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Entrevue avec le petit journal: Claudine Lepage et Philip Cordery – “Il y a un vrai risque pour le réseau d’enseignement français à l’étranger”

lepetitjournalLa sénatrice des Français établis hors de France, Claudine Lepage, et le député des Français du Bénélux, Philip Cordery, ont présenté 50 recommandations visant à contenir les frais de scolarité dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger. Au menu, économies, recherches de partenariats et de nouvelles sources de financement et renforcement du rôle de l’Ambassadeur.

Depuis fin des années 2000, les frais de scolarité des établissements français à l’étranger ont augmenté de 49% en moyenne (pour comprendre les raisons de cette hausse, voir notre article)
En 2013, à l’initiative de la ministre déléguée, chargée des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret, une large concertation s’est engagée sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger. Claudine Lepage et Philip Cordery (photo) ont été chargés d’une mission de réflexion sur les droits de scolarité. Nous avons pu les rencontrer à l’issue de la présentation de leurs conclusions aux membres de la Commission éducation lors de la dernière session plénière de l’Assemblée des Français de l’Étranger.

Lepetitjournal.com : Entre le manque de place dans certains établissements et les frais élevés de la scolarité à l’étranger, l’éducation des enfants pourrait-elle devenir un frein à la mobilité des Français ?
Claudine Lepage :
L’éducation est un enjeu majeur pour les Français de l’étranger. La France est le pays qui finance le plus son enseignement à l’étranger. Mais si les écoles françaises accompagnent la mobilité des Français à l’étranger, on ne pourra jamais construire une école partout où il y a des Français.  L’idée est donc plutôt de réfléchir à des partenariats là où c’est possible. Il faut maintenir le réseau existant mais aussi le diversifier. Le renfort ou la coopération avec des systèmes locaux est possible. Nous proposons d’aller dans ce sens. C’est envisageable dans les pays francophones, mais pas seulement. Par ailleurs, toutes les familles n’ont pas la même demande. Elles souhaitent l’apprentissage de la langue et de la culture pour leurs enfants, mais peuvent, aussi, être satisfaites du système d’éducation local et se tourner alors vers l’offre complémentaire. S’il existe des filières bilingues avec le français (même non homologuées par l’Éducation nationale car elles ne correspondent pas aux critères d’enseignement imposés par l’Éducation nationale), cela peut être satisfaisant. C’est sans doute plus facile en Europe mais c’est possible également aux Etats-Unis où il existe des classes bilingues.

La stabilisation du budget (proposition 1) est-elle possible avec un nombre d’élèves en forte hausse ? (Rappel : 90.000 élèves de plus dans le réseau entre 2006 et 2013)
Philip Cordery :
Nous sommes dans une période de restriction budgétaire. Les familles sont au bout de leurs capacités contributives. La problématique à résoudre consiste à préserver la qualité pédagogique et la mixité culturelle et sociale du réseau dans le cadre d’une enveloppe budgétaire constant. Nous proposons donc des pistes pour faire des économies et trouver d’autres sources de financement pour pérenniser le système. Nous insistons beaucoup sur les partenariats qui nous semblent une piste de développement à creuser.

Beaucoup de parents semblent se plaindre des nouvelles conditions d’attribution des bourses. Qu’en est-il réellement ?
CL :
Une remise à plat du système était nécessaire. Il y avait trop d’opacité, d’ajustements, d’amendements, beaucoup d’abus qui ne sont plus possibles avec les nouveaux critères d’attribution. Le nouveau système apporte l’équité, la maîtrise des budgets et évite les dérapages. Il y a eu des problèmes lors de la période de transition, mais la Commission Nationale des Bourses (qui s’est tenue à Paris les 18 et 19 juin 2014 ndlr), a dressé un bilan positif du nouveau dispositif d’aide à la scolarité. L’évolution des crédits alloués aux bourses est conforme à l’engagement du président Hollande. (En 2015, les crédits de l’État pour les bourses s’élèvent, dans le projet de loi de finances, à 125,5 millions d’euros contre 118,812 millions en 2014 et 103,52 millions en 2013, ndlr).

Vous proposez un système complémentaire de bourses…
CL : Nous avons pensé à un système de bourses internes complémentaires à destination de certains élèves qui seraient financées par les anciens élèves. Il existe au niveau mondial une association des anciens composée de personnes ayant réussi et gardant très bon souvenir de leur scolarité dans le réseau. On pourrait envisager qu’ils aident certains élèves par exemple avec une bourse au mérite (proposition 32).

Certaines de vos propositions ne créeraient-elles pas plutôt des charges supplémentaires ? Par exemple, vous évoquez le fait de faire de l’AEFE une zone d’expérimentation de la tablette tactile (proposition 9).
PC : Les livres sont gratuits en France et pas à l’étranger et il faut encore y ajouter les coûts de transport. Nous souhaiterions donc faire chiffrer cette proposition par l’administration afin de remplacer les livres couteux par une tablette. C’est aussi un outil pédagogique qui a sa place dans le cadre de la loi de la refondation de l’école. Certaines écoles françaises sont en pointe sur ce sujet, pourquoi pas certains établissements de l’étranger ? La tablette ne se remplacerait pas forcément tous les ans. C’est aussi une question de santé publique, quand on connaît le poids du cartable… D’autant que les élèves de l’étranger doivent souvent le porter sur de plus longues distances, les lycées français ne sont pas des écoles de quartier.

