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DEPLACEMENT DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS DU 22 AU 25 JUIN 2010

Dans le cadre de la préparation d’une mission du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens au premier semestre 2011, Monique Cerisier ben Guiga s'est rendue dans les Territoires palestiniens. Voici son témoignage.

"Lors de ces quatre jours de visite à Gaza, à Jérusalem et en Cisjordanie, j’ai pu constater la convergence des moyens utilisés par le gouvernement israélien pour resserrer l’étau dans lequel sont pris les Palestiniens : que la fragilité de leur droit au séjour fasse d’eux des étrangers dans leur propre pays, qu’aucune propriété ne leur soit garantie, que leur activité économique soit entravée et qu’ils soient privés de la simple liberté d’aller et venir.

GAZA

Le « buzz » de l’allègement du blocus

La situation des 1,5 million de Gazaouis se caractérise, surtout depuis 2009-2010 (mais cela a commencé bien avant), par l’asphyxie de l’économie : appareil productif industriel anéanti, aucune importation de matières premières, de machines et de pièces détachées, et aucune garantie de pouvoir exporter la production. Le même phénomène peut être constaté pour l’agriculture et pour toutes les infrastructures et tous les logements puisqu’il en manque aujourd’hui 40 000.

Aussi, l’annonce de M. Netanyaou sur l’allègement du blocus, destinée à détourner l’attention internationale de l’agression contre « la flotille de la paix », assortie d’une absence d’enquête internationale, relève-t-elle de la propagande.

Quand l’Autorité palestinienne demande l’entrée de 33 produits de première nécessité, et surtout des matériaux de construction, les seules autorisations données sur une liste en date du 20 juin 2010, concernent la parfumerie et les cosmétiques, des outils agricoles et du matériel de pêche. On peut ajouter à cette liste le ketchup, la mayonnaise et les chips, ainsi que les aiguilles à coudre et le fil qui sont passés la semaine dernière. Voilà ce qu’est « l’allègement du blocus » pour une population dont 70% vit au-dessous du seuil de pauvreté, dépend de l’aide alimentaire de l’UNWRA et ne peut en aucun cas acheter les produits introduits via les tunnels et même les fruits et légumes produits dans ce qui reste de terre cultivable. Les marchés bien achalandés, dont la télévision israélienne montre répétitivement les images, sont inaccessibles à la majorité de la population.

Comment les Gazaouis résistent-ils ?

Pendant que le Hamas accumule les stocks de ciment transférés par les tunnels et qu’une nouvelle bourgeoisie Hamas s’enrichit grâce au blocus, les Gazaouis transforment les ruines en matériaux de construction : les blocs de béton cassés à la masse sont ensuite transformés en gravier et le fer à béton redressé.

A côté des maisons en ruine se dressent des abris patchworks : parpaings, bidons, morceaux de containers, toiles de tente. Il manque des logements pour 40 000 familles depuis les bombardements.

L’UNRWA allège les souffrances de la population par les distributions de rations alimentaires inévitablement carencées en vitamines et en protéines. Les seuls lieux joyeux que j’aie vus étaient les camps de vacances dont bénéficient environ 200 000 enfants, soit dans des écoles aménagées à cette fin, soit en bordure de mer.

En réalité la production des biens nécessaires à la vie d’une société reste totalement interdite par le gouvernement israélien aux habitants de gaza, dont 800 000 enfants. Il n’y a pas de crise humanitaire, c'est-a-dire pas de famine, comme le dit BHL, mais seulement une population qui souffre d’une disette programmée par Israël et qui se désespère de ne pouvoir ni travailler, ni se loger, ni habiller et éduquer convenablement ses enfants.

JERUSALEM

La ville arabe est la cible principale de la conquête en cours. D’une part un grand nombre de colons ultra orthodoxes s’installe dans les quartiers arabes, chrétiens et arméniens, en arborant des drapeaux immenses aussi provocateurs que possible.

D’autre part, et c’est peut-être encore plus grave, le cercle de colonies qui enserre Jérusalem à quelques kilomètres de la vieille ville (les quatre quartiers de Psigat Ze’ev qui séparent Jérusalem de Ramallah, Ma’aleh Adumim, Gilo et Har Homa qui encerclent Bethléem), est en train de se compléter d’un cercle rapproché. Il se met en place de la même manière qu’à Hébron. En faisant le tour de Jérusalem-Est dans le sens des aiguilles d’une montre on trouve des colonies constituées d’une ou de quelques maisons apparemment isolées (Sheikh Jarrah, l’Hôtel Shepherd’s (en cours), Elad Sifting sur le Mont des Oliviers, le commissariat de police principal de Cisjordanie de Ras el Amud en cours de transformation en logements et de l’autre côté de la rue la colonie de Ma’aleh Zeitim et enfin la vallée de Silwan où les expulsions et les démolitions devraient commencer le 4 juillet 2010 ce qui implique l’éviction de 500 habitants. Les colons menacent d’utiliser leur milice à cette fin si le gouvernement n’envoie pas l’armée.

