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Français? Ca reste à prouver

Article paru dans libération le 3 octobre 2010

Si le gouvernement a facilité le renouvellement des papiers d’identité, les Français originaires des ex-colonies semblent toujours victimes d’un traitement à part.

Par CATHERINE COROLLER

Une employée du centre d'établissement de la carte d'identité française de Limoges, dépendant du Ministère de l'Intérieur, vérifie des cartes d'identité qui viennent d'être plastifiées, le 25 Février 2010. (© AFP Jean-Pierre Muller)

Le tri entre les «vrais» Français et les «faux» se poursuit-il? Se recentre-t-il sur ceux dont l’origine les rattache aux anciennes colonies ? Il y a un peu plus de quatre mois, le 18 mai, François Fillon signait un décret «relatif à la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité et du passeport». Ce texte était censé faciliter les démarches des Français nés à l’étranger - ou dont un parent est né à l’étranger. Jusque-là, ces derniers devaient en effet prouver leur nationalité alors même qu’ils pouvaient être en possession de papiers d’identités sécurisés, voire exercer une profession réservée aux seuls nationaux.

Accalmie. Ces temps sont-ils vraiment révolus? la carte nationale d’identité et le passeport sont interchangeablesDu côté de la Ligue des droits de l’homme, on détecte une relative accalmie. Mais pour qui ? «Depuis la parution du texte réglementaire, les sollicitations individuelles auprès de mon service ont progressivement disparu. Cela ne signifie pas que toutes les demandes sont traitées sans difficultés, mais qu’il n’y a plus d’effet de masse», signale Isabelle Denise, responsable du service juridique. «Je pense néanmoins que certaines catégories de personnes continuent de rencontrer des problèmes, particulièrement celles originaires d’Algérie

Le gouvernement a-t-il décidé de se montrer plus coulant envers les Français de souche? A-t-il choisi de concentrer ses soupçons sur ceux originaires des anciennes colonies ? Les cas du Franco-Marocain Ismaïl et du Franco-Sénégalais Amara Guissé (lire ci-dessus) sont troublants. La nationalité étant appréhendée aujourd’hui comme un mode d’immigration, ceux qui ont hérité leur qualité de Français d’un ancêtre originaire du Maghreb ou d’Afrique noire paraissent suspects.

En 2009, Monique Cerisier Ben Guiga, sénatrice des Français établis hors de France, avait écrit à Rachida Dati, alors ministre de la Justice. «Votre bureau de la nationalité tend à contester systématiquement la nationalité française établie par filiation dès lors que les ascendants se seraient mariés "religieusement devant le cadi"». En juillet 2010, la cour d’appel de Paris a finalement tranché en faveur de la reconnaissance de ces mariages.

Lorsqu’une personne conteste le refus de la chancellerie de lui délivrer un certificat de nationalité française (CNF), ou que celle-ci conteste le bien-fondé de la délivrance de ce même CNF par le greffier en chef du tribunal d’instance, le contentieux aboutit devant le tribunal de grande instance. «Pour moi, le cas d’Ounoussou Guissé est symptomatique, relève Marie-Christine Le Boursicot, présidente de chambre à la cour d’appel de Rouen. En ce moment, je vois passer chaque semaine des dossiers dans lesquels le ministère public a fait appel de décisions. Dans 50% des cas, il s’agit de personnes d’origine algérienne qui se sont vu délivrer des certificats de nationalité française, des cartes d’identité et à qui on dit qu’un de leurs aïeux n’a pas fait sa recognition (déclaration par laquelle les Algériens pouvaient rester français après l’indépendance, ndlr)». «Je trouve anomal d’avoir, tout d’un coup, autant de cas de nationalité», insiste la magistrate.Elle y voit l’effet d’un climat, «une paranoïa envers tout ce qui est né à l’étranger».

Les intéressés vivent mal ce soupçon. Ainsi Joseph Christian Messina, fonctionnaire de police- métier réservé aux nationaux - titulaire d’une carte d’identité sécurisée et d’un passeport. Mais né au Cameroun, noir, et tenant sa nationalité de son père, naturalisé. Lorsqu’il a voulu faire établir des papiers pour ses enfants âgés de 4 et 6 ans, la mairie de Créteil lui a réclamé un certificat de nationalité. Ça lui a fichu un coup. «Ça et le débat sur l’identité nationale», ajoute-t-il.

Rupture. Traumatisé également, Abdelkrim Fodil. L’administration ayant contesté la recognition de son père, ce quinquagénaire s’est retrouvé sans papiers. Lorsqu’il est rentré dans sa cité, les enfants lui ont crié : «Eh tonton ! Si toi, t’es pas français, nous, qu’est-ce qu’on est?», raconte-t-il. Disposée à l’accueil d’une antenne de la préfecture de police, une brochure entend marquer la rupture : «Passeport et cartes d’identité. L’Etat simplifie vos démarches», promet-elle.


Publié le 04 octobre 2010