Chevènement : La France est-elle finie ?

Jean Hourcade, ancien conseiller culturel

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*