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Débat d'initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient

Un débat d'initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient a eu lieu le mardi 12 janvier 2010. Monique Cerisier ben Guiga est intervenue au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Vous trouverez ci-après le texte de son intervention.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. - Je tiens tout d'abord à remercier la commission des affaires étrangères, et notamment son président, de l'honneur qu'ils nous ont fait en nous confiant cette mission qui a été consensuelle. Nous espérions présenter un rapport transversal mais la diversité des situations nous en a empêchés. Je suis néanmoins heureuse que M. François-Poncet ait repris dans son exposé les grands thèmes qui expliquent les convulsions du Moyen-Orient et les raisons pour lesquelles l'opposition à l'Occident y est si forte.

Il n'y a qu'un point sur lequel nous divergeons et qui porte sur l'opportunité de sanctions nouvelles à l'encontre de l'Iran. Actuellement, alors qu'une grande part du peuple iranien lutte héroïquement pour l'établissement d'un État de droit, serait-il juste et efficace de le sanctionner ? Le gouvernement iranien exerce une dictature : il se sert de la menace internationale pour justifier la répression interne. En accroissant les sanctions, ne renforcerions-nous pas la dictature ? Il est difficile de se faire une idée précise mais le moindre mal serait certainement le mieux. Enfin, si les sanctions échouaient et que l'Iran développe vraiment un programme nucléaire militaire, que ferions-nous ? Irions-nous le bombarder ? Aiderions-nous ou laisserions-nous Israël le faire ? Sommes-nous prêts à une quatrième guerre du Golfe ? Aucune de ces hypothèses n'est acceptable.

Il faudrait sans doute s'attaquer au problème de la nucléarisation du Moyen-Orient. Cette utopie est peut être plus réaliste que les perspectives de guerre. La miniaturisation des bombes rend la menace plus immédiate pour les peuples désarmés sur lesquels elle pèse. Nous ne serons crédibles qu'en promouvant un traité régional incluant Israël et qui fasse du Moyen-Orient une zone exempte d'armes nucléaires, comme l'Amérique latine ou l'Asie du sud-est. Cette solution est peut-être utopique, mais l'utopie est parfois plus sûre que les roulements de tambours !

Monsieur le ministre, vous avez rencontré M. George Mitchell à Bruxelles et nous sommes heureux qu'en dépit de cette journée chargée, vous ayez pu venir au Sénat pour réagir à nos propos sur la situation Israélo-palestinienne. Présidente du groupe de contact France-Palestine du Sénat, ce sujet me préoccupe particulièrement. Il y a un an, presque jour pour jour, le Sénat débattait des conséquences de l'opération punitive d'Israël contre Gaza dont M. Jean François-Poncet, moi-même et notre ambassadeur aux droits de l'homme avons pu constater l'ampleur le 29 janvier 2009. Cet événement ramenait sous les feux de l'actualité un conflit occulté par les médias et que beaucoup croyaient gelé.

Après cette année 2009 qui a vu, du fait de l'armée israélienne, la mort de 29 Palestiniens en Cisjordanie, en plus des 1 400 tués de Gaza, l'arrestation de 3 456 Cisjordaniens, la destruction de 299 maisons, il n'y a plus de partenaires pour des négociations, pas plus qu'il n'y a d'arbitres. La négociation est donc impossible. Aujourd'hui, nous assistons à la séparation entre Cisjordanie occupée et Gaza assiégée, à la division entre le Fatah et le Hamas. Il n'y a donc plus de négociateurs palestiniens. Quant aux Israéliens, ils préfèrent la sécurité à la paix. Leur majorité gouvernementale est fragile et M. François-Poncet a bien expliqué pourquoi Israël, militairement trop fort et politiquement trop faible, ne peut pas payer le prix de la paix. L'absence d'arbitre explique en partie pourquoi ce conflit dure depuis soixante ans. Actuellement, l'arbitre américain n'est ni neutre, ni fort.

