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Budget 2012 de l’Aide publique au développement: mon intervention en séance

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 63 % des Français « soutiennent la poursuite de l’aide publique au développement », malgré les difficultés budgétaires que connaît la France. Fantastique, me direz-vous ; certes, mais ils sont, dans le même temps, 66 % à demander plus d’informations sur cette aide, en particulier sur les projets financés par la France. Cette adhésion globale ne masque donc pas le besoin des Français d’être convaincus par l’action de leur pays, ni leur attente d’une meilleure visibilité en la matière. Oserais-je parler de méfiance ? Il semble qu’il le faille : les Français refusent qu’on leur jette de la poudre aux yeux, et ils ont raison de vouloir juger sur pièces.

Or qu’en est-il cette année des crédits de la mission « Aide publique au développement » ?

Comme je le dénonçais déjà l’année passée, à l’instar de nombre de mes collègues, ce budget, certes « stabilisé », selon l’expression consacrée, demeure parfaitement insincère. L’entreprise de camouflage se poursuit au titre de l’exercice 2012, notamment avec le développement des prêts aux pays émergents, plus solvables et offrant les perspectives commerciales les plus intéressantes, et le désengagement simultané du financement des projets bilatéraux par des dons.

La simple comparaison de la liste des premiers bénéficiaires de l’aide publique au développement bilatérale française avec celle des quatorze pays pauvres prioritaires établie par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement témoigne de cette approche utilitaire et instrumentalisée de la France.

L’analyse de l’aide publique au développement dans le secteur de l’eau et de l’assainissement est à cet égard particulièrement révélatrice. La spectaculaire croissance de l’aide bilatérale depuis 2001 dont se targue la France résulte essentiellement de l’augmentation massive des prêts bancaires, à l’encontre des recommandations du Comité d’aide au développement de l’OCDE et des pratiques de nos voisins européens, par exemple le Royaume-Uni, qui alloue la totalité de son aide dans le secteur de l’eau sous forme de dons.

Pourtant, l’accueil par la France du sixième Forum mondial de l’eau, en mars prochain, n’aurait-il pas dû l’inciter à faire preuve d’exemplarité ? À moins que celui-ci ne se résume à une « foire commerciale », comme le craignait Danielle Mitterrand, cette grande dame à qui je rends ici hommage. (M. Jean-Jacques Mirassou applaudit.) À la tête de la fondation France Libertés, elle luttait aux côtés des « porteurs d’eau » pour faire admettre l’idée que « l’eau n’est pas une marchandise ».

Les manipulations auxquelles se livre l’État se manifestent encore à travers l’instrumentalisation des annulations de dettes, dont le montant s’élève cette année à quelque 1,8 milliard d’euros, soit le double de l’an passé, ou la désormais traditionnelle prise en compte de dépenses au lien pour le moins distendu avec l’aide publique au développement, tels les dépenses pour l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile ou les frais d’écolage des étudiants étrangers.

La francophonie multilatérale me fournira un autre exemple de cet ordre. Nul ne peut nier, me semble-t-il, que la francophonie est bien plus l’une des armes de la France dans son combat en faveur de la diversité culturelle qu’un outil au service de la coopération multilatérale. Or, ses crédits sont inscrits au programme 209 de la mission « Aide publique au développement » et viennent ainsi gonfler le budget que la France est censée consacrer à celle-ci, dont ils dévoient la philosophie.

Qu’ajouter, lorsque l’on constate que, malgré ces manipulations, le respect de l’engagement pris par la France au sommet de Gleneagles, en 2005, de parvenir à un effort en matière d’aide publique au développement de 0,7 % de son revenu national brut en 2015 est une perspective qui s’éloigne inexorablement ? Pour que cet engagement soit tenu, il faudrait que les crédits de l’aide publique au développement française augmentent de 17 % d’ici à 2015 !

Cette politique d’affichage menée par la France est d’ailleurs déplorée de toutes parts. Elle a été justement stigmatisée par nos collègues Christian Cambon et André Vantomme dans leur rapport d’information de mai dernier intitulé « L’AFD, fer de lance de la coopération française ». Selon eux, la France a « les ambitions des États-Unis avec le budget du Danemark ». De son côté, la rapporteure pour avis de la mission « Aide publique au développement » à l’Assemblée nationale, Mme Martinez, ne s’y trompe pas non plus lorsque, évoquant le poids des prêts et des annulations de dettes, elle s’inquiète de l’image de la politique française en matière d’APD sur la scène internationale.

Pour terminer, je souhaite aborder un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la situation en Haïti, notamment depuis le séisme, et l’aide que la France apporte à ce pays, dans le cadre tant bilatéral qu’européen et multilatéral.

Je m’étais rendue en Haïti lors de l’été 2010 avec mon collègue Richard Yung. Le dévouement et l’engagement des personnels de l’ambassade, de l’AFD, des militaires, des gendarmes français et des nombreuses ONG qui travaillaient sur place dans des conditions extrêmement difficiles m’avaient particulièrement touchée. J’avais d’ailleurs relevé que la partie humanitaire des opérations était conduite avec efficacité.

Dans le même temps, je regrettais déjà, à l’époque, la lenteur avec laquelle les projets et programmes de coopération se mettaient en place, qui induisait un fort sentiment d’inefficacité et était très mal perçue par la population locale.

Le compte rendu de la récente mission en Haïti du rapporteur spécial, M. Collin, ne me rassure malheureusement pas. Il me conforte au contraire dans la crainte que cet immobilisme n’entrave encore davantage la reconstruction du pays. M. Collin nous indique que, à la mi-2011, seulement 19,3 % des 57,1 millions d’euros alloués à Haïti dans le cadre de douze conventions avaient été attribués, 46,1 millions d’euros restant à verser. L’argent ne manque pas, mais il n’est pas utilisé !

La reconstruction d’un pays passe certes, au premier chef, par une solide planification et une concertation sérieuse. De multiples raisons, tenant à la communauté internationale ou à l’État haïtien, peuvent engendrer des retards. Je partage l’analyse de M. Collin quand il estime qu’un réexamen de certains projets trop mal engagés serait peut-être souhaitable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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