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Quelques idées pour l’après 6 mai par Pierre-Yves Le Borgn’

Le 6 mai 2007, le Parti Socialiste a subi une sévère défaite électorale. Avec 46,94% des suffrages dans un contexte de participation record (près de 85% des inscrits), l’échec de Ségolène Royal est net et sans appel. En donnant 53,06% à Nicolas Sarkozy, les Français ont émis un vote d’adhésion indiscutable. Nous avons été battus et le premier devoir qui nous incombe est de le reconnaître lucidement.

La défaite de notre Parti n’est pas seulement électorale. Elle est peut-être et avant tout culturelle. Le Parti Socialiste a perdu la bataille des idées. Nous sommes apparus comme les conservateurs de cette élection, cramponnés au statu quo, là où Nicolas Sarkozy, sur l’ordre, le travail ou encore le mérite, parvenait à convaincre une majorité de Français qu’il était le candidat de la réforme et de l’action. L’ironie est amère de voir la dialectique de l’ordre et du mouvement jouer ainsi à fronts renversés. Le slogan  » Travailler plus pour gagner plus  » a touché jusque dans notre électorat : 54% des salariés du secteur privé ont voté pour Nicolas Sarkozy. La vérité est que la droite française, sous l’impulsion de son candidat, a su ces dernières années renouveler profondément sa grille de lecture de la société. C’est précisément ce que nous n’avons pas su ni voulu faire.

Depuis 2002 et sans doute même avant, le Parti Socialiste n’a pas pris la pleine mesure de l’évolution profonde de la société française. Nous n’avons jamais réellement remis en cause notre vision du monde alors que celui-ci changeait. Nous pensons le monde tel qu’il n’est plus ou presque plus. Ainsi la lecture datée que nous en faisons reste fondamentalement déterminée par l’opposition capital-travail. Certes, les inégalités de revenus et de patrimoine demeurent entre les différentes catégories de la population. Pour autant, de nouvelles inégalités traversent désormais aussi chacune de ces catégories autrefois homogènes. La campagne a mis à nu l’opposition latente entre salariés à très petits revenus et bénéficiaires du RMI, entre titulaires d’un CDD et d’un CDI, entre ruraux et urbains. Conséquence de cette évolution, un fort individualisme progresse au cœur de la société française. Nous ne l’avons pas suffisamment identifié et notre échec électoral trouve là ses premières racines.

Faute de comprendre les bouleversements à l’œuvre dans le corps social, le Parti Socialiste a développé dans son Projet en juin 2006 une offre politique convenue, décalée par rapport aux attentes des Français. Ces dernières années, nous avons privilégié le rassemblement sur la base de synthèses improbables au renouvellement des idées. Le traumatisme du 21 avril 2002 explique une bonne part de ce choix. Sans doute est-il aujourd’hui injuste de vouloir jeter la pierre à François Hollande, qui a incarné cette dimension, tant il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que l’erreur a été ici bien plus collective que personnelle. La recherche de l’unité, souvent de façade, a clairement pris le pas sur la nécessaire rénovation, d’autant que les succès électoraux du printemps 2004, alliés à la diabolisation progressive de Nicolas Sarkozy – funeste erreur – pouvaient laisser croire à tort que le pendule politique irait vers la gauche. A l’arrivée, le Parti Socialiste a payé au prix fort son absence de mutation doctrinale.