En outre, Israéliens et Américains excluent tout autre arbitre du conflit, en particulier l'Union européenne. Si je me trompe, dites le moi, monsieur le ministre ! L'Europe est divisée, elle a développé un complexe de culpabilité à l'égard d'Israël et elle fait passer les relations économiques avant toute autre considération. Elle n'use donc pas des moyens de persuasion et de pression dont elle dispose. Quand l'Europe défendra-t-elle réellement les droits des Palestiniens qui payent aujourd'hui pour ses crimes passés ? Pourquoi la France n'utilise-t-elle pas l'accord d'association de 1995 ? Pourquoi ne pousse-t-elle pas l'Union européenne à s'inspirer de l'article 2 qui permettrait de faire comprendre à Israël qu'il n'est pas possible de bafouer impunément les droits de l'homme et la légalité internationale ?

La question palestinienne est centrale au Moyen-Orient. On nous en a parlé partout. Elle est l'abcès de fixation du ressentiment et de frustration de toute la région. Si elle était résolue, les autres problèmes seraient sans doute moins difficiles à régler.
Or, la situation en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza se dégrade. En Cisjordanie, il y a récemment eu des exécutions extrajudiciaires en zones de souveraineté palestinienne à Naplouse, suite à l'assassinat d'un colon. Les arrestations d'Abdallah Abu Rahma, coordinateur du mouvement non violent de Bil'in, de Jamal Juma, coordinateur de la campagne Stop the Wall, et de bien d'autres militants pacifiques, la détention arbitraire de centaines de Palestiniens, dont les deux tiers depuis plus d'un an, dénoncée par l'ONG Hamoked dans un récent rapport.
Et je n'oublie pas le maintien en détention de notre compatriote Salah Hamouri, illégalement et injustement condamné, dont le Président de la République n'a jamais prononcé le nom.

Nous aimerions qu'il fasse autant d'effort pour lui que pour Gilad Shalit, pour la jeune Clotilde Reiss et pour tous les Français injustement privés de leur liberté à l'étranger.

A Jérusalem, le récent rapport des diplomates européens en poste dans cette ville confirme nos observations : toute la politique du gouvernement israélien est orientée vers l'israélisation de Jérusalem Est, en contravention de la résolution 242.

Le gouvernement israélien expulse les habitants arabes, il détruit les maisons, la colonisation se poursuit pour couper complètement Jérusalem par deux lignes de colonies de son environnement arabe. Le statut de résident a été retiré en 2009 à 4 577 Palestiniens de Jérusalem et une future loi en privera tous ceux qui ont la chance d'avoir la nationalité israélienne. La déléguée générale de Palestine en France risque d'ailleurs d'en être victime.

    Quel est, monsieur le ministre, le statut du rapport des diplomates européens à Jérusalem ? Je demande qu'il soit rendu public et que ses conclusions inspirent la politique de la France et de l'Union européenne.

    Qu'allez-vous faire du projet qu'Hamoked, l'ONG israélienne, a présenté à la France pour les droits des Palestiniens de Jérusalem ?

A Gaza, tous les rapports convergent : on organise le dé-développement : les usines ont été rasées, les industriels ont fait faillite, l'agriculture périclite faute d'intrants; l'eau potable, les eaux usées, l'électricité, tout pose problème. Le blocus empêche toute reconstruction et n'a cessé de se durcir depuis 2005 : 5 000 familles restent sans abri. Ne peuvent entrer qu'une trentaine de produits sur les 9 000 recensés par l'accord de Paris. Faute de ciment, l'UNWRA en est à construire des maisons en terre.

La vie quotidienne est sous perfusion grâce aux tunnels. Et voilà que l'Égypte les ferme par un mur d'acier de 18 mètres de profondeur. Mieux vaut une économie souterraine, même maffieuse, que pas d'économie du tout : elle permet aux Gazaouis de survivre ! Si ce blocus et les tunnels renforcent le Hamas, c'est que la France, l'Union Européenne et les États-Unis mènent une politique absurde qui renforce le Hamas au lieu de l'affaiblir. (Applaudissements à gauche) La France va-t-elle continuer de laisser tuer à petit feu 1,5 million de Gazaouis ?

