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Création d’une station de radio française « Radio France Europe » : une fausse bonne idée

Antenne © FotoliaLe Sénat a adopté, avec les voix des groupes UMP, UDI, RDSE et de quelques verts, la proposition de résolution visant à créer une station de radio française « Radio France Europe ». Les groupes socialiste et communiste ont voté contre.

Si, je salue toute initiative tenant à faire connaître davantage cette « idée européenne », la mise en place d’une Radio France Europe ne me parait pas être opportune. Trois raisons principales à cela : le financement d’une part,  les difficultés opérationnelles que peuvent engendrer la mise en place d’une telle radio et surtout la présence d’un service public audiovisuel déjà très engagé sur ce thème. En effet, de nombreuses émissions au sein de plusieurs médias, France télévision, Radio France, Arte, et bien sûr RFI, sont dédiée à l’Europe, aux institutions européennes et à la vie quotidienne des européens.

Dans un souci non seulement d’efficacité, mais aussi de simplicité et d’économie budgétaire, ce sont assurément ces magazines qu’il faudrait conforter et rendre plus visibles pour faire grandir la conscience européenne de nos concitoyens.

Retrouvez ci-dessous mon intervention :

Monsieur le président, Madame la ministre, chers collègues,

Faire mieux connaître à nos concitoyens la vie quotidienne : politique, économique, sociale, sportive, festive, culturelle de chacun de nos vingt-six partenaires de l’Union Européenne. Faire vivre davantage cette « idée européenne », développer la conscience européenne des plus de 500 millions d’Européens et donc leur adhésion à ce beau projet.

Nous ne pouvons que saluer ce souci, davantage encore à la veille d’une campagne électorale qui risque, à nouveau, d’être bien discrète dans de nombreux pays de l’Union.

Pour autant, tout est-il si évident ? Malheureusement non. Et je me demande si la création d’une nouvelle radio, dans un paysage radiophonique déjà saturé est la solution.

D’emblée, se pose bien entendu la question du financement d’une telle radio. La proposition de résolution est muette sur les sources complètes de financement pour RFE. En effet, ne sont évoquées que le souhait d’une subvention de l’Union européenne prenant en charge 50 % de son coût.

Nous connaissons tous le contexte budgétaire extrêmement contraint auquel la France est obligée de faire face. Est-il, dès lors, sincèrement raisonnable d’envisager de donner la priorité à la création d’une nouvelle radio sur les ressources de l’audiovisuel public ? Sans faire de mauvais esprit, il ne me semble pas que cela aille dans le bon sens, d’autant plus encore au regard des 15 mesures pour réaliser 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2014, présentées par les membres UMP de la commission des Finances de l’Assemblée nationale la semaine dernière…

Au-delà de la question du financement, qui est cruciale, la mise en œuvre opérationnelle d’une telle radio posent aussi des difficultés. En effet, la première hypothèse est de concevoir RFE comme un service additionnel au sein du groupe Radio France. Une modification du cahier des charges de ce dernier nécessiterait alors des ajustements éditoriaux des antennes. France Inter, France Info, et France Culture donnant déjà effectivement une place importante aux questions européennes, comme je l’expliciterai plus loin. Or il y a fort à craindre que ces ajustements soient difficilement acceptables.

La seconde hypothèse verrait RFE créée comme une station autonome par rapport à Radio France. Or dans ce cas, elle n’aurait assurément pas une notoriété suffisante pour permettre de toucher un public important. Or c’est bien à la condition de bénéficier d’un nombre d’auditeurs suffisant qu’elle pourrait mener à bien son objectif de sensibilisation de l’opinion à l’idée européenne.

Par ailleurs, l’autre difficulté technique réside dans la rareté des fréquences FM, en particulier sur les grandes agglomérations. Comment dans ces conditions, envisager  la création d’un réseau de radio FM couvrant une partie substantielle de la population ? L’alternative serait alors qu’un tel projet prenne la forme d’une web-radio. Car je suis certaine que M. Bernard-Reymond et les signataires de cette proposition de résolution n’envisage pas un instant de remplacer un service existant de Radio France !

Au-delà même de ces considérations financières et techniques, la pertinence de ce projet se pose essentiellement en termes d’opportunité pratique : il suffit, en effet,  de consulter les programmes déjà proposés par le service public audiovisuel pour s’apercevoir qu’une meilleure connaissance mutuelle des nations européennes fait déjà partie des objectifs poursuivis.

ARTE d’abord, dont rappelons que l’acronyme signifie « Association Relative à la Télévision Européenne », a pour mission principale, telle que prévue à son Contrat de formation du 30 avril 1991 « de concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser (…) des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international (…) propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples ».

D’ailleurs, plus de 85% des programmes diffusées sur la chaîne sont d’origine européenne et les émissions d’information d’ARTE consacrent en moyenne 7 à 8 heures de programmes par semaine à l’Europe. A cet égard, Yourope diffusé chaque samedi permet de découvrir la diversité des cultures européennes mais aussi l’unité qui transcende ces différences.

