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Lettre à un ami: la prostitution, un métier comme un autre?

Cher A.

Tu me dis ne pas savoir quoi penser de la prostitution, qu’en Espagne les bordels ont l’air d’endroit correct…

D’abord, c’est vrai il n’y a pas un type de prostitution mais des prostitutions, de la prostituée qui racole dans la rue, à l’escort girl qu’on rencontre dans les grands hôtels, en passant par l’étudiante qui se prostituera occasionnellement pour financer ses études. Toutes ces prostitutions ne sont pas aussi sordides dans la forme. Mais dans le fond, le principe est le même et les conséquences sont, souvent, elles aussi les mêmes.

Non cela n’a rien de romantique, ni de « correct »: Quelle est la réalité de la prostituée de rue comme de celle du bordel de luxe à Madrid?

C’est de se laisser pénétrer, jusqu’à une dizaine de fois par nuit, par des hommes différents, plus ou moins propres, plus ou moins violents. Se laisser pénétrer au plus profond de son intimité, sans désir, ni plaisir. D’ailleurs, pour supporter ces actes, la plupart d’entre elles vivent une sorte de désincarnation, elles ne sentent plus leur corps. Elles n’aiment pas qu’on les touche. Paradoxal, non?

Alors au fond d’une voiture ou dans une chambre de luxe, la différence n’est que de confort apparent. Les témoignages le disent, les femmes sortent blessées physiquement (la visite chez un gynécologue devient une souffrance), détruites psychologiquement, en proie aux maladies sexuellement transmissibles, au sida, aux grossesses non désirées que leur mac peut interrompre à coup de pied pour les plus malchanceuses. Ou bien que leur mac peut, au contraire, « valoriser », une passe avec une prostituée enceinte, très prisée par certains, se monnayant même davantage.

La question du mac est évidemment centrale et s’attaquer aux réseaux n’est pas une mince affaire. La prostitution est, aux côtés du trafic d’armes et de drogue, l’un des business les plus juteux.

Mais, même quand elles n’ont pas de mac, l’argent qui file entre les doigts des prostituées est bien un leurre! Elles peuvent « gagner » en une nuit, deux fois peut-être ce qu’une caissière de supermarché gagne en un mois. Cet argent part aussi vite et très peu parviennent à se constituer une cagnotte qui leur permettrait d’arrêter.

Que dire encore au sujet de ces « travailleuses du sexe », comme certains les appellent? Que plus de 90% de celles qui exercent dans la rue sont d’origine étrangère, en situation irrégulière, ce qui les rend encore plus vulnérables. Qu’elles ont entre 60 et 120 fois plus de risques d’être battues ou assassinées que le reste de la population, qu’elles sont plus suceptibles de connaitre  un profond isolement familial et affectif (difficile d’avouer à un petit ami ou à ses parents que, même occasionnellement, on « fait la pute ») …

Alors quand j’entends, à l’occasion du débat au Sénat, que la prostitution est un mal nécessaire pour canaliser les besoins irrépressibles des hommes, c’est trop! Qui peut accepter qu’une fraction de la population soit sacrifiée au profit d’une autre?

Et quand j’entends, trop souvent, que la prostitution est l’étape ultime de l’émancipation des femmes et de la libre disposition de leur corps, je me fâche aussi: la liberté sexuelle c’est la liberté d’avoir un rapport sexuel avec un partenaire (ou plusieurs!) que l’on désire. Comment peut-on refuser de voir que la prostitution est décidément très éloignée du « jouissez sans entraves » de mai 68?

Bref je m’arrête là mais je pourrais continuer … je tiens ma « mini science » de rapports que j’ai lus et de nombreux témoignages recueillis au cours d’auditions. Je te conseille, d’ailleurs, de lire « Histoire d’une prostituée » de Clara Monod-Dupont (c’est une journaliste).

Cette lettre que je t’adresse n’a pas l’ambition d’épuiser la discussion sur la prostitution en France, sur son abolition ou, au contraire sa réglementation. Le débat reste ouvert, et il faudra trouver rapidement la meilleure réponse possible pour les personnes prostituées.

Mais non, la prostitution n’est pas un métier comme un autre. Ce n’est pas un métier du tout!

Bien amicalement,

C.

PS. Je ne parle ici que des femmes, c’est vrai, mais elles représentent 90% des personnes prostituées…

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