L'État palestinien est la pièce manquante de la stabilité du Proche-Orient, la pièce manquante de l'Union de la Méditerranée. L'ONU a reconnu dès 1948 la vocation du peuple palestinien à un État. Tous les États occidentaux proclament régulièrement leur attachement à l'avènement de l'État palestinien et se concertent à ce sujet. La conférence des donateurs tenue à Paris en novembre 2008 était organisée « pour l'État palestinien ». Est-il dans l'intérêt des Palestiniens que cet État soit proclamé à nouveau aujourd'hui ? Quelles garanties internationales lui seraient-elles données ? En Palestine, les conditions constitutives d'un État sont remplies : la volonté d'un peuple, un territoire historique, des frontières définies par la ligne de 1967. Mais c'est à une déconstruction de l'État palestinien que nous assistons depuis quinze ans : que reste-t-il des frontières potentielles avec l'annexion de Jérusalem est et l'érection du mur de séparation ? Que reste-t-il de la Cisjordanie sinon cet archipel morcelé par les routes de contournement, les check points, la colonisation qui progresse chaque jour, l'israélisation de Jérusalem est ? Que reste-t-il de ce peuple dont la division a été savamment orchestrée, le chaos étant programmé à Gaza dès le retrait de 2005 ? Avant même de penser à un État, il faut restaurer l'unité des Palestiniens.

Peut-on concevoir un État sans souveraineté, un État rhétorique ? Que pensez-vous de ces plans qui visent à remplacer une Autorité palestinienne usée et qui n'a plus de base juridique par un État qui, dans les conditions actuelles de l'occupation, serait fictif ? Nos protestations auprès d'Israël ne sont ni audibles ni crédibles ; elles dissimulent bien mal notre absence de volonté.

Alors que l'Union européenne s'apprêtait, dix ans après la Déclaration de Berlin, plus de vingt ans après la Déclaration de Venise, à faire enfin entendre sa voix, la France a été l'artisan de la suppression de la référence à Jérusalem Est comme capitale du futur État palestinien, dans le texte proposé par la présidence suédoise. Comment pouvez-vous justifier cela ?

Le traitement du rapport Goldstone avait déjà illustré le caractère velléitaire de la communauté internationale et des Occidentaux en particulier. La France a raison de donner du crédit au rapport de l'ONU sur les crimes commis en Guinée ; pourquoi rejette-t-elle celui sur les crimes commis à Gaza alors qu'il est recoupé par les témoignages des soldats israéliens, par des ONG, par des témoins étrangers comme M. Zimmeray, M. François-Poncet et moi-même ?

Notre diplomatie s'épuise dans la gestion de menus détails, dans l'obtention de concessions infimes sur fond de brimades que nous n'accepterions d'aucun autre État. La seule mise en place de tuyaux pour la station d'épuration de Beit Lahia a nécessite des rencontres au sommet ! Et je ne parle pas des camouflets pour les visas de nos coopérants ou des entraves mises systématiquement à la circulation du bus scolaire du lycée français de Jérusalem est. Vous-même, ministre de la République française, vous êtes vu infliger le camouflet de Gaza. Nous attendons votre réaction.

En dépit de l'ambition du discours du Caire, l'administration américaine n'a opéré qu'une rupture rhétorique avec la politique précédente. Le gel de la colonisation, si laborieusement obtenu, n'est qu'une farce tragique : il ne concerne pas Jérusalem est, n'est que temporaire et la colonisation se poursuit. Avec l'adoption de son texte sur la santé, le Président Obama retrouvera-t-il une capacité d'agir au Proche-Orient ?

Naguère, la France disait le droit et prenait des initiatives en faveur d'une résolution juste du conflit. Depuis 2007, à l'exception du discours du Président de la République à la Knesset, elle cherche à faire taire les voix qui, comme celle du juge Goldstone, dénoncent les crimes et celles qui, comme celle la présidence suédoise, rappellent la légalité internationale. Nous sommes nombreux à regretter que les initiatives françaises, du moins celles que nous connaissons, se cantonnent aux plans économique et humanitaire, ce qui ne gêne en rien les offensives politiques et guerrières d'Israël. Le discours de la France est de plus en plus inaudible et l'on n'y perçoit plus de cohérence. (Applaudissements à gauche)



Publié le 13 janvier 2010