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« Service civil : volontaire ou obligatoire ? » – mon intervention lors du débat au Sénat

SCLe Sénat a organisé un débat sur le thème : « Service civil : volontaire ou obligatoire ? » ce jeudi 5 mars. Créé par la loi du 10 mars 2010, l’actuel « service civique » est un engagement volontaire au service de l’intérêt général, ouvert à tous les jeunes de 16 à 25 ans, sans condition de diplôme. Depuis sa création, le service civique a permis à plus de 65 000 jeunes d’être accueillis dans plus de 4 000 organismes différents.

Rendre le service civique plus accessible est un souhait de François HOLLANDE : en 2014, le Président de la République a annoncé un objectif de 100 000 jeunes accueillis en service civique par an, d’ici 2017. Lors de sa conférence de presse du 5 février 2015, François HOLLANDE a réaffirmé son ambition de favoriser « l’engagement civique » par « la mise en place d’un service universel pour les jeunes ».

Aujourd’hui, certains préconisent de rendre le service civique obligatoire. Différents sondages indiquent que près de 80 % des personnes interrogées y sont favorables.
« Pourquoi punir la jeunesse ? »: c’est par ces termes que François CHÉRÈQUE, président de l’Agence du service civique, organisme qui gère les demandes et l’encadrement du service civique, a, pour sa part, marqué son hostilité au caractère obligatoire. Le nombre insuffisant de missions d’intérêt général est également un obstacle ; il y a aujourd’hui quatre fois plus de demandes émanant de jeunes qu’il n’y a de services civiques proposés.

Lire ci-dessous mon intervention et ici l’ensemble de la discussion avec les réponses du ministre Patrick Kanner.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’effroi suscité par les récents attentats meurtriers et les réactions parfois contrastées qu’ils ont provoquées nous ont naturellement conduits à nous interroger sur la transmission des valeurs républicaines.

En effet, si une grande partie de la communauté nationale s’est retrouvée pour condamner ces actions meurtrières et marquer son attachement aux valeurs qui fondent notre société, au premier rang desquelles la liberté et la laïcité, très vite, cependant, ont été mises en lumière les failles de cette union, et les attentats ont rapidement été perçus comme le symptôme d’un mal dont souffre une partie de notre jeunesse et, n’ayons pas peur de le dire, d’un dysfonctionnement de notre société.

Le chef de l’État a marqué sa volonté d’améliorer la cohésion nationale et la transmission des valeurs de la République. Le développement du service civique est assurément l’un des vecteurs pour parvenir à cet objectif. Cela étant, faut-il le présenter comme la panacée pour restaurer ce sentiment d’appartenance à la Nation qui semble être devenu étranger à nombre de nos concitoyens et donc, logiquement, le rendre obligatoire ? Je n’en suis pas si sûre.

Dès la loi de 1997 mettant fin à la conscription obligatoire, le vide engendré en termes de lien social, de sentiment d’appartenance à la communauté nationale, de transmission des valeurs de la République et de brassage tant social que culturel a été constaté.

Après la loi sur le volontariat civil, c’est à la suite de la crise des banlieues de 2005 que la loi pour l’égalité des chances a donné un statut officiel au service volontaire civil. Cependant, entre 2006 et 2009, seuls 3 000 volontaires sont effectivement entrés dans le dispositif.

La loi du 10 mars 2010 a donc créé le service civique, au statut plus homogène, plus lisible et plus attractif, dans le souci de renforcer les valeurs civiques et républicaines d’une société en mal de repères. Cinq ans plus tard, ce constat est encore terriblement d’actualité.

Que faire, dans ces conditions ?

Plusieurs sondages publiés récemment révèlent que 78 % des Français sont favorables à une extension du service civique à tous les jeunes de 16 à 25 ans.

Rappelons, à cet égard, l’exposé des motifs de la proposition de loi de 2010, qui précisait que le dispositif proposé, « basé sur le volontariat », constituerait une période transitoire, préalable à la création d’un service civique obligatoire.

