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3 questions à Patrick Peugeot, Président de la CIMADE

1) Pouvez-vous nous présenter la CIMADE, et raconter comment le PDG d’un groupe mondial d’assurances en est devenu le président ?

J’ai travaillé à la Cimade depuis 1970 dans différents cadres et lorsque mon prédécesseur a dû quitter ses fonctions pour raisons de santé et que l’on s’est tourné vers moi pour me demander de le remplacer, il n’a pu être question de refuser. L’assemblée générale qui m’a élu souhaitait pouvoir engager rapidement à la fois les réactions nécessaires à la nouvelle loi soumise au Parlement par le Ministre de l’Intérieur, et engager une nouvelle campagne baptisée « Assez d’humiliation ! ».

En effet, la Cimade a été créée en 1939 pour venir en aide aux personnes déplacées par la guerre. Depuis bientôt 70 ans donc, cette association est aux côtés des déplacés, aujourd'hui étrangers, migrants, demandeurs d'asile et réfugiés. Les centaines de membres de la Cimade, bénévoles, militants, salariés, accueillent, accompagnent et défendent aujourd'hui au quotidien les étrangers et migrants, dans des lieux d'accueil, d'hébergement, d'insertion, mais aussi dans les centres de rétention et les prisons. La Cimade apporte son expertise et ses conseils aux étrangers afin qu'ils parviennent à faire respecter leurs droits face à une législation toujours plus complexe et restrictive. Nous intervenons notamment dans les centres de rétention administrative, où la Cimade est chargée par les pouvoirs publics d'une mission d'accompagnement et de défense des droits des étrangers contraints de quitter le territoire. Nous soutenons également des partenaires dans les pays du Sud.

2) La CIMADE vient de publier des propositions pour une autre politique d’immigration. Comment ont-elles été élaborées et quel en est le fil directeur ?

De mesures concrètes, applicables immédiatement à des perspectives de plus long terme, ces 75 propositions portent sur différents niveaux. Leur nombre témoigne de la complexité du sujet. Mais l'ensemble dessine ce que pourrait être une politique d’immigration reposant d'abord sur les principes d'humanité, d'égalité et de justice.

Nous ne souhaitons pas mettre en avant aujourd'hui telle ou telle proposition, pour bien expliquer notre démarche qui dépasse le cadre des échéances électorales. Il s'agit avant tout d'interpeller les responsables politiques et la société en leur présentant un constat global : la politique développée par les États européens depuis une quinzaine d'années en matière d'immigration et d'asile est une impasse pour la démocratie. Elle atteint l'intolérable quand on prend conscience de ce qui se passe à nos frontières – les milliers de morts en Méditerranée et dans l'Atlantique – ou en observant la folle fuite en avant du dispositif d'expulsion des sans-papiers. Face à ce constat, les 75 propositions que nous présentons tentent de dessiner les contours d’un autre possible en matière d’immigration, une autre façon de réguler les mouvements migratoires.

3) Les candidats aux présidentielles sont-ils prêts à les intégrer dans leur programme ? Quel type de rapports avez-vous avec la sphère politique : aiguillon, groupe de pression ?

Au cours des semaines et des mois qui viennent, la Cimade va populariser l'ensemble de ces propositions auprès des citoyens, et interpeller les candidats à l'élection présidentielle et aux élections législatives sur leurs engagements et leur programme. La Cimade demandera avant tout aux candidats de s'engager pour que cette question des politiques migratoires soit abordée de manière lucide et réfléchie, qu'une attitude d'ouverture et de débat sur cette thématique soit adoptée et que la société civile soit associée à la définition des politiques publiques en matière d'immigration. La société civile, par sa connaissance des réalités du terrain et sa compréhension des enjeux a en effet une responsabilité particulière dans tous les pays, au Sud comme au Nord, pour faire contre-poids aux États. Et dans le domaine des migrations, la Cimade, comme d'autres associations, a une expertise reconnue et une légitimité qui ne peut être remise en cause.

Propos recueillis par AY

A la faveur d'une plus forte implication des citoyens, les périodes électorales sont particulièrement propices aux réflexions sur les enjeux politiques à long terme et aux débats sur nos choix de société. La thématique de l'immigration n'est cependant jamais abordée sereinement : chiffon rouge agité par certains candidats faisant des étrangers les boucs émissaires de tous les maux de notre société ; d'autres tendent à éviter d'aborder le sujet, cherchant avant tout à ménager les peurs, réelles ou supposées, de leurs électeurs.
Acteurs de terrain avant tout, les membres de la Cimade se sont retrouvés sur un constat commun : l'humiliation quotidienne, la maltraitance dont sont victimes les migrants et l'urgence d'une mobilisation d'ampleur face à cette situation. Mais notre prise de parole n'avait de sens que si elle s'accompagnait de la présentation d'une autre politique. Un vaste chantier de réflexion collective s'est alors ouvert au sein de la Cimade. Pendant des mois, nous avons échangé, argumenté, débattu... dans les régions, en Assemblée Générale, en Session nationale... Et dans notre grande diversité, de notre multiplicité, ont finalement émergé 75 propositions.
Publié le 23 février 2007