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Mauvais rêve

bdComme beaucoup d’entre vous après un séjour en France, j’en suis rentrée troublée, inquiète. Un peu comme après un mauvais rêve qui nous laisse mal à l’aise une partie de la journée. Seulement cette fois-ci, le malaise ne s’est pas estompé. Et je n’arrive pas à croire qu’en quelques semaines on en soit arrivé là. Depuis le début de l’été la droite – décomplexée pour certains, triomphante pour les autres – ne se contente pas de s’afficher, elle agit. Sans nuances, même pas par petites touches, pourquoi se gênerait-elle d’ailleurs ?

Une droite sans gêne

Alors cela donne à Argenteuil (rappelez-vous le « on va vous débarrasser de cette racaille » durant la campagne présidentielle, c’était là) un maire UMP heureux qui prétend utiliser un répulsif anti sans-abri pour empêcher la misère de s’incruster trop près des commerces du centre ville. « Je ne regrette pas le principe du spray, je ne regrette pas l’intention. Je regrette juste l’exploitation médiatique et politique qui s’en est suivie » a-t-il déclaré après en avoir suspendu l’utilisation. Le même avait pris auparavant un arrêté anti-mendicité – annulé lui aussi depuis sous la pression des associations – arrêté dans lequel était évoquée la « gêne olfactive » induite par les mendiants … La droite n’est pas décomplexée, elle est maintenant sans gêne.

Une justice politique

Cela donne aussi une frénésie de projets de loi, tous autant inquiétants les uns que les autres. Par exemple, tous les faits divers graves sont maintenant prétextes à (re)légiférer : mettant systématiquement en avant la douleur des victimes ou de leur famille le président et son gouvernement, compassionnels jusqu’à l’outrance, entendent utiliser la justice pénale comme, dixit Robert Badinter, « une thérapie de la souffrance des victimes ». « La justice », écrit l’ancien garde des sceaux dans Le Monde, « ne peut se confondre avec la vengeance ni avec la compassion pour les victimes ». Pourtant le pouvoir préfère utiliser le cocktail explosif fait divers – médias – vague émotionnelle – loi pour réagir, quitte à faire gronder l’ensemble de la magistrature : hôpital-prison pour délinquants sexuels dangereux où ils iraient après leur peine (un juge ordonnerait alors une détention sans infraction ni condamnation …) ou, encore plus surréaliste, organisation de procès pour les irresponsables pénaux … La justice mise au service du marketing politique en quelque sorte.

Le chiffre tue

Toujours boulimique en matière de loi le gouvernement n’est pas en reste sur l’immigration et le regroupement familial. Pourtant durant la précédente législature les lois, décrets, circulaires et arrêtés n’ont pas manqué. Qu’importe ! Aujourd’hui la cible est autant l’électorat de l’UMP que l’immigration elle-même. On fixe bruyamment des quotas d’expulsion oubliant que derrière chaque chiffre il y a des enfants des femmes et des hommes qui ont une histoire. N’eut été le drame occasionné par la chasse aux sans papiers avec la défenestration du jeune Ilan à Amiens puis, plus tard à Paris, la mort dans les mêmes conditions d’une Chinoise, les médias n’auraient rien trouvé à redire à cette brutale politique spectacle. Pourtant « Le chiffre tue » écrit le GISTI. Au même moment la presse, toujours elle, nous annonce que Bruxelles veut faire venir en Europe 20 millions de travailleurs étrangers d’ici 20 ans … le commissaire européen à la Justice, Franco Frattini, précisant que « nous devons regarder l’immigration non pas comme une menace mais — si elle bien gérée et c’est notre nouvelle tâche — comme un enrichissement et un phénomène inévitable dans le monde d’aujourd’hui ». Brice Hortefeux a dû s’étouffer en entendant cela !