Au total, une fois tous les points reliés les uns aux autres, comme à Hébron, tous ces quartiers adjacents à la vieille ville seront interdits aux Palestiniens et formeront une ligne continue de « Settlers Disney world » (l’expression est de Daniel Seidmann, fondateur d’Ir Amin), de logements et de bâtiments administratifs infranchissable pour eux.

A cette offensive sur le terrain, s’ajoute l’offensive administrative qui va permettre d’expulser progressivement, d’après le ministère de la défense israélien, environ 35 000 Palestiniens de Jérusalem et de Cisjordanie, par l’activation d’un décret militaire des années 60. C’est ainsi que le Père Moussalam, ancien curé de Gaza, aveugle, et qui s’est installé dans sa maison familiale de Birzeit en Cisjordanie, ne dispose que d’un permis de trois mois et peut être déporté d’un jour à l’autre à Gaza où ses pièces d’identité avaient été délivrées.

Bien que nous soyons à Jérusalem l’objectif est le même qu’a gaza : rendre la vie insupportable aux palestiniens et les contraindre à un exil à petit flot tout aussi efficace mais moins visible que les expulsions massives de 1948.

LES POPULATIONS BEDOUINES DE ZONE C

Ce sont aujourd’hui les populations les plus menacées de Cisjordanie. Selon les accords d’Oslo, les zones C, essentiellement rurales, couvrent la plus grande partie du territoire de Cisjordanie. Les villageois sédentaires arrivent à lutter par leur résistance non-violente et à s’accrocher à leurs terres. Mais les bédouins, nomades éleveurs, sont sans défense face à une persécution destinée à les contraindre de migrer vers les villes pour vider ces zones de toute population arabe. Les organisations internationales n’obtiennent pas l’autorisation de satisfaire leurs besoins les plus urgents : accès à l’eau, éducation des enfants, habitat. La pose de la moindre tente suppose une autorisation de l’armée. Cette semaine quatre ordres de démolition de tentes ont été donnés et la citerne construite par un éleveur avec l’aide de la coopération française a fait l’objet d’un ordre de démolition le 27 mai dernier. Il en est de même pour l’école construite pour la communauté bédouine de Jahalin.

LES PRISONNIERS

J’ai pu, grâce à l’ambassade de France Tel Aviv et au Consulat de France à Haïfa, rendre visite à Salah Hamouri. A 25 ans, et après 5 ans de détention, sa maturité impressionne. Il préfère ne pas évoquer ses conditions de détention – qui ne doivent pas être pires que dans une prison française, et il préfère attirer notre attention sur les 19 malades du cancer et le détenu aveugle, incarcéré depuis 25 ans dont aucun ne bénéficie d’une mesure d’humanité. Il s’inquiète beaucoup des enfants détenus à la prison de Hasharon. Il insiste sur la souffrance des détenus originaires de Gaza dont certains n’ont pas vu leur famille depuis dix ans et aucun depuis quatre ans.

Episode tragi-comique. L’officier qui nous accueille insiste sur le fait que Salah a beaucoup trop de livres (vingt, qui lui sont donnés un par un) et que ceux que nous apportons sont inutiles et ne l’intéresseront pas. Salah interrogé quelques minutes plus tard exprime sa joie d’avoir de nouveaux livres et s’exclame que tout l’intéresse. En fait depuis le 1er janvier 2010 les familles des prisonniers n’ont plus le droit de leur apporter des livres. Les prisonniers doivent faire une commande par une centrale d’achat israélienne. Sur dix livres commandés en janvier, trois ont été livrés à ce jour.

Conclusion de Salah : « Non seulement ils enferment nos corps, mais ils veulent faire fondre notre esprit ».

CONCLUSION

Que ce soit à Gaza, à Jérusalem, dans les zones C, la mécanique est la même. Que les Palestiniens soient gouvernés par le Hamas ou le Fatah, ils sont la seule et véritable cible d’une offensive qui n’est pas politique mais guerrière. Sous des dehors administratifs, juridiques et sécuritaires, toute la politique israélienne vise à affaiblir l’Autorité palestinienne et à se servir du Hamas qui est son meilleur allié objectif, aux fins d’achever la conquête totale de la Palestine historique, de la Méditerranée au Jourdain.

Tout ce qu’on observe sur le terrain contredit le slogan des deux Etats. Le processus de négociation est un leurre : pendant les « proximity talks », la conquête continue."



Publié le 29 juin 2010