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Réforme des retraites: pour la retraite à taux plein à 65 ans des Français à l'étranger

Au cours de la très longue journée de débats sur la réforme des retraites, je suis intervenue pour signaler les effets particulièrement injustes du report de l'âge de la retraite à taux plein pour les salariés à la carrière morcelée et précaire en général et pour beaucoup de Français de l'étranger en particulier et j'ai défendu l'amendement déposée avec Monique et Richard visant à maintenir à 65 ans cet âge pour les personnes ayant dû renoncer à toute activité professionnelle pour suivre leur conjoint à l'étranger.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l'article.

Mme Claudine Lepage. L'article 6 de ce projet de loi, qui repousse à 67 ans l'âge de la retraite sans décote, est peut-être celui qui symbolise le mieux le caractère parfaitement injuste et complètement inefficace de votre réforme, monsieur le ministre.

Pourquoi inefficace ? On nous répète à l'envi que le sauvetage de notre système de retraites par répartition ne peut passer que par le recul de l'âge légal de départ à la retraite et, en conséquence, par un recul de l'âge du taux plein.

Toutefois, malgré ces paroles incantatoires, nous savons tous que le taux d'emploi des seniors contredit de manière flagrante cette supposée logique.

Soyez lucides : plus de 85 % des personnes atteignant 65 ans sont déjà hors de l'emploi. Le report de l'âge du taux plein à 67 ans signifie donc très clairement, selon les chiffres de Pôle emploi, que, chaque année, 20 000 à 30 000 personnes resteront deux années de plus au chômage et coûteront 300 millions d'euros par an, non pas à l'assurance retraite, mais à l'assurance chômage… Joli tour de passe-passe et, surtout, joli jeu de dupes !

Par ailleurs, la terrible injustice qui procède de cette réforme se manifeste pleinement dans cet article 6. Seront en effet pénalisés en priorité les salariés qui ont connu des carrières précaires et morcelées, c'est-à-dire, pour 80 % d'entre eux, des femmes, dont la situation a déjà été longuement évoquée par mes collègues. En conséquence, les femmes continueront à travailler plus que les hommes, pour gagner moins que les hommes…

L'iniquité de cette mesure revêt une acuité particulière chez les Français établis hors de France. Je parle, rassurez-vous, de ceux qui ont cotisé auprès de caisses de retraite françaises, et je ne ferai qu'évoquer le cas douloureux des recrutés locaux auprès des institutions françaises – ambassades, consulats, centres culturels, etc. Alors même qu'ils œuvrent au rayonnement de la France, ces recrutés locaux ne sont pas concernés par cette réforme, car ils sont le plus souvent privés de toute retraite, ce qui est proprement scandaleux.

Mais je reviens aux Français de l'étranger. Ils sont, par la force des choses, beaucoup plus mobiles, coutumiers des carrières discontinues entrecoupées, au fil des pays de résidence, de périodes de chômage, de périodes de travail sans cotisation ou encore, pour les fonctionnaires, de périodes de mise en disponibilité pour cause de recrutement sur les fameux « contrats locaux » que je viens d'évoquer...

La situation au regard des retraites est pire encore pour les conjoints d'expatriés – au sens large du terme –, plus précisément pour les femmes contraintes de renoncer à toute activité professionnelle durant les périodes de service à l'étranger de leur conjoint, faute de droit à l'emploi dans le cadre de la législation locale ou de possibilité d'embauche.

À l'heure de la retraite, les Français de l'étranger figurent donc parmi les plus défavorisés. Pour tenter de pallier cette particulière vulnérabilité, jamais considérée dans le projet de loi du Gouvernement, mes collègues Monique Cerisier-ben Guiga, Richard Yung et moi-même avons déposé un certain nombre d'amendements, sur lesquels nous reviendrons peut-être si cet article devait malgré tout ne pas être supprimé.

[...]

M. le président. L'amendement n° 307, présenté par Mmes Lepage et Cerisier-ben Guiga, M. Yung, Mmes M. André, Bricq et Demontès, M. Bel, Mmes Alquier et Campion, MM. Cazeau, Daudigny et Desessard, Mme Ghali, M. Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, MM. Jeannerot, Kerdraon, S. Larcher et Le Menn, Mmes Le Texier, Printz, San Vicente-Baudrin et Schillinger, MM. Teulade, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel et Bourquin, Mme Bourzai, MM. Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume et Haut, Mme Khiari et MM. Mirassou, Mahéas et Sueur, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Après le 1° de l'article L. 351-8 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° -Les assurés qui atteignent l'âge de soixante-cinq ans et qui peuvent prouver, dans les conditions définies par voie réglementaire, avoir interrompu leur activité professionnelle pour suivre leur conjoint nommé à l'étranger ; »

La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Le présent amendement a pour objet de maintenir à soixante-cinq ans l'âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes ayant été contraintes de renoncer à toute activité professionnelle durant les périodes de service à l'étranger de leur conjoint, faute de droit à l'emploi dans le cadre de la législation locale ou de possibilité d'embauche sur place.

Comme l'ont évoqué mes collègues, l'article 6 pénalisera en priorité les salariés aux carrières morcelées qui sont surtout des femmes. Mais, comme je l'ai déjà souligné, les Français et, plus encore, les Françaises établies à l'étranger seront aussi les victimes privilégiées de ce recul social.

Si cet amendement a vocation à concerner tous les conjoints mais, dans les faits, il vise surtout les épouses. Certes, les hommes sont de plus en plus nombreux à renoncer à leur carrière pour accompagner leur conjointe nommée à l'étranger. Mais ce cas de figure reste encore l'exception et le demeurera aussi longtemps que la stricte égalité salariale ne sera pas respectée.

En tout état de cause, les chiffres parlent d'eux-mêmes : aujourd'hui, 30 % des femmes doivent attendre 65 ans pour pouvoir prétendre à une retraite sans décote contre 5 % des hommes. Et seules 41 % des femmes effectuent une carrière complète, contre 86 % des hommes.

Mais combien de femmes, expatriées aux côtés de leur conjoint, et contraintes de renoncer à toute activité professionnelle durant plusieurs années, effectuent-elles une carrière complète ? Très peu ! Ces personnes, qui subissent une double peine – femme et épouse d'expatrié – devront assurément travailler jusqu'à 67 ans si elles veulent bénéficier d'une retraite sans décote. Et que l'on ne nous rétorque pas que les expatriés sont des nantis, dont les conjoints n'ont nullement besoin de retraite ! Nous serions très loin de la réalité !

Aujourd'hui, un couple sur trois divorce et les démographes estiment que, pour les femmes nées en 1970, 4 d'entre elles sur 10 prolongeront leur parcours de mariage jusqu'à la fin de leur vie, trois vivront en union libre ou pacsées et trois divorceront.

Ces chiffres, conjugués à ceux révélant la profonde inégalité des retraites suivant le sexe, laissent augurer une dégradation importante des niveaux de vie des femmes au moment de leur retraite.

Et si l'on complète ces données par celles qui révèlent que l'expatriation fragilise davantage encore le couple, l'on comprend pourquoi la prise en considération des personnes ayant renoncé à leur activité professionnelle pour faciliter l'expatriation du couple est essentielle.

Afin de ne pas pénaliser davantage encore les conjoints qui ont renoncé à faire carrière pour un projet de couple à l'étranger, nous vous demandons de voter cet amendement.


Publié le 11 octobre 2010