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CSG/CRDS: le Conseil d’Etat confirme, une nouvelle fois, la non-imposition des non-résidents

Je salue cet arrêt du Conseil d’Etat rendu hier 27 juillet. Il importe aujourd’hui que l’Etat prenne acte de ces décisions de justice, modifie la réglementation et rende plus accessible à tous, non-résidents en Europe ou hors d’Europe, le dispositif de remboursement des prélèvements qui ont été indûment réalisés, depuis 2012, sur les revenus du patrimoine des non-résidents qui ne sont pas affiliés au système français de sécurité sociale.
L’arrêt n° 334551 vient d’être publié sur le site du Conseil d’Etat  (lire aussi  l’arrêt dans son ensemble en fin d’article) et vous pouvez aussi lire l’article de presse qui se fait, déjà, l’écho de cette décision ce matin:

L’Etat va devoir rembourser plusieurs centaines de millions d’euros aux contribuables résidant à l’étranger. C’est la conséquence d’une décision rendue lundi par le Conseil d’Etat, confirmant un premier jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En février, la cour du Luxembourg avait rendu un jugement contraignant la France à restituer la CSG et la CRDS qu’elle prélève sur certains revenus. En ligne de mire : une mesure du budget rectificatif de l’été 2012 qui a assujetti les revenus immobiliers (loyers et plus-values de cessions) des non-résidents aux prélèvements sociaux de 15,5 %. Le Conseil d’Etat reprend le principal argument de la CJUE qui interprète la CSG comme une cotisation sociale et non comme un impôt. Dès lors, les contribuables n’étant pas affiliés au régime français de Sécurité sociale ne peuvent pas se voir réclamer la CSG et la CRDS, car ils ne bénéficient pas des prestations.

Cette décision ouvre la voie à de nombreuses réclamations auprès du fisc de la part de contribuables résidant à l’étranger, sachant que le délai de prescription est de deux ans. L’impact budgétaire, encore méconnu, devrait se chiffrer en centaines de millions d’euros. Lors de l’adoption de la mesure, en 2012, son rendement avait été évalué à 250 millions par an. Mais les premières estimations montrent que les montants indûment perçus pourraient être plus élevés. Dans le rapport sur l’application des mesures fiscales de 2013, publié l’an dernier par la rapporteure du budget, Valérie Rabault (PS), le coût de la réclamation se chiffrait entre 300 et 320 millions d’euros pour la seule année 2013. En tout, 66.672 contribuables seraient concernés.

Au-delà de son impact budgétaire, ce jugement du Conseil d’Etat soulève une nouvelle fois le problème lié à la nature hybride de la CSG, destinée à financer la protection sociale. L’Europe la voit comme une charge sociale alors que la France la considère comme un impôt. « Peut-on avoir une appréhension en droit interne qui ne reprend pas la qualification de l’Union européenne ? questionne Charles Ménard, avocat fiscaliste chez EY. Ce jugement pourrait amener le Conseil constitutionnel à changer sa grille de lecture sur la CSG. »

Réforme fiscale

C’est donc bien là une réforme fiscale d’ampleur qui est en jeu. Montée en puissance dans les années 90, la CSG rapporte près de 90 milliards d’euros par an à l’Etat, plus que l’impôt sur le revenu. Après la décision de la CJUE, le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, n’avait pas nié la portée de ce jugement. « C’est sur l’ensemble de la CSG qu’il faudrait travailler [pas uniquement sur celle des non-résidents, NDLR]. Ce qui pose la question du financement du régime de protection sociale », avait-il déclaré. A l’époque, le gouvernement disait vouloir attendre la position du Conseil d’Etat pour se prononcer sur ces prélèvements. La balle est désormais dans son camp.

Ingrid Feuerstein/ Les Echos/
Conseil d’État

N° 334551
ECLI:FR:CESSR:2015:334551.20150727
Inédit au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réuniesM. Vincent Villette, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

Lecture du lundi 27 juillet 2015
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 17 juillet 2013, le Conseil d’État, statuant au contentieux sur les pourvois du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat tendant à l’annulation des arrêts n° 06MA01101 du 15 octobre 2009 et nos 07MA01676, 09MA00513 et 09MA003828 du 1er juillet 2010 de la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé ces arrêts et décidé de régler les affaires au fond, a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent, du seul fait qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, et s’ils entrent ainsi dans le champ de ce règlement.