Mais une seule donnée suffit à refroidir les ardeurs de ceux qui, en toute bonne foi, appellent de leurs vœux un service obligatoire : alors même que les volontaires sont quatre fois plus nombreux, seuls 35 000 jeunes ont bénéficié du service civique en 2014. Dans ces conditions, même si l’intention est louable, il est parfaitement illusoire de rendre obligatoire un engagement que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de proposer dans de bonnes conditions.

L’aspect financier n’est pas le seul en cause ici, même si François Chérèque, le président de l’Agence du service civique, rappelle qu’il faudrait 600 millions d’euros de budget, à rapporter aux 170 millions actuels, pour accueillir tous les jeunes volontaires.

Avec l’instauration d’un service civique universel, projet porté par le Président de la République et le Gouvernement, l’essentiel est bien de permettre à tous ceux qui en manifestent le désir d’effectuer ce service.

Or la Cour des comptes, dans un rapport publié en février 2014, appelait l’attention sur deux écueils, encore plus évidents dans la perspective d’une montée en puissance du dispositif.

Tout d’abord, ce sont près de 160 000 missions de qualité qu’il s’agit de faire émerger. C’est un véritable défi quand on sait que la Cour s’inquiétait déjà de savoir s’il existait un gisement de 100 000 missions. De surcroît, il faut veiller avec une particulière attention à éviter les risques de substitution à l’emploi qui peuvent être importants dans les secteurs concernés. À l’heure où le chômage des jeunes est si préoccupant, il importe de ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul !

Monsieur le ministre, vous devez, demain, à l’issue de la concertation interministérielle, préciser les contours de la réforme. Pouvez-vous d’ores et déjà nous donner quelques éléments, notamment quant aux secteurs à mobiliser ? En effet, il semble bien que les acteurs publics puissent être davantage sollicités, dans la mesure où 84 % des organismes offrant des missions sont des associations.

Il y a quelques jours, vous signiez avec la ministre de l’écologie une déclaration d’engagement pour la création de plusieurs milliers de missions, dans le cadre d’un programme « Transition énergétique, climat et biodiversité ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l’avancée de ce programme, notamment en termes d’arbitrage financier ?

D’autres programmes sont-ils en cours de finalisation ? Je pense en particulier à une sollicitation des hôpitaux ou des collectivités locales.

Par ailleurs, une concertation est-elle établie avec le ministère des affaires étrangères ? L’ouverture à l’international du service civique demeure en effet très marginale. À la fin de 2012, 1,7 % seulement des jeunes engagés effectuaient leur mission à l’étranger. Il me semble qu’une véritable réflexion doit être menée, car cette ouverture culturelle à l’autre est un moyen sûr de lutter contre le repli identitaire et de se forger une conscience nationale.

Dans ce cadre, ce sont d’abord les États européens qui doivent se mobiliser pour le service civique européen. Comme le rappelle l’Office franco-allemand pour la jeunesse, ce service civique, pensé en termes de réciprocité, permet même de doubler les bénéfices pour le jeune comme pour la société. Plus précisément, je ne doute pas que des missions puissent émerger en collaboration avec le secrétariat d’État au développement et à la francophonie. Monsieur le ministre, cet axe de réflexion a-t-il été engagé ?

Le service civique est un levier essentiel de citoyenneté et il est primordial d’abord de répondre favorablement aux jeunes qui souhaitent s’engager en faveur de l’intérêt général, se rendre utiles, trouver leur place dans la société, mais aussi être mieux reconnus et valorisés.

Toutefois, n’oublions pas qu’une démarche civique ne s’impose pas : elle s’apprend. C’est donc, dans un premier temps, à l’école que revient ce rôle. C’est bien elle qui devra faire naître la conscience d’appartenir à une communauté nationale et susciter ce désir d’engagement. À cet égard, la série de mesures marquant l’engagement résolu du Gouvernement de former les futurs citoyens aux valeurs de la République que Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem a présentée le 22 janvier est à saluer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

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