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Adoption de la proposition de loi sur le patrimoine monumental, ou comment l’Etat brade les monuments nationaux

http://www.borgognissanti.net/website/images/stories//storia/Lenzi_1Une proposition de loi  relative au patrimoine monumental vient d’être adoptée par le Sénat. J’ai voté contre ce texte, comme l’ensemble des sénateurs socialistes, considérant qu’il ne garantit pas suffisamment  la protection de notre patrimoine culturel immobilier, qu’il soit situé en France ou à l’étranger. J’avais, par ailleurs, déposé plusieurs amendements visant à le préserver davantage.

Ci-dessous mon intervention en discussion générale, dans laquelle j’évoque, notamment, la façon dont le MAEE est conduit à brader notre patrimoine immobilier à l’étranger et où je m’inquiète de la mise en place de la Foncière de l’Etat à l’étranger.
Retrouvez également  mon intervention pour défendre mon amendement (rejeté) spécifique aux immeubles situés hors du territoires français.

Vous pouvez aussi lire le communiqué du groupe socialiste du Sénat ici.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. « Un ensemble de ressources héritées du passé que des personnes considèrent, par-delà le régime de propriété des biens, comme un reflet et une expression de leurs valeurs, croyances, savoirs et traditions en continuelle évolution » ! C’est ainsi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la convention de Faro définit le patrimoine culturel.

À cet égard, les dernières tentatives du Gouvernement en matière de sauvegarde de notre patrimoine nous laissent songeurs et nous inquiètent.

En effet, tout porte à croire, ou plus justement, si vous me permettez l’expression, « à craindre », que la machine ne soit lancée. Depuis la loi du 13 août 2004, l’État peut déjà transférer aux collectivités territoriales la propriété de monuments classés ou inscrits. L’assouplissement des conditions de transfert, voulu par la loi de finances pour 2010, a fort heureusement été censuré par le Conseil constitutionnel, comme l’a déjà mentionné notre collègue Françoise Cartron.

Certes, la proposition de loi de nos collègues Férat et Legendre que nous examinons aujourd’hui, en contenant des dispositions qui tendent à définir un principe de précaution, prévoit des sauvegardes supplémentaires. Mais est-ce suffisant ?

En réalité, au-delà de ces considérations, que traduit vraiment le texte ? Tout simplement la possibilité pour l’État, assurément impécunieux et possiblement inconséquent, de brader le patrimoine national pour remplir ses caisses. La boîte de Pandore est bien ouverte !

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Claudine Lepage. Il importe de « sécuriser » davantage notre patrimoine monumental, en France comme à l’étranger.

En effet, beaucoup l’ignorent, le ministère des affaires étrangères et européennes gère quelque 1 500 biens situés hors de nos frontières dans 160 pays et évalués à 4,47 milliards d’euros.

Il n’existe pas de répertoire de ces biens de la France à l’étranger. D’ailleurs, la transparence très relative qui entoure leur gestion mériterait, me semble-t-il, un rapport circonstancié. Nous pouvons cependant remarquer que ces bâtiments sont de type très divers : ambassades et consulats, bien sûr, mais aussi centres culturels ou logements de fonction.

Leur valeur financière et leur charge symbolique sont également très variées. Sachez cependant que près d’une centaine de biens ont sans conteste une haute valeur patrimoniale. On estime ainsi que plus d’une trentaine d’entre eux seraient classés monuments historiques s’ils étaient situés sur le territoire français et qu’une soixantaine seraient inscrits à l’inventaire des monuments historiques. Je parle ici aussi bien d’ambassades historiques, comme le palais Buquoy à Prague, la Case de Gaulle à Brazzaville, que d’immeubles abritant des centres culturels français, comme le palais Lenzi à Florence, ou encore des lieux de culte, telle l’église Saint-Louis-des-Français à Lisbonne.

Certains parmi ces biens du domaine public de la France, tel le palais Thott à Copenhague, sont même classés monuments historiques au regard de la législation locale.

Or, depuis le 1er janvier 2010, aucun crédit d’investissement n’est plus inscrit dans le budget général. Le financement de la programmation immobilière du ministère des affaires étrangères et européennes ne doit donc plus être assuré que par les produits de cession de ses biens immobiliers.

Suivant cette logique, le Quai d’Orsay évoque la cession d’immeubles ordinaires ou de logements devenus inutiles. Mais il y a aussi des biens beaucoup plus prestigieux et de grande valeur et, de surcroit, particulièrement emblématiques du rayonnement de la France à l’étranger. Je ne citerai que le palais Lenzi à Florence, l’Hospice wallon à Amsterdam ou la Villa andalouse à Madrid, parmi la bonne dizaine de bâtiments nommés.

La situation serait certainement plus tenable si, comme le prévoit la réglementation, la totalité du produit des cessions réalisées à l’étranger revenait effectivement au ministère des affaires étrangères et européennes. Pour différentes raisons techniques et dilatoires, nous en sommes bien loin. Et je n’entrerai pas dans les détails de la mise en place des loyers budgétaires, qui ne sont pas sans poser problème, notamment en raison de l’impact de la mise en réserve qui réduit la dotation budgétaire.

Pour terminer, j’évoquerai la création d’une foncière des propriétés de l’État à l’étranger, validée par le Conseil de modernisation des politiques publiques, et qui fait de plus en plus figure d’Arlésienne. Pourtant, un tel établissement, par la professionnalisation qu’il induirait, permettrait une politique immobilière à l’étranger beaucoup plus efficace. Encore faudrait-il, c’est une évidence pour beaucoup sauf, semble-t-il, pour Bercy, qu’il dispose de la capacité d’emprunt.

