Invitée à la première édition du Monde Festival à Montréal ( organisé en collaboration avec le journal Le Devoir) je suis intervenue dans l’une des table ronde sur l’exception culturelle francophone. Le débat animé par Guillaume Bourgault-Côté, journaliste au Devoir regroupait Christine Saint- Pierre, ancienne Ministre des relations internationales et de la Francophonie au Québec, Louise Lantagne, présidente et chef de la direction de la SODEC ( société de développement des entreprises culturelles) Sidonie Dumas, directrice générale de Gaumont et moi-même.
Ce débat (dont la vidéo sera bientôt disponible) posait une question, je le crois fondamentale, pour l’avenir de nos cultures et plus largement de nos sociétés. L’exception culturelle francophone, chère à de nombreux pays, est-elle encore à l’ordre du jour à l’heure du tout numérique et de la puissance des GAFAN et plus particulièrement de Netflix.
- Retour sur l’histoire du concept d’exception culturelle
La France et, quel que soit ses gouvernements ce débat ayant toujours dépassé le clivage gauche-droite, a toujours été dans son histoire une militante de l’exception culturelle. Pas par protectionnisme, mais au contraire avec la volonté d’affirmer avec force que chaque culture est un patrimoine commun de l’humanité et qu’il convient de toutes les préserver.
Au début des années 1990, alors qu’une nouvelle étape dans la libéralisation des échanges se préparait au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), François Mitterrand, alors Président de la république, avait eu des mots forts et quelque peu visionnaire en déclarant que « les créations de l’esprit ne peuvent être assimilées à de simples marchandises, cela a été répété, martelé sur bien des tribunes par les représentants qualifiés du gouvernement français, ils ont eu raison de le faire, il faudra qu’ils continuent.Les activités culturelles ne sont pas du simple commerce. »
Nos prédécesseurs- hommes ou femmes politiques- mais aussi personnes issues de la culture ou de la société civile ont donc beaucoup œuvré pour marteler que la culture n’est pas une marchandise comme les autres et éviter ainsi que la culture fasse partie des négociations internationales inhérentes aux traités internationaux.
- Une première victoire : la convention de l’UNESCO de 2005
Une volonté qui s’est concrétisée par la signature en 2005 de la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
C’est également à ce moment, et le débat l’a bien rappelé, que l’on passe du concept d’exception culturelle, qui avait une connotation défensive et « franchouillarde » au concept de diversité culturelle plus mobilisateur et qui mettait en avant la nécessité de protéger la variété des cultures nationales.
Cette convention, loin de tout régler, était une victoire face à la volonté d’hégémonie culturelle des États-Unis et affirmait des principes fondamentaux comme la légitimité́ des politiques publiques de soutien à la culture et la reconnaissance de la spécificité́ des biens et services culturels, notamment au regard du droit du commerce.
Cette convention est toujours aujourd’hui d’actualité, c’est sur elle que la France s’est appuyée pour que la culture ne fasse pas partie des négociations sur le TAFTA, c’est sur elle également que le Québec a pu s’appuyer pour que l’exemption culturelle soit maintenue lors de l’accord de libre-échange nord-américain.
- L’arrivée du numérique a été un bouleversement
Cependant, les états doivent désormais faire face à l’arrivée des plateformes vidéos comme Netflix dont l’hégémonie et la puissance conduisent à de nombreux bouleversements du paysage audiovisuel mondial.
Le terme de bouleversement est, je crois, le plus approprié quand l’on constate le nombre important d’abonnés à Netflix par pays ou le fait que le jury de la Mostra de Venise, ait décerné récemment le Lion d’Or à Roma, film Netflix… qui sera donc accessible que d’une seule manière : sur un écran d’ordinateur ou de télévision, en s’abonnant à Netflix.
Le système Netflix représente une menace pour la diversité culturelle car il repose sur une logique d’intermédiation avec un service de recommandations aux usagers qui s’appuie sur un algorithme conditionnant 75 % des visionnages sur le site.
- Quels solutions pour préserver la diversité culturelle ?
Face à la puissance des GAFAN, j’estime que l’idée d’une plateforme numérique francophone devrait être creusée. Cette plateforme pourrait être également un moyen de mettre en avant la qualité des productions audiovisuelles francophones. Cette proposition a reçu un bel accueil du public et des intervenants et je tâcherai à l’avenir de travailler sur cette question avec les différents acteurs.
Outre cette plateforme numérique francophone le débat a permis d’identifier des pistes pour que les différents états puissent préserver la diversité culturelle.
· Se réengager dans des politiques publiques culturelles ambitieuses.
· Taxer les géants du numérique.Par exemple, la France a adopté en septembre 2017 un décret visant à ce que toutes les plateformes vidéo numériques, gratuites et payantes, y compris celles opérant en France mais installées à l’étranger participent au financement de la création dans l’Hexagone via la « taxe vidéo » de 2%
· Encadrer. Par exemple, le parlement européen a adopté de nouvelles règles pour les services de médias audiovisuels. Afin de soutenir la diversité culturelle du secteur audiovisuel européen, les députés ont garanti que 30% du contenu au sein des catalogues des plateformes de vidéo à la demande soit européen.
- Créer des partenariats avec les plateformes vidéos comme celui entre le Canada et Netflix
Ce débat, initié dans le cadre de ce beau festival, se poursuivra nécessairement dans les semaines et mois à venir car la puissance des GAFAN poussent la puissance publique à se mobiliser pour défendre la diversité culturelle.