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Maltraitance des enfants: le Sénat adopte une proposition de loi pour faciliter les signalements

Chaque jour, deux enfants meurent sous les coups de leurs parents.  L’on dénombre 700.000 dossiers de mauvais traitements, prés de 100.000 cas connus d’enfants en danger. Ces chiffres sont accablants. Et entrouvrir les yeux à la faveur de faits divers, plus sordides et horribles les uns que les autres ne suffit pas. Il importe de prendre conscience des lacunes de notre société dans le signalement de la maltraitance des enfants.

Contrairement aux idées reçues, ce phénomène peut toucher toutes les familles, toutes les classes sociales, tous les milieux. Or, ce cliché, comme bien d’autres, peut parfois être un frein pour les médecins quand il s’agit de signaler. Alors même que la maltraitance infantile est bien un phénomène de masse et par là un véritable problème de santé publique. Les études internationales montrent que 10% des enfants sont victimes de maltraitance infantile. Et parmi ces 10%, 90% des cas ne sont pas signalés.

Je salue donc l’adoption à l’unanimité de cette proposition de loi de la sénatrice LR Colette Giudicelli tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé.  S’il est vrai que dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser et que la crainte de poursuites pour dénonciation calomnieuse est tout à fait légitime, il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger émanent de médecins.

En posant le principe de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des médecins, mais aussi des auxiliaires médicaux (infirmières ou sages-femmes) amenés à alerter la justice face à une situation de maltraitance,
ce texte doit permettre de les encourager à dénoncer plus facilement et plus rapidement d’éventuels mauvais traitements.

 

 

Lire ci-dessous mon intervention en discussion générale et ici l’ensemble des débats.

Madame la Présidente, Madame la Ministre, Monsieur le Rapporteur, Mes chers Collègues,

Mon collègue Jacques Bigot, qui avait suivi ce texte en première lecture au Sénat, ayant été empêché à Strasbourg, j’interviens aujourd’hui à sa place en tant que représentante de notre groupe. Ce texte a été examiné au fond par la Commission des lois, mais vous accepterez, Monsieur le Président Philippe BAS, je l’espère, qu’une membre de la Commission de la culture s’exprime sur ce sujet qui nous touche tous.

Comme l’on dit les précédents orateurs, nous examinons en deuxième lecture, la proposition de loi de notre collègue Colette GUIDICELLI faisant l’objet d’un large consensus que ce soit dans notre chambre ou à l’Assemblée nationale. Cette situation n’arrivant pas si souvent, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Consensus d’abord quant à l’objectif du texte: faciliter et clarifier la procédure de signalement des enfants victimes de maltraitance. Nous sommes ainsi unis derrière un but commun, protéger les enfants en danger en leur venant en aide le plus tôt possible. Il est parfois nécessaire de rappeler de telles évidences !
Notons, cependant, que ce souci du législateur, à l’image de celui de notre société, est relativement récent. L’acceptation sociale d’une immixtion au sein même de la cellule familiale ne date que de quelques décennies et a engendré une augmentation notable des situations de violence constatées. Ces cas indignent régulièrement, et à raison, l’opinion, mais rappelons-nous qu’ils sortent simplement de l’invisibilité, puisque ces histoires restaient de sordides et tristes « histoires de familles » qui ne passaient pas le seuil de la porte.
Je salue, bien sûr ce changement global d’attitude qui doit être poursuivi, et je sais, Madame la Ministre, que vous y veillez comme le manifeste encore tout récemment le travail commun réalisé avec votre ministère sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

Consensus ensuite quant au dispositif. En effet, le texte initial créait une obligation de signalement pesant sur le médecin. Très vite, est apparu un potentiel effet pervers de cette nouvelle obligation : l’engagement de la responsabilité de ce dernier en cas de non-signalement. Monsieur le Rapporteur François PILLET a donc apporté des précisions lors de la première lecture au Sénat.
Le texte qui nous est, aujourd’hui, soumis affirme sans ambiguïté dans son article 1er que le médecin, mais aussi tous les professionnels et auxiliaires médicaux, ne peuvent voir leur responsabilité pénale, civile ou disciplinaire engagée en cas de signalement – sauf, bien sûr, et j’y reviendrai, en cas de mauvaise foi.
En me plongeant dans ce dossier, j’ai été surprise d’apprendre que seuls 1% des signalements sont le fait de médecins libéraux ! Ce pourcentage, extrêmement bas, est davantage étonnant encore quand l’on réalise que ces professionnels sont pourtant ceux qui sont les plus susceptibles d’être en contact relativement fréquent avec les enfants. Cette situation témoigne clairement de la crainte de poursuites de la part des médecins, qu’il est impératif de pallier.
Par ailleurs, ce texte précise la possibilité de s’adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, appelé CRIP, afin de répondre à la réticence de certains médecins à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.
Comme vous chers collègues, j’ai reçu des courriers me demandant de réintroduire l’obligation de signalement. Cependant, je pense qu’il convient de laisser la possibilité au seul médecin, qui la saisira, assurément, au moment opportun. Cette disposition pourra, en tout état de cause comme l’a rappelé Madame Colette GUIDICELLI, être évaluée lorsque nous ferons le bilan de cette loi.

Consensus enfin quant aux moyens fournis par ce texte. Son article 2, adopté conforme au Palais Bourbon, prévoit ainsi que les médecins sont formés à la détection et au signalement des situations de maltraitance aux autorités administratives et judiciaires. Comme nous l’évoquions la semaine dernière dans cet hémicycle, lors du débat sur la lutte contre le système prostitutionnel, la formation est toujours un élément clé, sinon la clé, afin de mieux appréhender ces situations complexes. De nombreux professionnels sont aujourd’hui démunis face à des situations qu’ils ne savent pas comment appréhender. Par ailleurs, comme l’a expliqué le Rapporteur, rappelons-nous que dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser.

Forts de tous ces consensus, nous n’en avons pas moins ignoré que cette nouvelle irresponsabilité du médecin pouvait être instrumentalisée à des fins malveillantes. Le législateur, lorsqu’il rédige la loi doit penser que certains chercheront à la détourner de son esprit et à l’utiliser à d’autres fins. Point d’angélisme ici : nous avons bien prévu le cas où le médecin signale de mauvaise foi un prétendu mauvais traitement. Nous connaissons tous des histoires de séparations douloureuses, qui peuvent se transformer en véritables guérillas où tous les moyens sont bons pour nuire à l’autre parent, y compris l’instrumentalisation des enfants. Nous imagions alors malheureusement facilement comment notre texte pourrait être détourné.
Aussi l’alinéa 6 de l’article 1er précise-t-il que cette irresponsabilité tombe si, je cite, « il est établi [que le professionnel de santé] n’a pas agi de bonne foi ». Il appartient alors à celui qui invoque cette mauvaise foi de la démontrer.

Je conclus mes chers collègues en espérant qu’à l’instar de l’unanimité du Sénat le 10 mars dernier, puis de l’unanimité de l’Assemblée nationale le 11 juin dernier, nous adopterons unanimement ce texte, dont, de surcroit, un vote conforme, clôturerait, dès ce matin, le parcours législatif.

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