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Réflexions sur la réforme de procédure de naturalisation par Jacques Bécot

(ancien sous-directeur de l’accès à la nationalité française, il exprime ce point de vue à titre personnel)

publié sur le blog www.paperblog.fr/1846210/reflexions-sur-la-reforme-de-procedure-de-naturalisation-par-jacques-becot/

L’actuel ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, Monsieur Besson, reprend à son compte un projet de réforme qui avait été lancé par son prédécesseur dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Les objectifs de la réforme

Cette réforme est présentée par le ministre comme une simplification administrative consistant en la suppression du double niveau d’instruction, l’un relevant des préfectures de département, où toute demande de naturalisation est déposée, l’autre de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF), à Rezé en Loire-Atlantique.

Cette sous-direction, qui faisait partie de la direction de la population et des migrations, et du ministère des affaires sociales, depuis 1945, a été rattachée à la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’immigration en 2007.

Un autre objectif de la réforme, RGPP oblige, est bien sûr la réduction du nombre de fonctionnaires. Dans le discours qu’il a prononcé à Rezé le 20 avril 2009 (et qui figure sur le site Internet du Ministère), le ministre annonce 9 suppressions d’emplois en 2010, 11 en 2011 et 20 supplémentaires à partir de 2012, soit 40 emplois sur un effectif budgétaire de 156, soit une baisse de 25 %

Suite à la publication sur Combats pour les droits de l’homme de la pétition “Naturalisations: non à l’arbitraire!”, M. Jacques Bécot, ancien sous-directeur de l’accès à la nationalité française et actuel correspondant de la HALDE à Vannes a adressé à Alexis Spire et Patrick Weil un message de soutien à notre action contre la réforme envisagée par le ministre de l’Immigration.

Le champ de la réforme

Le projet ne concerne que la naturalisation au sens strict du terme, c’est à dire l’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique, en l’occurence un décret du premier ministre, en application de l’article 21-15 du code civil. Environ 70 000 personnes ont été naturalisées en 2007. En moyenne annuelle sur les 5 dernières années, un quart des demandes ont fait l’objet d’une décision défavorable.

L’acquisition de la nationalité française à raison du mariage, qui donne lieu à une déclaration devant l’autorité judiciaire mais aussi à un enregistrement (ou à un refus d’enregistrement) par le ministre chargé des naturalisations (article 21-2 du code civil) après enquête des préfectures, échappe à la réforme et continuera à mettre en action quatre ministères : la justice (tribunaux d’instance), l’intérieur (préfectures), l’immigration (SDANF) et les affaires étrangères (sous-direction de l’état civil et de la nationalité). Environ 30 000 étrangers ont acquis notre nationalité par cette voie en 2007. 10 % des déclarations ont fait l’objet d’un refus d’enregistrement.

Echappent aussi à la réforme les demandes de naturalisation déposées à l’étranger dans les consulats.

Le contenu de la réforme

La réforme consiste pour le gouvernement à déléguer aux préfets de département le pouvoir de proposer la naturalisation et de la refuser.

Les propositions de naturalisation seront centralisées à la SDANF, qui, ainsi que l’a déclaré le ministre dans son discours du 20 avril, les vérifiera. Et c’est la sous-direction qui continuera à préparer les décrets (il y a environ 1 décret par semaine, comportant plus d’un millier de noms).

Les décisions défavorables seront prises directement par les préfets, lesquels recevront donc une délégation du ministre de l’immigration, à qui le décret du 30 décembre 1993 confie le pouvoir de prononcer l’irrecevabilité, le rejet ou l’ajournement des demandes.

Les recours hiérarchiques seront traités par la SDANF, qui devrait par ailleurs continuer à défendre l’Etat au contentieux devant les juridictions administratives.

Les interrogations suscitées par la réforme

Quid de la simplification ?

La présentation rapide du contenu de la réforme exposée dans le point précédent montre bien que la procédure ne sera pas plus simple, avec un nombre d’échelons administratifs inchangé résultant du maintien du décret et d’une vérification centrale des propositions locales.

A défaut d’oser déconcentrer les décisons, dans un domaine régalien par essence qui relève, dans tous les grands pays, de l’autorité centrale de l’Etat, on adopte une solution bâtarde où seul le pouvoir de proposition est confié à l’autorité locale.

La vérification des décisions favorables des préfets au niveau de la SDANF nécessitera le maintien d’un échelon d’instruction qu’on dit pourtant vouloir supprimer. Sauf si ladite vérification n’est envisagée que comme un alibi et se trouve réduite à sa plus simple expression, ce que peut faire redouter l’annonce simultanée des suppressions de postes. Il conviendra à cet égard d’étudier attentivement le contenu des textes réglementaires qui accompagneront la mise en oeuvre de la réforme.

En tout état de cause, le circuit et les étapes de la procédure seront inchangés : préfectures, SDANF, ministère de l’immigration, premier ministre, direction des JO, service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères, puis retour en préfecture pour la remise du décret aux nouveaux Français et la cérémonie d’accueil dans la nationalité.

Seule sera simplifiée la procédure des décisions défavorables, qui seront prises et notifiées au niveau départemental. N’est-ce pas un des objectifs non affichés de la réforme ?

