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Le Huffington Post – Français de l’étranger: comment l’UMP sort le grand jeu pour séduire un million d’électeurs

Les week-end du 22 avril et du 6 mai prochains, le monde entier participera à l’élection présidentielle française. Le monde? Du moins les 2,5 millions de Français résidant aux États-Unis, au Japon, en Suisse ou au Royaume-Uni, et dont un peu moins de la moitié sont enregistrés sur les listes électorales consulaires.

Un million d’électeurs, soit 2,2% du corps électoral hexagonal: une manne de voix qui pourrait jouer son rôle en cas de scrutin serré au soir du second tour, mais que les partis politiques français ont trop souvent tendance à négliger. Tous sauf un: l’UMP, qui a sorti l’artillerie lourde pour séduire un électorat lointain mais souvent favorable à son champion.

Ce mercredi 28 mars, l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy a annoncé le lancement de son site Internet La France Forte spécialement consacré aux expatriés. En ligne: des « cartes postales » d’encouragement venues du monde entier, un résumé de l’action du président sortant en faveur des Français de l’étranger, une galerie photos de ses amitiés avec les puissants de ce monde et surtout, toutes les modalités pour bien voter aux prochaines échéances électorales. Un geste pas tout à fait anodin, le vote expatrié se caractérisant par une très forte tendance à l’abstention.

Une niche électorale très convoitée
Pourquoi donc tant d’attentions? Flashback. Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy devançait largement Ségolène Royal dans le coeur et les urnes des Français de l’étranger, cumulant 53,99% des suffrages contre 46,01% pour la candidate socialiste. Selon les chiffres recensés sur le site du Sénat consacré aux expatriés, Nicolas Sarkozy l’avait emporté dans les trois pays accueillant les plus grandes communautés françaises – Suisse (57,3%), Etats-Unis (63,7%) et Royaume-Uni (53,3 %)- atteignant même des scores astronomiques en Israël (90,7%), à Monaco (83,4%) ou encore en Arménie (79,8%).

Au-delà de l’élection présidentielle, les Français résidant en dehors des frontières de l’Hexagone désigneront lors des législatives de juin pas moins de 11 députés pour les représenter à l’Assemblée nationale. Une innovation voulue expressément par le chef de l’État dans le cadre du redécoupage des circonscriptions électorales validé en 2009 et qui attise la convoitise des futurs parlementaires.

Des modalités de vote améliorées entre 2007 et 2012
Signe de l’attachement du président de la République au vote des expatriés, le dispositif électoral a été grandement amélioré sous le quinquennat afin d’inciter les électeurs vivant en dehors de nos frontières à se rendre aux urnes. Initiative hautement civique, « le nombre des bureaux de vote a été augmenté par rapport à 2007 : 206 bureaux supplémentaires, soit + 35,5 % », rappelle le site du ministère des Affaires étrangères. De quoi faire reculer l’abstention à l’étranger, salue-t-on à gauche comme à droite, même si le gouvernement tente de s’arroger le seul bénéfice de ces efforts.

En vue des législatives, deux modalités de vote à distance propres à l’élection des députés ont même été mises en place : le vote par correspondance sous pli fermé, « ouvert aux 70 000 électeurs ayant choisi cette modalité avant le délai fixé au 1er mars 2012 », ou le vote par voie électronique, ouvert à tous les électeurs ayant fourni une adresse courriel.

Toujours selon le site du ministère des Affaires étrangères, environ 67 % du corps électoral expatrié aurait ainsi confié une adresse mail. Soit un fichier consulaire de quelque 670.000 adresses électroniques, l’équivalent de celui constitué par le Parti socialiste lors de ses primaires citoyennes.

Un site, des mails et des spams
Or, ce fichier présente bien d’autres intérêts qu’une simple incitation à ne pas bouder les urnes. Selon plusieurs témoignages recueillis par Le Huffington Post en provenance notamment des Etats-Unis, de Chine ou du Japon, des Français de l’étranger ont reçu plusieurs mails politiques, entre six et sept, émanant de l’équipe de campagne du candidat Sarkozy.

Mobilisation des représentants locaux UMP, message solennel adressé par le président-candidat après la tuerie de Toulouse, message d’explication après l’annonce par Nicolas Sarkozy de sa volonté de taxer les exilés fiscaux à l’étranger… En bref, un condensé de la campagne UMP pour sensibiliser les expatriés aux débats qui agitent la France, réécrits sous un angle susceptible de les intéresser.