Au long d’une campagne fervente et baroque à la fois, Ségolène Royal est apparue en décalage régulier par rapport au Parti dont elle avait reçu l’investiture. Probablement parce qu’elle sentait confusément que les attentes des Français ne trouveraient pas toutes réponse dans le Projet des Socialistes. De fait, les Cahiers d’Espérance issus des débats participatifs, puis le Pacte Présidentiel et enfin l’expression même de la candidate ont esquissé en creux la carte de la rénovation programmatique manquante. Sur le besoin d’autorité dans la société, l’ordre juste, le rapport à la Nation, la valeur travail, les 35 heures, les salaires, le refus de l’assistance, la décentralisation, la démocratie sociale, l’école ou bien encore l’énergie, Ségolène Royal a brisé une vaste série de tabous. Ses prises de position ont certes mis en exergue une compréhension réelle des préoccupations populaires, mais aussi la contradiction immanquable avec le Parti Socialiste. La méfiance réciproque entre Solférino et l’équipe de campagne, les propres erreurs de la candidate, le procès en incompétence dressé dès le lendemain de sa désignation et certaines improvisations embarrassantes comme sur le Contrat Première Chance auront surtout été remarquées. En si peu de temps, mettre le tout en cohérence relevait de la mission impossible.

L’organisation des élections législatives immédiatement derrière l’élection présidentielle et le redoutable effet démultiplicateur du scrutin majoritaire rendent malheureusement improbable un succès socialiste les 10 et 17 juin. Nous sommes dans l’opposition pour 5 ans. Sachons profiter de ce temps pour rénover et faire enfin notre aggiornamento doctrinal. Soyons des réformistes ambitieux et sans complexe, débarrassés de l’étrange surmoi gauchiste qui nous conduit si souvent à préférer tout à trac la radicalité, la fuite en avant, l’immobilisme ou l’angélisme à l’appréciation lucide des réalités. Regardons notre pays, l’Europe et le monde comme ils sont et non plus comme nous voudrions qu’ils soient. Quelles politiques économiques, sociales et environnementales développer pour répondre aux enjeux d’une société éclatée, individualisée, précarisée? Comment concilier les besoins de protection et de promotion au cœur des attentes des Français? Quelles réponses apporter au vieillissement de notre population? Quel service public fort et moderne construire pour servir l’égalité républicaine? Comment lutter contre le fléau de l’insécurité? Ce ne sont là, pêle-mêle, que quelques-unes des nombreuses questions sur lesquelles le Parti Socialiste doit entamer la réflexion, sans tabou aucun.

De la même manière, nous ne devons pas différer plus longtemps l’inventaire de nos réformes et politiques passées. Il n’est pas certain que nous l’ayons totalement accompli sur les 35 heures, ce qui explique la réception difficile de nos propositions en matière salariale dans la campagne. Osons aussi aborder la fiscalité de front, sujet sur lequel nous apparaissons parfois peu cohérents aux yeux des Français, qui finissent par nous associer à l’augmentation des impôts, non à l’efficacité et à la justice fiscale. Dans ce cadre, la proposition de Nicolas Sarkozy de supprimer les droits de succession a porté. Parlons également des moyens. N’y a-t-il pas au Parti Socialiste un prisme étatique excessif, qui réduit d’autant le développement utile des pouvoirs locaux et de la politique contractuelle? Avons-nous suffisamment défini la vocation, le périmètre et l’organisation du secteur public au bénéfice de toutes les politiques publiques? Sur tous ces sujets, faisons sans retenue assaut d’imagination et de courage.

La rénovation du Parti Socialiste doit obéir à une obligation de résultat. Il faut dès lors veiller à ne pas la travestir en une question de personnes. Les egos, pas plus que les ambitions, ne doivent la préempter. Ne laissons pas le débat sur le leadership embarquer la rénovation dans un jeu de poker menteur. Il en sonnerait à tout coup le glas. Pourquoi ne pas l’engager par une succession de Conventions Nationales thématiques, assises préalablement sur des débats participatifs et tranchées par le vote militant? Les Conventions Nationales, à la différence d’un Congrès, sont dénuées de tout enjeu de pouvoir. Songeons à l’image catastrophique donnée par nos leaders se chamaillant en direct le 6 mai au soir au nom de la rénovation sur les plateaux de télévision. Outre que les visages étaient les mêmes depuis 20 ans, la scène aura désespéré les millions de Français pour qui la gauche et le progrès ont valeur d’avenir. La question du leadership et de la candidature socialiste pour l’élection présidentielle 2012 devra bien sûr être tranchée, mais sereinement, en son temps et non au détriment de la rénovation.

