0

Don d’organe et diagnostic prénatal: mes interventions dans le débat bioéthique

Au cours de l’examen, par le Sénat, du projet de loi relatif à la bioéthique, je suis intervenue sur l’ article 5 (don croisé d’organe et élargissement du cercle des donneurs potentiels) ainsi que sur l’article 9 ( information donnée à la femme enceinte relativement aux méthodes de diagnostic prénatal)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article 5.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 5 vise à accroître le nombre de donneurs potentiels, d’une part en étendant le cercle des donneurs vivants et, d’autre part, en autorisant la pratique du don croisé.

Aujourd’hui, la technique médicale de la greffe d’organe est de mieux en mieux maîtrisée. Les antirejets permettent de juguler toujours plus le rejet. Et les résultats, en termes tant de durée que de qualité de la vie, s’améliorent chaque jour. Ces succès grandissants ne font d’ailleurs qu’accroître encore les besoins.

Pourtant, en France, chaque année, plus de 14 000 malades restent dans l’attente d’une greffe. En 2009, seuls 4 580 d’entre eux ont été greffés. La même année, M. le rapporteur l’a indiqué, 250 patients sont décédés, simplement parce qu’ils n’ont pu recevoir un greffon à temps. L’obstacle principal à la greffe réside dans la criante pénurie d’organes disponibles. Il nous appartient par conséquent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation et, donc, d’augmenter le nombre de donneurs potentiels.

Or, comme le rappelle l’Agence de la biomédecine, deux voies peuvent permettre de combler l’actuel déficit d’organes : la lutte contre les refus « par précaution » et le prélèvement de nouveaux profils de donneurs.

Plusieurs dispositions de ce projet de loi ont pour objet de faciliter les transplantations à partir de donneurs décédés. Elles sont positives, certes, mais demeurent insuffisantes. En effet, le principe du consentement présumé n’est pas encore satisfaisant, notamment en raison du refus de la famille, qui, bien souvent, ignore le souhait du défunt. Un prélèvement possible sur trois est ainsi rendu impossible. C’est pourquoi j’ai signé l’amendement de mon collègue Jean-Pierre Sueur, qui vise à créer un registre d’enregistrement du consentement du don d’organes, afin de protéger juridiquement la volonté exprimée par la personne décédée.

La France a longtemps privilégié les prélèvements à partir de donneurs décédés. Aujourd’hui, il est essentiel de développer les dons de donneurs vivants, qui ne représentent que 5,6 % des prélèvements, alors même que ce type de transplantation est extrêmement performant.

Dans ces conditions, je salue l’amendement adopté par l’Assemblée nationale qui élargit le cercle des donneurs potentiels. Jusqu’à présent, les donneurs devaient appartenir à la seule famille nucléaire. La prise en compte de tous les membres entretenant ce que les sociologues appellent des « liens primaires » est positive.

Au Sénat, la commission des affaires sociales a jugé bon de durcir les conditions posées par les députés en ajoutant un critère de durée de deux années à l’existence du « lien affectif étroit et stable » entre le donneur et le receveur, par crainte du trafic d’organes. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de Raymonde Le Texier visant à revenir à la seule exigence posée par l’Assemblée nationale d’un « lien affectif étroit, stable et avéré ». Il me semble que cette exigence de durée est non seulement arbitraire, mais encore inutile dès lors que de nombreuses garanties permettent de s’assurer de la réalité des motivations constatées par l’équipe médicale, le « comité donneur vivant » et, enfin, le magistrat du tribunal de grande instance.

Certes, il s’agit de prendre toutes les dispositions pour pallier les dérives. Cependant, les données dont nous disposons sur le trafic d’organes révèlent qu’en Europe ces craintes relèvent davantage du fantasme. De surcroît, n’oublions pas que ce trafic serait entretenu par la pénurie d’organes et donc par la limitation du nombre de donneurs potentiels. En outre, il me paraît également important de lutter contre le « tourisme de la transplantation », qui, malheureusement, se développe.