Ci-dessous, une vidéo adressée par mail aux Français expatriés suite à l’annonce de Nicolas Sarkozy de vouloir imposer les exilés fiscaux.

 

Certains internautes expatriés se sont d’ailleurs offusqués de recevoir des « spams politiques » qu’ils n’avaient expressément sollicités, comme le relevait dès février la presse francophone destinée aux expatriés. La démarche de l’UMP est pourtant bien légale, selon la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

Dans un rappel des règles en vigueur publié le 22 février 2012 suite aux plaintes de nombreux Français de l’étranger, la CNIL écrit noir sur blanc: « Lors de votre inscription au registre consulaire, vous avez pu fournir votre adresse électronique. Cette adresse figure donc alors sur la liste électorale consulaire. Tout comme la liste électorale des Français habitant en France, la liste des électeurs français de l’étranger peut être utilisée par les partis politiques et les candidats à des fins de communication politique. » Une application pure et simple de l’article L330-4 du code électoral.

Les mails que nous nous sommes procurés comportent d’ailleurs tous les mentions légales exigées par la CNIL, précisant l’article du code électoral ainsi que les modalités de désabonnement.

Soupçons de campagne électorale aux frais de l’Etat
Ce qui peut surprendre, c’est le nombre de courriels adressés davantage que leur nature. « Nicolas Sarkozy a choisi d’inonder les électeurs de mails, ce qui est contre-productif. Nous nous apprêtons nous mêmes à en envoyer. Mais nous souhaitons le faire de manière ciblée », note Claudine Lepage, sénatrice PS des Français de l’étranger, en charge du dossier au Parti socialiste.

Face à cette débauche de moyens aussi surprenante que légale, l’opposition accuse surtout le gouvernement de faire campagne aux frais de l’Etat. Car ces efforts -louables- d’information politique ont été précédés d’une série d’attention toutes particulières de la part de l’exécutif.

Un secrétariat d’Etat spécialement dédié aux Français de l’étranger a vu le jour en juin 2011 pour être « au plus près des préoccupations » des expatriés, selon le ministre des Transports, Thierry Mariani, en charge du dossier à l’UMP, et lui-même candidat à la députation dans la 11e circonscription (Russie, Asie, Océanie). Confié à l’ancien judoka David Douillet, puis, lorsque celui-ci a été appelé au ministère des Sports, à un protégé de Brice Hortefeux, Edouard Courtial, le ministère est assimilé par le PS a une véritable entreprise de lobbying électoral.

Pour Claudine Lepage, « M. Courtial est un agent électoral. Dans tous ses déplacements, payés par la République, il y a bien sûr des réunions UMP », nous a-t-elle confié. « Mon seul combat, c’est celui de la participation », esquive Edouard Courtial.

Le découpage des circonscriptions législatives à l’étranger a, lui aussi, fait l’objet d’une attention toute particulière d’Alain Marleix, ancien ministre et M. Elections de l’UMP. « Le choix de regrouper le Portugal et l’Espagne avec Monaco, ou l’Italie avec Israël, avait évidemment vocation à compenser le vote gauche-droite en faveur du gouvernement », assure Claudine Lepage.

Les détracteurs de l’UMP, tout comme la presse expatriée, n’ont d’ailleurs pas manqué de relever l’omniprésence des ministres candidats aux législatives dans leurs toutes nouvelles circonscriptions, et ce grâce aux moyens de la République. Thierry Mariani, ministre des Transports, s’est ainsi déplacé à 24 reprises en un an dans sa circonscription Asie-Océanie. Ainsi, le 15 mars dernier, le ministre était-il l’invité d’honneur de l’Union des français de l’étranger à Shenzen (Chine), relève non sans ironie lepetitjournal.com, évoquant « une nouvelle coïncidence de calendrier ».

Aux Etats-Unis, c’est un autre ministre UMP, Frédéric Lefebvre, candidat dans cette circonscription, qui a vu ses déplacements ministériels passés au peigne fin par ses adversaires politiques. Le ministre a lui-aussi été cité par l’opposition socialiste dans la lettre qu’elle a adressée à la Commission des comptes e campagne pour se plaindre de la confusion des genres pratiquée par les ministres-candidats.

Une confusion des genres sur laquelle la Commission des comptes sera amenée à se prononcer, mais après les élections.

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