Par un arrêt n° C-623/13 du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur cette question.

Par un mémoire récapitulatif et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 13 avril et 28 avril et les 2 et 29 juin 2015, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions antérieures et demande le maintien des prélèvements sociaux relatifs aux années 1999 à 2004, auxquels M. D…a été assujetti à raison des rentes viagères à titre onéreux qu’il a perçues de sources néerlandaises.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d’État du 17 juillet 2013 ;

Vu :
– le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971 ;
– l’arrêt n° C-623/13 du 26 février 2015 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

– les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B…D…et de Mme C…A…;

1. Considérant qu’aux termes de l’article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige :  » 1. (…) les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre. « , que le a) du 2. de ce même article dispose que :  » la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre (…)  » ;

2. Considérant que dans l’arrêt du 26 février 2015 par lequel elle s’est prononcée sur la question dont le Conseil d’État, statuant au contentieux, l’avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement présentent un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 et qu’ils entrent ainsi dans le champ de ce règlement ;

3. Considérant qu’il résulte de l’interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l’Union européenne que les prélèvements fiscaux litigieux, assis sur les rentes viagères à titre onéreux perçues de sources néerlandaises par M.D…, entrent dans le champ du règlement du Conseil du 14 juin 1971 dès lors qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale ; qu’il suit de là qu’ils sont soumis au principe d’unicité de législation posé par l’article 13 du règlement du 14 juin 1971 cité au point 1 ;

4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. D…était salarié de la société néerlandaise Vermeer Verenigde Bedrijven BV, dont le siège est aux Pays Bas ; que, si ses fonctions de responsable de la négociation de grands contrats à l’étranger lui permettaient de résider en France, cette seule circonstance, alors que la société néerlandaise qui l’employait n’avait en France aucun établissement stable, ou succursale ou représentation, et dirigeait l’activité de M. D…depuis les Pays-Bas, ne suffisait pas à le faire regarder comme exerçant une partie de son activité en France ; que, par suite, et en application des dispositions de l’article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, M. D…ne saurait être soumis à la législation sociale française et relevait du seul régime de sécurité sociale néerlandais, sans qu’ait d’incidence sur ce point la circonstance qu’il en ait demandé confirmation à la caisse française dont il aurait dépendu ; que les dispositions du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatives à divers cas d’emploi par plusieurs entreprises ou d’activités salariés dans plusieurs pays ne sauraient non plus être invoquées, dès lors qu’elles ne pouvaient concerner la situation de M. D… ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que MmeA…, venant aux droits de M.D…, est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille et le tribunal administratif de Nîmes ont rejeté les demandes de son époux tendant à ce qu’il soit déchargé des prélèvements auxquels il a été assujetti sur les revenus du patrimoine en litige, au titre des années 1997 à 1999, et 2001 à 2004 ;

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme de 5 000 euros à verser à MmeA…, veuveD…, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :
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Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 13 février 2006 est annulé en tant qu’il a statué sur les compléments d’imposition auxquels M. D…a été assujetti au titre des années 1997 à 1999 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu’il a perçues de sources néerlandaises.

Article 2 : Les jugements du tribunal administratif de Nîmes en date des 27 février 2007, 2 décembre 2008 et 15 septembre 2009 sont annulés en tant qu’ils ont statué sur les compléments d’imposition auxquels M. D…a été assujetti au titre des années 2001 à 2004 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu’il a perçues de sources néerlandaises.
Article 3 : M. D…est déchargé des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social de 2 % et de contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels il a été assujetti au titre des années 1997 à 1999, et 2001 à 2004, à raison des rentes viagères à titre onéreux qu’il a perçues de sources néerlandaises.
Article 4 : L’État versera à Mme A…la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à Mme C…A….

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