Jeudi dernier, le 15 mai, Martin Schulz, candidat du Parti Socialiste Européen à la présidence de la Commission européenne qui sera renouvelée à l’issue des élections du 25 mai, s’est confronté à ses quatre concurrents lors d’un débat télévisé : Jean-Claude Juncker (PPE-droite), Guy Verhofstadt (démocrate et libéraux), Alexis Tsipras (Parti de la gauche européenne) et Franziska Keller (écologistes). Le Front national n’étant pas membre d’un parti européen, il n’a pas de candidat à la présidence de la Commission. Les trois députés européens élus sous cette étiquette siègent, comme la plupart des parlementaires d’extrême-droite, en tant que non-inscrits.
L’objet de cet article n’est pas de revenir sur les positions développées par chacun des candidats au cours du débat, mais de souligner le succès majeur que constitue, pour Martin Schulz, sa simple tenue. Ce débat acte en effet la réussite du pari du candidat socialiste, qui, il y a un an, est parti en campagne, s’appuyant sur l’article 9 D du Traité de Lisbonne, qui indique que « En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission.«
Cet appui était, à première vue, bien peu solide. Sujet à discussion, il ne stipule pas clairement que le candidat proposé par le Conseil européen, c’est-à-dire par la réunion des chefs d’Etats et de gouvernements, doit refléter la couleur politique du Parlement issu des urnes. Il impose seulement aux dirigeants européens de « tenir compte » du résultat des élections. Autrement dit, les Etats ne se considéraient à l’origine nullement liés par une quelconque obligation, et pensaient pouvoir le moment venu imposer leur favori, afin que la Commission, qui représente l’intérêt général de l’Europe, demeure sous leur contrôle et ne se substitue pas à eux dans leur rôle de définition des grandes orientations de l’Union.
C’était sans compter la campagne de Martin Schulz. Le président du Parlement européen a réussi à transformer radicalement l’interprétation de l’article 9 D, et la vague injonction de « tenir compte des élections » est devenue obligation de respecter le choix des électeurs en proposant au vote du Parlement le candidat officiel de celui des partis qui remportera l’élection. Car Martin Schulz a lancé un mouvement qui a été suivi par les autres grands partis européens, comme en témoigne la tenue du premier débat entre les cinq candidats à la Présidence de la Commission européenne. Tous font campagne dans l’idée qu’ils seront désignés pour diriger la Commission européenne si leur parti arrive en tête le 25 mai. C’est là un point de consensus majeur entre les candidats, et Martin Schulz a rappelé que, si les Etats tentaient de se mettre d’accord sur un autre candidat, « aucun membre du Parlement européen ne voterait pour lui ». Ce qu’ont confirmé ses quatre concurrents.
La politisation de cette campagne, qui porte pour la première fois la perspective de donner un visage à l’Europe, légitime et reconnu car sorti des urnes, doit permettre d’intéresser les citoyens à une Union européenne regardée aujourd’hui avec indifférence, voir avec méfiance. Les forts taux d’abstention que prédisent les sondages semblent indiquer que le changement de perception ne sera peut-être pas immédiat. Il n’en demeure pas moins que l’élection par les citoyens européens du Président de la Commission marque une avancée importante pour l’Union européenne en renforçant le poids de l’instance communautaire.
Ainsi, si la Commission est dirigée par Martin Schulz à l’issue des élections, il pourra s’appuyer sur cette légitimité nouvelle et sur la majorité socialiste au Parlement, celle-là même qui aura permis son accession à la présidence, pour appliquer le programme du PSE et, enfin, changer l’Europe. Car il y a urgence : urgence à investir dans l’économie pour lutter contre le chômage, à faire de la jeunesse et de l’égalité entre les sexes une priorité, à rendre les institutions européennes plus démocratiques, plus transparentes et plus proches des citoyens, à se battre contre l’exil fiscal et les paradis fiscaux.