Au cours des travaux préparatoires, certains acteurs de la RGPP au niveau des ministères, constatant que la SDANF ne suivait pas environ 40 % des avis défavorables des préfets, se sont interrogés sur cette pratique, implicitement jugée laxiste, et ont estimé que les préfets, qui connaissaient souvent depuis plusieurs années les postulants pour avoir statué sur leur droit au séjour, étaient mieux à même que des fonctionnaires centraux travaillant sur dossiers de statuer sur l’acquisition de la nationalité.

Les demandeurs à qui la nationalité française aura été refusée par les préfets de département pourront bien sûr exercer leur droit aux recours hiérarchique et contentieux.

L’exerceront-ils ? Oui sans doute, pour une partie d’entre eux[1]. Mais il ne faut pas négliger le fait que les étrangers sont en situation d’infériorité psychologique vis à vis des services préfectoraux et que ce n’est pas la même chose de faire un recours contre la décision d’une autorité locale qui décide par ailleurs de votre maintien sur le territoire, et d’en faire un contre la décision d’une autorité plus lointaine spécialisée en droit de la nationalité.

Quid de l’accélération de la procédure ?

Le délai imparti par le code civil (article 21-25-1) à l’autorité publique pour statuer sur une demande de naturalisation est de 12 mois pour les étrangers qui résident en France depuis au moins 10 ans et de 18 mois pour les autres.

Ces délais ne sont majoritairement pas respectés et on peut s’étonner de la quasi absence de contentieux sur ce point.

Au sein de ces délais légaux, les préfectures disposent d’un délai réglementaire de 6 mois pour transmettre les demandes au ministère.

Les deux tiers des préfectures ne respectent pas ce délai intermédiaire (1/3 ont des délais supérieurs à 6 mois et inférieurs à 12 mois et 1/3 ont des délais supérieurs à 12 mois, dont une bonne dizaine des délais de 2 ans ou plus).

Ce constat ne vise pas à mettre en cause les services de la nationalité des préfectures, auxquels il est généralement accordé peu de moyens humains, notamment parce que leur mission est considérée comme moins prioritaire que celle des services qui s’occupent du séjour des étrangers. Les préfets ont des objectifs chiffrés en matière de séjour et de reconduite à la frontière, ils n’en ont pas en matière de naturalisation.

La SDANF, pour sa part, grâce notamment à l’adaptation permanente de sa procédure interne et au programme d’informatisation qu’elle a porté en interministériel, a considérablement réduit ses délais depuis 5 ans.

Le paradoxe est que l’on va renforcer les pouvoirs du niveau qui est globalement le moins performant en matière de délais. Comment peut-on espérer dans ces conditions un raccourcissement des procédures ?

L’ alternative, proposée par la SDANF mais non retenue par le ministre, était de renforcer la centralisation et d’accentuer la modernisation, en développant considérablement les procédures d’administration électronique et en cantonnant le rôle des préfectures aux enquêtes de sécurité et, peut-être à la vérification de la connaissance de la langue française. Même sur ce dernier aspect, on aurait pu envisager, à l’image de ce qu’a réalisé le Royaume-Uni, une procédure plus économe en temps/agent s’appuyant sur Internet.

Quid, enfin, de la sécurité juridique et de l’égalité de traitement ?

La question fait polémique et a parfois été utilisée pour mettre en rivalité les services préfectoraux et la SDANF.

Il faut s’en tenir aux faits et aux chiffres.

La SDANF est une sous-direction spécialisée, dans une matière à fort contenu juridique. Elle dispose d’une technicité importante en matière de droit français de la nationalité (droit complexe et largement jurisprudentiel), de droit international de la nationalité (doubles nationalités par exemple), d’état-civil (matière épineuse s’il en est), d’histoire internationale (les dates d’indépendance des pays anciennement colonisés ont un impact important sur la situation des postulants). Elle dispose d’un bureau des affaires juridiques et du contentieux traditionnellement dirigé par un magistrat administratif. Elle est amenée à défendre des dossiers devant la section de l’intérieur du conseil d’Etat. Elle est composée de 70% d’agents de catégories A et B et de 30 % d’agents de catégorie C.

Les pourcentages sont à peu près inversés dans les services préfectoraux gérant les dossiers d’accès à la nationalité française. Ce constat n’enlève rien à la compétence et au dévouement des agents concernés. Mais le niveau de responsabilité qui va être le leur après la réforme nécessiterait un renforcement du nombre d’agents et de cadres que rien ni personne n’annonce actuellement. La seule annonce de Monsieur Besson est un plan de formation des préfectures, confié à la SDANF.

Quant à l’égalité de traitement, le ministre s’est engagé à y veiller personnellement… Avec 100 000 demandes par an et 101 centres de décision, et même avec l’aide de la SDANF qui « vérifiera » les décisions favorables et traitera les recours hiérarchiques, sa tâche sera rude ! Les circulaires annoncées, qui doivent permettre d’harmoniser l’instruction des demandes par les préfectures n’empêcheront pas les différences d’interprétation, comme on peut déjà le constater dans la procédure actuelle pour les avis que les préfets donnent au ministre.

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[1] Dans la procédure actuelle, la moitié des personnes faisant l’objet d’une décision défavorable font un recours grâcieux devant le ministre et la moitié de ces recours connaissent une issue favorable pour les postulants.


Publié le 27 avril 2009