Vous proposez également la gratuité pour les enfants d’enseignants (proposition 50).
CL :
A partir du moment où on aborde la question du coût du réseau d’enseignement, nous estimons qu’il n’y a pas de question taboue. Il n’est pas certain que cette mesure serait mise en place. Pour les recrutés locaux, l’établissement prend en charge une partie de la scolarité. Les résidents quant à eux touchent un avantage familial quelque soit l’établissement où ils inscrivent leurs enfants. Cette mesure permettrait donc des économies si les enseignants n’inscrivent pas leurs enfants à l’école française. De plus, la scolarité ne coûte pas forcément autant que l’avantage familial, qui est versé en fonction du coût de la vie des pays et qui peut donc être important.

Afin de favoriser la mixité sociale vous évoquez de moduler certains frais annexes (cantine, voyages scolaires, transport), en fonction des revenus des parents (proposition 12) ? Cette mesure est-elle applicable alors que les établissements ne disposent pas des feuilles d’impôt des parents ?
PC : Cette proposition est un ballon d’essai, et pourrait être expertisée. Cela demande à être réfléchi. Sciences Po Paris, par exemple, a mis en place un système où les familles françaises ou étrangères doivent donner leur feuille d’impôt, et payent en fonction de leurs revenus. Ce ne sera pas possible partout mais cela pourrait être expertisé dans certains EGD (Établissements à gestion directe) européens. Cela permettrait de ne pas exclure la classe moyenne. Toute une tranche de personnes s’auto-exclut de l’enseignement français à l’étranger. Ils n’ont pas les moyens de payer, et ne peuvent pourtant pas prétendre aux bourses.

Vous souhaitez impliquer davantage les entreprises, comment ?
CL :
Le partenariat avec les entreprises peut se faire sur différents plans. Au Cap, par exemple, une entreprise française a financé l’installation d’internet dans l’établissement. Cette entreprise était motivée pour aider, car les enfants du personnel sont scolarisés dans cette école. D’autres aides en nature peuvent avoir lieu (installation du chauffage, de la climatisation). Cet apport en nature peut être complété par la création de fondations. Beaucoup de grandes entreprises souhaitent s’impliquer.
PC : Nous prônons avant toute chose la flexibilité. Il y a des besoins différents selon les zones géographiques. Certaines entreprises préfèrent alimenter des fonds à Paris, d‘autres des travaux sur place. Un partenariat avec les entreprises peut prendre plusieurs formes.
Nous souhaiterions aussi collecter la taxe d’apprentissage (proposition 30) pour financer les filières professionnelles (Aujourd’hui, seuls 6% des élèves du réseau de l’AEFE sont inscrits dans des filières technologiques (STG) et/ou professionnelles (filières Pro) ndlr). On peut imaginer dans certains pays une formation en alternance avec les entreprises ou encore des partenariats avec des écoles de formation professionnelles locales.

Selon vous, l’ambassadeur doit avoir un rôle clé de coordination, pourquoi ? (proposition 2)
PC :
Chaque pays là encore a ses spécificités. Il faut un pilotage local des partenariats en fonction des besoins. Par exemple, qui mieux que l’ambassadeur peut présenter un dossier de défiscalisation car l’école est un monument historique ? Qui peut faire le lien entre les entreprises prêtes à aider et les besoins de l’établissement ? L’ambassadeur doit être l’animateur de ces partenariats. L’ambassadeur doit être l’interlocuteur central des autorités locales. Comme il est le pivot de la communauté française, il est le mieux placé pour y rechercher des compétences. Beaucoup de gens sont prêts à aider, il faut cordonner les rôles avec les autorités locales, les parents, les entreprises, les associations et les conseillers consulaires.

Qu’attendez-vous des parents ?
CL:
Il faut distinguer « deux catégories » de parents : les parents élus et faisant partie des comités de gestion, au cœur des décisions. Et tous les autres, qui ne sont pas toujours informés, ne savent pas ce qu’il se passe. Il m’est arrivé de voir des parents se plaindre du manque d’information. Il faut éviter le clivage et impliquer toute la communauté scolaire. Les parents adhèreront ainsi davantage aux projets immobiliers par exemple. Dans les EGD on peut imaginer que le budget soit voté par les parents, ce qui n’est pas le cas actuellement. En revanche, il n’est, bien sûr pas question qu’ils interviennent sur le contenu pédagogique.

Vous souhaitez revoir la Charte sur l’Enseignement français à l’étranger (proposition 14), dans quel but ?
PC :
Cette charte pourrait être un outil pour imposer des critères de bonne gestion aux établissements conventionnés et partenaires. Certains de nos établissements partenaires sont des structures privées. Pourtant l’Etat leur octroie des subventions et paye les bourses de certains de leurs élèves. Ils bénéficient du fait d’appartenir au réseau, et à une marque France. Ces établissements ont donc aussi le devoir de limiter les frais. La Charte de l’enseignement français à l’étranger doit être revue, et imposer à ces établissements des contraintes sur la gouvernance. Il faut entre autres y limiter l’échelle entre les salaires. En cas de désaccord, ces établissements sont libres de sortir du réseau AEFE.

Quelle sera la suite concrète de ces propositions ?
CL :
Ces 50 propositions ont été conçues comme une boite à outil. Certaines seront mises en place rapidement localement, d’autres demandent une expertise pointue, d’autres enfin seront, peut-être, mises de côté.
PC : Chacun doit se saisir du problème des frais de scolarité à son niveau : parent, ambassadeur, personnel, conseillers consulaires. Si on ne fait pas quelque chose urgemment sur cette question, il y a un vrai risque pour la pérennité du réseau.

Propos recueillis par Marie-Pierre Parlange (www.lepetitjournal.com) lundi 30 mars 2015

Lire l’intégralité du rapport: www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/154000138-enseignement-francais-a-l-etranger-recommandations-visant-a-limiter-l-augmentation

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