Le Parti Socialiste doit refonder son organisation. Les campagnes réussies d’adhésions par Internet nous ont conduits à près de 300,000 membres. C’est une chance extraordinaire. Il faut aller plus loin et progresser dans la voie d’un parti de masse. Cela implique de revoir profondément nos bases de cotisation pour les aligner sur celles prévalant dans les partis sociaux-démocrates en Europe. Adhérer au Parti Socialiste ne doit plus être coûteux. Les adhérents doivent se sentir bienvenus, accueillis, écoutés. Ils doivent pouvoir débattre, délibérer, pousser haut leurs idées et propositions. Rien n’est plus symptomatique de la panne participative actuelle que ces lourdes réunions de Conseil National où Premiers Secrétaires Fédéraux et simples membres élus assistent sans pouvoir prendre la parole aux monologues successifs des membres du Bureau National. Cela doit cesser. La chance doit être donnée rapidement à celles et ceux qui veulent prendre des responsabilités électives d’être mis en situation. Cela implique d’être inflexible sur le mandat unique et sur le respect scrupuleux de la parité. C’est à ce prix qu’émergeront les nouveaux talents et que le Parti Socialiste pourra se diversifier vers tous les secteurs de la société, notamment le secteur privé, insuffisamment représenté dans ses rangs à ce jour.

Reste enfin à nous poser la question des alliances. Le Parti Socialiste n’a plus de réserves à gauche. Le Parti Communiste est moribond. Les Verts se sont abimés pour longtemps dans des querelles incompréhensibles. Quant aux trotskystes, l’exercice du pouvoir au service du changement les passionne bien moins que leurs rivalités entre multiples chapelles. Le 22 avril 2007, jamais la gauche n’avait été aussi faible à une élection présidentielle depuis près de 40 ans. Sans doute faut-il voir là le signe de la défaite culturelle mentionnée plus haut. Il faut également savoir reconnaître que nombre d’électeurs de gauche ont voté pour François Bayrou par défiance vis-à-vis du Parti Socialiste. Une bonne moitié au moins des électeurs de François Bayrou venaient en effet de nos rangs. Depuis lors, l’aventure centriste a pris fin par la fuite prévisible des élus UDF, inquiets de payer de leurs sièges le processus d’autonomisation à l’égard de l’UMP. Que sera le Modem, né de cette implosion? Nul ne le sait encore. Si le Modem s’installe durablement dans le paysage politique français et se détache de tout lien local avec l’UMP, un Parti Socialiste rénové devra prolonger l’échange ouvert par Ségolène Royal avec François Bayrou entre les deux tours de l’élection présidentielle et envisager alors une alliance dans le cadre d’une possible fédération de l’opposition. Car nous ne convaincrons qu’en sachant fédérer, face à une droite qui a su construire son unité, gagner une large part des électeurs du Front National et en faire un atout essentiel.

Nicolas Sarkozy a gagné dans les urnes le droit de présider la France pour 5 ans. Le programme qu’il affiche et entend mettre en musique lui-même, loin de réduire les inégalités, contribuera malheureusement à les renforcer. C’est un Président sans complexe qui a pris les rênes de notre pays et l’engage sur une voie dangereuse pour la cohésion nationale. Face à lui et à l’UMP, il faut un Parti Socialiste porteur d’un projet moderne de changement social, ouvert au mouvement, soucieux de construire, en un mot en phase avec son temps. Le réformisme n’est pas un renoncement, il est une ambition renouvelée. C’est aussi l’assurance d’une opposition convaincante pour préparer nos victoires de demain.

Pierre-Yves Le Borgn’ Secrétaire Fédéral FFE

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