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Intervention lors débat au Sénat sur la diversité linguistique dans les Institutions européennes

Je suis intervenue hier soir, au nom du groupe socialiste, dans le débat sur la proposition de résolution européenne sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes.

Bien que l’Europe se construise dans le respect de la diversité de ses cultures et de ses langues, nous devons constater que l’application du principe du multilinguisme n’est pas satisfaisante.

Le Sénat a donc souhaité se saisir de cette question, pour inciter le gouvernement français à œuvrer dans des directions précises et liantes auprès de l’Union européenne pour lui permettre d’améliorer sa politique de diversité linguistique et de mieux respecter les termes de la Charte des droits fondamentaux tendant à assurer le respect de cette diversité.

Il convient, en effet, d’adopter une politique volontariste de diversité linguistique. Rappelons que la France a, par le passé, toujours joué un rôle moteur au sein de l’Union européenne, dans le domaine culturel (mise en place du principe de diversité culturelle, adoption de dispositions protectrices pour les œuvres ou la production européennes dans la directive Télévision sans frontière….). Elle ne peut pas être en retrait dans le cadre de la protection de la diversité linguistique.

Dans le souci de rendre la résolution plus contraignante, j’ai également présenté, avec ma collègue Bernadette Bourzay, deux amendements visant notamment, à l’exemple de la motion adoptée par le Bundestag allemand à l’automne 2008, à associer davantage les différents états membres de l’UE à l’élaboration d’une nouvelle politique de traduction des réunions et d’interprétation des documents de travail. Ces deux amendements ont été adoptés, comme l’ensemble de la résolution.

Séance du 25 mars 2009 (compte rendu intégral des débats)

RESPECT DE LA DIVERSITE LINGUISTIQUE DANS LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS EUROPEENNES
Adoption d'une résolution européenne

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « l'unité dans la diversité », telle est la devise que s'est choisie l'Europe, aux côtés de son drapeau et de son hymne. Cette devise symbolise l'esprit même de la construction européenne, qui a toujours veillé à respecter tant la diversité des cultures que les langues de chacun des États membres. D'ailleurs, rappelons-le, le premier acte législatif de la Communauté européenne, le règlement CE n° 1/1958 publié le 6 octobre 1958 et fixant le régime linguistique de l'Union européenne, est extrêmement clair sur le sujet, en proclamant le principe d'égalité des langues de la Communauté. Ainsi l'Union européenne compte-t-elle aujourd'hui 23 langues officielles et de travail.

Ce multilinguisme institutionnel est un beau principe ! Malheureusement, la réalité est bien différente, et ce en dépit des dispositions adoptées ultérieurement ; je pense, en particulier, à la Charte des droits fondamentaux de l'Union, qui interdit « toute discrimination fondée notamment sur la langue » et consacre la diversité linguistique, aux côtés de la diversité culturelle et religieuse ou du « code de conduite du multilinguisme », adopté par le bureau du Parlement européen.

On ne peut que constater, et regretter, l'hégémonie toujours plus grande de la langue anglaise, au détriment du recours au français ou à l'allemand, sans bénéfice aucun, il faut le souligner, pour les autres langues européennes.

Nous devons, bien sûr, en premier lieu, inciter les institutions européennes à simplement respecter leurs obligations linguistiques. À cet égard, un rapprochement de la France avec tous les pays européens dont l'usage de la langue officielle est négligé dans le processus décisionnel des institutions européennes est essentiel.

Nous devons avoir le souci de développer un partenariat dans le domaine de la formation des fonctionnaires nationaux et européens. Ce processus est d'autant plus important que fonctionnaires et parlementaires européens sont, dans la pratique, fortement incités à s'exprimer en anglais. L'obstacle est essentiellement présenté comme budgétaire, compte tenu notamment de la priorité d'assurer un niveau de traduction convenable pour les 23 langues officielles de l'Union. Il faut savoir que le Parlement européen consacre un tiers de son budget à la traduction et à l'interprétariat.

Ne manquons pas de saluer l'action franco-allemande demandant la maîtrise d'une seconde langue pour l'accès aux postes à responsabilité des fonctionnaires européens.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme Claudine Lepage. En effet, la formation linguistique des fonctionnaires et des responsables européens, tout comme celle des fonctionnaires nationaux des États membres, constitue un enjeu majeur pour le multilinguisme. À cet égard, le plan pluriannuel d'action pour le français en Europe signé dès 2002 avec la Communauté française de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF, est très positif. Seize pays y sont même associés plus étroitement par la signature de mémorandums avec l'OIF prévoyant le renforcement des capacités de travail en français de leurs fonctionnaires.

L'enseignement du français peut être confié aux enseignants du réseau de nos établissements culturels à l'étranger. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer la baisse des moyens mis à la disposition de notre réseau culturel à l'étranger. Or, nous le savons, la diminution des moyens publics consacrés à l'action culturelle de la France est dramatique : les dotations sont réduites de 15 % à 30 % selon les pays, et cette baisse devrait encore se poursuivre, voire s'accentuer, en 2010 et 2011.

Déjà un tiers des instituts culturels ont été fermés en Europe ces dernières années. Pourtant, nous n'avons pas d'autre choix que d'investir massivement dans notre offre de formation en français.

