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Proposition de résolution relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français

Le Sénat a voté, ce mardi 25 janvier, à la quasi-unanimité, la proposition de Résolution déposée mi-juillet par Richard Yung,  relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français suite à un divorce ou une séparation.

Voyez ci-dessous le texte de mon intervention en séance lors du débat:

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, l'union de deux personnes est toujours promesse de découvertes et de richesse. L'enrichissement est d'autant plus remarquable entre deux conjoints de nationalités différentes.

Un nouveau mode de vie, un mode de pensée, une éducation, une histoire, une culture, une langue différentes sont autant d'éléments que, bien souvent, l'on accepte avec enthousiasme, non seulement pour comprendre l'autre, mais aussi par souci d'apprendre et, plus tard, de faire partager ces connaissances démultipliées aux enfants à venir.

Ainsi, les couples binationaux sont, en général, particulièrement ouverts sur le monde et ont une vision bienveillante de l'altérité. Pourtant, cette formidable richesse peut aussi constituer le terreau idéal de déchirements et de luttes, dont tous les membres de la famille auront à souffrir. Ce sont les enfants qui se trouvent au cœur du conflit, au centre de l'arène, et qui paient le plus lourd tribut de ces querelles.

Les problèmes de partage de l'autorité parentale et de garde d'enfants se rencontrent auprès de nombre de couples binationaux. Depuis quelques années, ce sont les séparations de couples franco-japonais qui semblent engendrer les plus importantes difficultés dans ce domaine.

Je tiens donc à saluer l'excellente initiative de nos collègues Richard Yung et Louis Duvernois, qui, par ces propositions de résolution relatives aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, entendent appeler l'attention du gouvernement japonais sur cette situation aux effets dramatiques.

En Europe, un mariage sur cinq est aujourd'hui binational ; dans le même temps, un divorce sur cinq concerne un couple binational. En France, plus du quart des mariages sont binationaux : en 2009, ce sont 84 000 Français ou Françaises qui ont ainsi épousé une personne étrangère. Nous remarquons, malheureusement, que cette forte progression des unions mixtes a parallèlement engendré une augmentation de 9 % des enlèvements parentaux en 2008.

À côté de certaines affaires dramatiques très médiatisées, combien d'histoires, tout aussi bouleversantes, de vies brisées existe-t-il ?

Au Japon, près de 166 000 enfants japonais ou binationaux sont privés de l'un de leurs parents. Il s'agit presque toujours du père, et ce que les anciennes unions soient franco-japonaises ou 100 % japonaises. En effet, un million de pères japonais ne voient plus leur enfant.

Ainsi, au-delà de la « préférence nationale », qui, dans la plupart des pays du globe, commande l'attribution du droit de garde des enfants, le droit japonais donne littéralement les pleins pouvoirs à la mère. La société japonaise considère que celle-ci est la personne la plus importante pour l'enfant et que le père n'a aucun rôle à jouer dans l'éducation de ce dernier. En effet, en cas de divorce au Japon, un seul parent – dans plus de 80 % des cas la mère – exerce l'autorité parentale.

Quant au droit de visite du père, il n'est même pas codifié et ne bénéficie d'une reconnaissance jurisprudentielle que depuis 1964 ; et encore la Cour suprême du Japon a-t-elle refusé, par une décision de 1984, de lui donner une valeur constitutionnelle. Enfin, dans la pratique, ce droit de visite est subordonné au paiement de la pension alimentaire.

À bien des égards, vis-à-vis des enfants, le droit de la famille japonais est bien différent de celui de la plupart des pays occidentaux. À cela s'ajoute, pour ce qui concerne les affaires familiales, l'absence de sanction en cas de défaut d'exécution d'un jugement. Dans ces conditions, la mère japonaise peut, à loisir, arguer du refus de l'enfant de voir son père pour repousser la mise en œuvre de la décision judiciaire qui avait pu attribuer un droit de visite à ce dernier.

Par ailleurs, aucune convention bilatérale en matière judiciaire n'existe entre la France et le Japon. Les décisions de justice française ne bénéficient donc d'aucune reconnaissance de la part de la justice japonaise. De la même façon, le Japon n'a toujours pas signé la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et ne sanctionne pas les déplacements illicites d'enfants.

Dans ces conditions, il n'existe pas entre la France, signataire de cette convention depuis 1983, et le Japon de véritable coopération destinée à assurer le retour de l'enfant illicitement déplacé au lieu de sa résidence habituelle.

Le Japon, par la voix de son précédent Premier ministre Yukio Hatoyama, a manifesté, voilà quelques mois, sa volonté de signer la convention. M. Hatoyama précisait à l'époque qu'il fallait éviter que le Japon soit perçu, selon son expression, comme un « pays à part ». Il me semble inutile d'insister encore davantage sur ce point.

La prochaine signature de la convention de La Haye, si elle est bienvenue, ne réglera sans doute pas pleinement le problème, le juge conservant toujours, conventionnellement, la possibilité de refuser la restitution de l'enfant, dès lors qu'il considère que celle-ci n'est pas dans l'intérêt de l'enfant. Pourtant, nombre de psychologues, pédiatres et spécialistes de l'enfance s'accordent pour témoigner de l'importance du contact persistant et le plus étroit possible entre l'enfant et ses deux parents.

Les êtres humains sont bien sûr extrêmement divers. Ces singularités s'expliquent notamment – il importe justement de le relever en cet instant – par leur culture ou leur langue. Seulement, comme le souligne le pédiatre Aldo Naouri, les êtres humains partagent strictement les mêmes besoins élémentaires, et l'un d'entre eux est bien le lien entre l'enfant, durant les premières années et même tout au long de sa vie, et ses deux parents. Pour construire convenablement son identité, l'enfant a impérieusement besoin de ce double lien, afin de développer la meilleure image possible de sa mère et de son père.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Claudine Lepage. L'altération de la représentation de l'un d'eux suscitera chez l'enfant un profond trouble quant à la loyauté qu'il s'impose à leur égard et engendrera un grave conflit intérieur, qu'il ne pourra résoudre seul. Une pathologie spécifique a d'ailleurs été étudiée, sur le modèle du syndrome de Stockholm propre aux otages : le syndrome d'aliénation parentale. Les effets destructeurs d'une telle situation sur l'identité de l'enfant s'éprouveront alors tout au long de la vie.

La troisième réunion, à Tokyo, du comité franco-japonais de conciliation sur l'enfant au centre d'un conflit parental a donné lieu, voilà quelques semaines, au déplacement au Japon d'une délégation interministérielle française. La participation à cette réunion, pour la première fois, d'agents du ministère japonais de la justice témoigne d'une évolution positive.

Pour conclure, je veux manifester ma confiance dans la volonté des autorités japonaises d'œuvrer pour que ce douloureux problème des enfants franco-japonais privés de lien avec leur parent français trouve une issue satisfaisante, et ce pour toutes les parties en présence : l'enfant, la mère et le père.

Il est en effet évident, comme l'évoque cette image utilisée par M. Naouri, que les deux parents sont une échelle double sur laquelle l'enfant grimpe à la conquête de la vie.

M. Roland Courteau. Bien dit !

Mme Claudine Lepage. Dès lors que l'un d'entre eux détruit l'autre, l'échelle s'écroule, entraînant l'enfant dans sa chute...

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à approuver ces propositions de résolution, dans l'intérêt même des enfants franco-japonais. (Applaudissements.)


Publié le 27 janvier 2011