Je terminerai en rappelant que, bien sûr, les critères de sélection des donneurs, fixés par le ministère, ne doivent pas écarter systématiquement les homosexuels du don. L’orientation sexuelle ne doit en effet assurément pas préjuger de conduites à risque. Cette affirmation n’est pourtant pas partagée par le Gouvernement. Aussi, j’ai cosigné l’amendement présenté par mon collègue Cazeau, qui dispose que « Nul ne peut être exclu du don en raison de son orientation sexuelle ».

————————-

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article 9.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le ministre, voilà quelques semaines, vous évoquiez dans un quotidien, à propos du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, les « vrais garde-fous » et les « vraies valeurs », sans lesquelles « la confiance se délitera ».

Je suis curieuse de savoir quels sont ces « garde-fous » concernant l’article 9. Pourrait-il s’agir, comme le prévoit l’article, des « associations spécialisées et agréées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection suspectée et de leur famille » ? On pourrait le penser, puisque c’est avec l’avis favorable du Gouvernement que l’Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant que le médecin propose une liste de ces « garde-fous ».

Cet amendement vise à fournir à la femme enceinte une liste des associations concernées. Certes, celle-ci a le droit de refuser cette information, mais cette garantie paraît bien faible lorsque l’on songe à l’extrême fragilité émotionnelle dans laquelle se trouve une femme à qui l’on vient d’apprendre que le fœtus qu’elle porte présente une « affection d’une particulière gravité ».

N’usons pas d’hypocrisie en l’occurrence ! Cette disposition, en fait, ne vise qu’à influencer, voire à culpabiliser la femme qui se trouve déjà devant un choix extrêmement douloureux. La décision d’interrompre une grossesse, même pour raison médicale, est toujours d’une incroyable difficulté. La pression sociale et morale que l’ont fait ainsi peser sur la femme est inacceptable.

Mes chers collègues, on ne nous fera pas croire que confronter une femme enceinte, en situation de particulière vulnérabilité, à des parents qui, en toute sincérité, revendiqueront leur bonheur, exprimeront l’amour qu’il partage avec leur enfant lourdement handicapé, lui permettra de disposer d’une information libre, éclairée et objective.

Et il n’a bien évidemment pas été envisagé de proposer à la femme une liste des centres de planning familial où elle pourrait, si elle décidait d’interrompre sa grossesse, trouver une « information complète et objective », pour reprendre l’expression de M. le rapporteur, et rencontrer des personnes ayant vécu la même situation.

Cette disposition ne fait en réalité que relayer la croisade engagée par certains contre l’interruption médicale de grossesse. Leur détermination est redoutable, comme en témoignent les accusations « d’eugénisme d’État » que j’ai entendu proférer dans cet hémicycle ! Ces propos sont indignes. Je demande aux législateurs que nous sommes de voir au-delà de leurs convictions personnelles et de ne pas perdre de vue l’intérêt général.

Le choix d’élever un enfant handicapé est un acte courageux et respectable, et je ne doute pas un seul instant de la joie que cet enfant apporte à sa famille. Il n’en demeure pas moins qu’il est profondément malhonnête de ne donner à la femme qui peut être confrontée à cette situation qu’une vision nécessairement parcellaire des difficultés qu’elle devra affronter.

Les dispositions du projet de loi prévoyant que la femme reçoit connaissance des « possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du fœtus ou de l’enfant né » sont absolument nécessaires, mais aussi suffisantes à une prise de décision en toute sérénité.

C’est la raison pour laquelle, vous l’aurez compris, je suis signataire de l’amendement n° 19, déposé par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, visant à supprimer la phrase visant les associations que j’ai évoquées ci-dessus.

Pour terminer, je me félicite que la commission des affaires sociales soit revenue sur la disposition adoptée par l’Assemblée nationale qui subordonnait la proposition de certains examens permettant un diagnostic prénatal à l’existence de conditions médicales le nécessitant, et j’espère que les multiples amendements qui visent à la rétablir ne seront pas adoptés.

Ce projet de loi relatif à la bioéthique est, avec raison, souvent accusé de « frilosité ». Il ne s’agirait pas que, de surcroît, il puisse être qualifié de rétrograde. Nous nous sommes battus durant des décennies pour que la femme se libère de toute tutelle. L’assujettir au bon vouloir du médecin ne constitue rien d’autre qu’une incroyable régression que nous ne pouvons accepter ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)



Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*