Un regroupement familial improbable

Quant au regroupement familial j’ai été choquée non seulement par l’amendement Mariani – au passage « Monsieur Français de l’étranger » de l’UMP – sur les tests d’ADN (quid des familles recomposées et des enfants adoptés ?), mais sans doute autant de voir imposer aux candidats à l’immigration (familiale) de plus de 16 ans un examen de français dans leur pays d’origine, y compris pour rejoindre un parent de nationalité française. « Demander à quelqu’un qui veut rejoindre sa famille de parler français avant même de pénétrer sur le territoire, c’est une atteinte au droit fondamental de vivre avec sa famille, et ce ne serait pas conforme à la Constitution. A ce titre, la mesure avait été retirée de la version initiale de la loi Sarkozy de 2006 » rappelle Patrick Weil. Une chose est sûre : ce n’est pas en durcissant les modalités du regroupement familial que la France incitera les étrangers à venir travailler chez elle, alors qu’elle doit satisfaire durablement des besoins sans cesse croissants dans des secteurs en déficit de main d’œuvre tels que le bâtiment, la restauration, le nettoyage ou les aides à la personne. Le corollaire étant que ces mesures risquent de n’avoir pour effet, au bout du compte, que d’augmenter le nombre de personnes en situation irrégulière …

Un va-t-en guerre inquiétant

Lors de la dernière convention FFE il a été souligné le caractère particulièrement inquiétant du discours du président Sarkozy devant les ambassadeurs réunis à Paris. Par-delà la forme et la gestuelle du discours, destinées avant tout aux médias, il est en effet préoccupant d’entendre notre président pérorer sur une – je reprends ici les termes utilisés par les participants à la convention – « confrontation entre l’Islam (une religion) et l’Occident (un ensemble géographique). Cette vision du monde occidentalo-centriste est proche du néo-conservatisme américain et confirme une vision judéo-chrétienne de l’Europe. Il s’intéresse uniquement à la « sécurité du monde occidental » et exprime une phobie du monde arabe ». La presse internationale, tant en Europe que dans le reste du monde, d’abord curieuse du personnage puis amusée avant d’être horripilée, s’interroge maintenant sur les fondements de sa politique étrangère. Si le virage atlantiste semble évident, on ne saisit pas bien l’intérêt qu’il y a à vouloir à tout prix soutenir un président américain désavoué et en partance. Gordon Brown dans l’expectative, Nicolas Sarkozy s’est empressé de prendre la place de Tony Blair auprès de Georges Bush. Si certains voient dans les déclarations martiales de Kouchner et de Sarkozy un changement de rhétorique mais pas d’intention, « le langage diffère de celui qu’employait Jacques Chirac, mais l’objectif reste le même : prévenir la déflagration régionale que pourraient entraîner des frappes militaires américaines ou israéliennes sur l’Iran » (Le Monde), il n’en reste pas moins vrai que l’on a surtout l’impression que la France s’aligne ouvertement sur la position américaine et que se prépare le retour de notre pays dans la structure militaire de l’Otan. Que reste-t-il maintenant comme argument à notre diplomatie après l’escalade verbale si rapide et si violente de ces dernières semaines ? Quant à l’Europe, tant dans l’affaire des infirmières bulgares que dans celle du « mini-traité » Nicolas Sarkozy a réussi à excéder ses pairs par son arrogance et son agitation médiatique.

Une journée sans Sarko

Car c’est cela qui finalement, lors d’un séjour en France, est le plus marquant, le plus pesant : l’omniprésence du couple présidentiel. Quand ce n’est pas dans la presse politique c’est dans la presse « people » que l’on le retrouve à longueur de journée. A tel point que, je ne sais plus qui, a proposé d’instaurer en France une journée sans Sarkozy à l’instar de la journée sans tabac …

Rentrée en Allemagne le malaise ne se dissipe pas. Je suis inquiète car en fait de rupture c’est plutôt la continuité : la politique économique et sociale va continuer de profiter aux plus aisés de notre société.

Mauvais rêve

Et la gauche alors, et le Parti socialiste comment réagissent-ils à ce début de règne ? Là aussi c’est un peu comme après un mauvais rêve : sonnés, ils répondent aux coups tant bien que mal mais n’arrivent pas encore à reprendre l’initiative, occupés qu’ils sont, que nous sommes, à faire un aggiornamento qui n’en finit pas. Si je me refuse à adopter la posture facile qui consiste à rendre les leaders responsables de tous nos maux et à les renvoyer dos à dos, j’attends avec impatience le moment où nous trouverons la force de nous entendre pour repartir ensemble à la reconquête des électeurs, du pouvoir. Mais ça c’est une autre histoire qui mérite à elle seule un autre message.

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