Cette situation est d'autant plus paradoxale que d'autres pays européens suivent une politique inverse en investissant dans l'action culturelle et linguistique extérieure. Les instituts Goethe ou Cervantes poursuivent, eux, une politique de développement. L'Instituto Cervantes a connu une hausse de 63 % entre 2002 et 2007. Quant au Goethe-Institut, il a bénéficié récemment d'un accroissement notable de ses subventions publiques.

La restructuration de notre réseau culturel, sans doute nécessaire, ne doit pas servir d'alibi pour le brader. La France a besoin de ce réseau, véritable soft power – permettez-moi ce clin d'œil ! – de notre diplomatie.

Le ministre des affaires étrangères et européennes nous présente actuellement les grandes lignes de la réforme de l'action culturelle extérieure. Cette réforme suscite déjà de grandes inquiétudes ou, pour le moins, de nombreuses interrogations.

Ne perdons pas de vue que, pour inciter à la pratique de notre langue, et également contribuer à l'imprégnation de nos valeurs, il faut savoir « donner l'envie » de notre culture. Cette envie de culture française est indispensable au développement de l'apprentissage de la langue française. Or celui-ci est en net recul en Europe. Des études menées ces dernières années ont montré que seuls 6 % des élèves scolarisés apprenaient le français, ce qui représente une baisse de trois points en moins de dix ans. Par ailleurs, le français est de plus en plus fréquemment enseigné seulement en troisième langue, après l'anglais, bien sûr, après une langue régionale comme le catalan en Espagne, ou encore après le latin en Bavière.

Ce délaissement de l'apprentissage des langues étrangères autres que l'anglais est d'ailleurs perceptible dans de nombreux pays européens. L'objectif du Conseil européen de Barcelone de 2002, qui visait à améliorer la maîtrise des compétences linguistiques de base, notamment par l'enseignement d'au moins deux langues étrangères, est donc loin d'être atteint. Bien plus, l'Italie pourrait renouveler sa tentative de réforme visant à encourager l'apprentissage unique de l'anglais au détriment de toute autre langue étrangère, ajournée en 2005 à la suite des avertissements de la Commission européenne. Et savez-vous qu'au Royaume-Uni l'étude des langues étrangères n'est même plus obligatoire au lycée ?

La mise en œuvre effective de l'objectif du Conseil européen de Barcelone de 2002 demeure une priorité. Dans ce domaine, la France se doit d'être exemplaire. Comment attendre en effet une bonne connaissance de notre langue si nous-mêmes ne faisons pas l'effort, par respect pour nos partenaires européens, de nous exprimer aussi dans une autre langue européenne que l'anglais ?

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C'est vrai !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Très bien !

Mme Claudine Lepage. Déjà, en 1994 et en 2003, les rapports d'information remis par notre collègue Jacques Legendre, au nom de la commission des affaires culturelles, exprimaient une vive inquiétude face aux enjeux relatifs à l'apprentissage des langues étrangères dans un environnement mondialisé. Aujourd'hui, cette inquiétude n'est pas dissipée.

Une telle situation ne peut que nous inciter à mener une réflexion sur la pédagogie de l'apprentissage des langues en France.

Dans le système éducatif français, seulement 10 % de l'emploi du temps des élèves est consacré aux langues. En comparaison, les Allemands, qui donnent beaucoup plus d'importance à l'enseignement des langues étrangères que nous, considèrent qu'un quart de l'emploi du temps d'un élève doit y être consacré.

L'apprentissage le plus précoce possible est également nécessaire. Le système éducatif français a, certes, accompli de nombreux progrès dans ce domaine depuis les dernières années, avec l'initiation obligatoire d'une langue dès le primaire, mais cela reste encore insuffisant.

Par ailleurs, dans certains systèmes éducatifs, les professeurs de langues de collèges et de lycées doivent faire une partie de leurs études à l'étranger, contrairement à la France où ce séjour n'est même pas obligatoire, ce qui, vous l'avouerez, est regrettable.

Le rapport d'information de la commission des affaires culturelles de la fin de l'année 2003 sur l'enseignement des langues étrangères en France préconise même le recours à des professeurs étrangers ou à des assistants étrangers, formés spécifiquement aux programmes français. En effet, dans un cadre de développement du multilinguisme, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les bienfaits d'un apprentissage par un locuteur natif.

Certes, l'apprentissage des structures grammaticales et lexicales peut être dispensé par un professeur non natif, mais qui mieux qu'un natif, sans même insister sur la maîtrise de l'accent, peut enseigner parfaitement le mode de pensée et d'expression propre à chaque langue, ainsi que les codes interculturels de communication non verbale ? Faut-il rappeler à cet égard que, si la langue est en premier lieu un outil de communication, elle se doit d'être aussi le vecteur d'une culture.

En conclusion, j'indique que le groupe socialiste soutiendra cette proposition de résolution, même s'il aurait souhaité un texte plus contraignant, comparable à celui qui a été adopté par le Bundestag le 18 juin 2008. C'est d'ailleurs le sens des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements.)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !


Publié le 26 mars 2009