De surcroit, la chaîne franco-allemande s’est, par exemple, très fortement mobilisée à l’occasion du 50è anniversaire du traité de Élysées, par trois jours de programmation spéciale à l’antenne les 20, 21 et 22 janvier 2013, et en organisant un forum sur la relation franco-allemande à Strasbourg les 5 et 6 avril 2013.

L’année 2014 sera également marquée, sur l’ensemble des antennes du service public, par la commémoration du 100è anniversaire de la Grande Guerre, en effet il faut connaître son histoire pour construire l’avenir, tandis que les élections européennes seront l’occasion notamment pour ARTE de renforcer dans sa grille les programmes présentant la réalité de la vie quotidienne dans les autres pays de l’union Européenne.

Enfin, pour terminer avec ce premier exemple d’ARTE, rappelons-nous qu’initialement, la chaîne franco-allemande avait vocation à s’étendre d’autres pays. Ce projet n’a pas abouti…

A côté d’ARTE, il nous faut évoquer France-Télévision, dont le cahier des charges même dispose qu’elle « s’attache à intégrer la dimension européenne dans l’ensemble de ses programmes, dans des émissions spécifiques dans les journaux et magazines d’information ». Et surtout, afin de renforcer les liens entre les citoyens européens, elle diffuse des reportages ou des témoignages sur les modes de vie, les pratiques culturelles et les modèles socio-économiques de nos voisins.

Je ne donnerai qu’un seul exemple, le magazine européen de France 3 « Avenue d’Europe ».

La radio publique n’est pas en reste : Radio France qui est, de surcroit, le premier groupe radiophonique français, envisage comme prioritaire sa contribution aux problématiques européennes. Cette préoccupation est d’ailleurs inscrite dans le Contrat d’Objectifs et de Moyens 2010-2014 qui précise que Radio France souhaite renforcer son rôle de vecteur de l’identité européenne et met en place un indicateur de suivi sur la période 2010-2014.

A nouveau je ne donnerai que quelques exemples d’émission du groupe : « C’est la France, c’est en Europe, l’Europe au quotidien, Micro européen, sur France Info. Allô l’Europe, I like Europe, sur France Inter. Tous Européens ou L’Europe vu d’ici sur France Bleu.

J’en viens, pour terminer à Radio France Internationale. Certes, elle ne s’appelle pas RFE mais RFI. Pourtant, dans l’international du I, il y a bien l’Europe du E ! C’est une évidence !

Car oui, RFI remplit déjà de façon remarquable cette mission de promotion de connaissance mutuelle des citoyens de l’Union européenne. Par ces nombreux correspondants dans toute l’Union d’abord, par ses partenariats avec des médias européens ensuite, par ses très nombreuses émissions enfin.

Que dire de Accents d’Europe, qui a pour vocation d’évoquer tous les aspects de la vie des Européens avec les correspondants de RFI, la RTBF, et la RTS. Ce magazine traite ainsi de la vie quotidienne, l’environnement, la politique, l’immigration en Europe.

Chaque semaine, Carrefour de l’Europe, vise à mieux appréhender l’Europe en crise mais aussi en construction. Cette émission propose pour cela  des rubriques, des invités, des commentaires et offre des regards croisés suivis d’un débat sur l’actualité européenne.

Dans l’émission Bonjour l’Europe, c’est un correspondant de RFI en Europe, qui, chaque jour raconte la société de son pays. On y parle tout autant de l’abolition de  la chasse à courre, par les britanniques que de la légalisation de l’euthanasie active par les Belges ou encore de ce très mauvais projet, vous en conviendrez, chers collègues, de suppression du Sénat par les Irlandais.

Une autre émission encore : « Allô Bruxelles » où un invité répond aux questions de RFI sur la vie quotidienne de près de 500 millions d’Européens, sur les événements majeurs politiques, économiques et sociétaux de leur destin partagé.

J’évoquerai encore la toute nouvelle coproduction entre RFI et France 24 « Ici l’Europe » qui propose un entretien avec une personnalité européenne pour parler de la construction de l’Europe, de sa proximité avec les citoyens et des enjeux internationaux qui l’attendent.

Voilà donc un rapide florilège des émissions destinées à renforcer le sentiment européen que diffuse déjà RFI.

La semaine dernière, Madame la ministre vous nous avez assurés que l’ouverture de la diffusion de RFI dans plusieurs villes de France allait se poursuivre. Il me semble que c’est vers cette option que nous devons nous orienter pour véritablement faire vivre « l’idée d’Europe ».

En effet, le service public audiovisuel est assurément bien plus efficace et bien moins coûteux que le projet RFE, pour favoriser une meilleure connaissance mutuelle des peuples européens. Au-delà de la bénéfique complémentarité de la radio et de la télévision dont dispose le service audiovisuel public, il suffit d’évoquer sa notoriété d’abord, son niveau d’audience ensuite, mais aussi sa capacité à toucher tous les publics, qui sont autant d’atouts que n’aura pas, avant bien longtemps, et avant beaucoup d’argent aussi, une nouvelle radio.

Cette idée de radio européenne semble donc séduisante, je le conçois bien volontiers. Mais à l’étude, elle s’avère être une fausse bonne idée.

Et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, l’ensemble du groupe socialiste ne votera pas cette proposition de résolution.

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