En attendant, nécessité faisant loi, il y a fort à craindre que, à l’étranger comme sur le territoire français, l’aliénation potentiellement inconsidérée de notre patrimoine se poursuive. Comme nous ne pouvons l’accepter, nous avons déposé des amendements visant à encadrer la cession des biens immobiliers du domaine public à l’étranger, amendements que nous demanderons au Sénat d’adopter.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Défense de mon amendement spécifique à la vente d’ bien immobilier du domaine public ed l’Etat français situé hors du territoire de la France:

 

M. le président. L’amendement n° 27, présenté par Mme Cartron, M. Dauge, Mme Lepage, M. Signé et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Toute vente d’un monument historique appartenant à l’État situé sur le territoire national ou d’un bien immobilier du domaine public de l’État français situé hors du territoire français à une personne privée ou à une personne publique est soumise à l’avis du Haut conseil du patrimoine. Il se prononce sur l’opportunité du déclassement et sur le bien fondé de la vente en appréciant les conditions de vente et d’utilisation prévue de l’immeuble cédé ainsi que les éventuels travaux prévus.

Après avis du Haut conseil du patrimoine, le ministre chargé des monuments historiques transmet le dossier au ministre chargé du domaine de l’État qui l’instruit.

Après accord du ministre chargé du domaine de l’État, le ministre chargé des monuments historiques désigne la personne bénéficiaire.

L’acte de cession sur lequel figurent le prix de la cession ainsi que les éventuels indemnités, droits, taxes, salaires ou honoraires perçus et la destination envisagée de l’immeuble ainsi que les travaux prévus, est publié au Journal officiel.

La décision de vente est susceptible de recours devant la juridiction administrative. Le recours peut être formé par toute personne publique ou privée ayant intérêt à agir, dans un délai de deux mois suivant la publication au Journal officiel de l’acte de cession.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle ainsi rédigée :

Chapitre …

Vente des monuments historiques et des immeubles du domaine public de l’État à des personnes privées ou publiques

La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Nous avons adopté, lors de l’examen de l’article 1er, un amendement n° 30, présenté par nos collègues du groupe RDSE, qui octroie un droit de regard au Haut conseil du patrimoine sur les ventes des biens du domaine public de l’État français présentant une grande valeur patrimoniale et situés hors de notre territoire. Il s’agit d’une mission de « veille », qui est importante pour la préservation de ce patrimoine, mais qui reste d’ordre très général, je l’ai dit tout à l’heure, et n’est pas de nature à assurer une protection efficace du patrimoine français à l’étranger, en particulier au moment où l’État a de plus en plus tendance à le brader.

L’amendement que je vais défendre ne se trouve donc absolument pas « satisfait » par l’adoption de cet amendement n° 30.

Je rappelle le cadre particulier applicable aux biens de grande valeur patrimoniale appartenant à l’État français, mais situés en sol étranger : il s’agit de biens relevant du domaine public de l’État français, mais qui ne peuvent être ni classés ni inscrits à l’inventaire des monuments historiques, quelle que soit leur valeur, car ils sont situés hors du territoire national. En France, ils le seraient vraisemblablement, compte tenu de leur valeur ; dans certains États, certains d’entre eux bénéficient d’une protection équivalant au classement, tel le palais Thott, à Copenhague.

Ce patrimoine est malheureusement en train d’être bradé par l’État français, les produits des cessions constituant l’essentiel du financement du patrimoine à l’étranger depuis la mise en œuvre du contrat de modernisation du ministère des affaires étrangères.

Il est ainsi envisagé de vendre les biens suivants : la résidence de l’ambassadeur de France à Buenos Aires, pour 8 millions d’euros ; la villa de fonction du consul général de France à Sydney, pour 3,7 millions d’euros ; le consulat général à Anvers, pour 3 millions d’euros ; la villa de fonction du consul général de France à Hong Kong, pour plus de 40 millions d’euros ; la Villa andalouse, à Madrid, résidence du « numéro 2 » de l’ambassade, pour 14,5 millions d’euros ; l’immeuble des services culturels à New York, pour 23 millions d’euros ; l’Hospice wallon à Amsterdam, pour 4 millions d’euros ; le palais Lenzi, siège de l’Institut français à Florence, dont le cas a déjà été évoqué et qui constitue une source d’inquiétude particulière, pour 12 millions d’euros.

Certes, tous ces biens ne correspondent pas à des monuments historiques au sens de la législation française, mais plusieurs d’entre eux ont indiscutablement une haute valeur artistique et historique, comme l’hôtel particulier abritant le consulat général à Anvers ou, surtout, le palais Lenzi, joyau de la Renaissance florentine.

Nous souhaitons donc, puisque les ventes de tels trésors par l’État apparaissent inévitables, les encadrer au mieux et proposons une procédure calquée sur celle qui est prévue par la proposition de loi pour les cessions de l’État aux collectivités territoriales.

J’ajoute que le champ de notre amendement est plus large que celui des simples ventes d’éléments de patrimoine situés à l’étranger ; il concerne aussi les ventes par l’État de ses monuments historiques situés en France, que ce soit au profit de personnes privées ou de personnes publiques autres que les collectivités territoriales, qui voient les transferts réalisés à leur profit traités par la proposition de loi dont nous débattons.

Cet amendement constitue, en quelque sorte, une position de repli par rapport à notre absolu refus de tout déclassement de bien déclaré inaliénable, mais nous préférons faire preuve de pragmatisme, compte tenu de la dilapidation par l’État du patrimoine public monumental, aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger. Compte tenu de cette position de sagesse de notre part, nous espérons que le Sénat adoptera cette même attitude et votera notre amendement.

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