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Les plaideurs

vsEn moins de vingt-quatre heures Dominique de Villepin est passé de l’excitation d’avoir été relaxé à l’exaltation d’avoir vu le parquet se pourvoir en appel, allant de studio de radio en plateau de télévision, le verbe haut et l’air habité.

En une poignée de minutes le procureur de Paris Jean-Claude Marin a troqué, selon la presse, la gauche et quelques juristes avertis, son statut de haut magistrat contre celui de godillot en annonçant, en direct à la radio, qu’il faisait appel de la décision du tribunal relaxant Dominique de Villepin.

L’éditocratie parisienne, humoristes compris, s’en donne depuis à cœur joie, sans trop creuser sur le fond, et se lèche d’avance les babines : Villepin leur fera vendre de la copie au moins jusqu’à la fin 2010, début 2011. Que veut le peuple semblent-ils nous dire ? Du pain et des jeux. Pour les jeux de massacre, à droite comme à gauche, ils sont servis. Ce fatigant cirque médiatique ne serait pas bien grave – qui se rappelle le soir, sauf exception bien sûr, du laïus d’un éditocrate du matin ? -, s’il n’empêchait parfois de comprendre les raisons qui l’ont nourri. Parlons-en.

Les Français ont depuis longtemps un problème avec leur justice, ne se retrouvant pas toujours dans les verdicts des tribunaux. Bourgeoise, patronale, de classe, aux ordres, quelle que soit l’époque la justice a été affublée de qualificatifs reflétant une réelle interrogation sur son indépendance à l’égard du pouvoir. Aucun gouvernement n’y a échappé.

Au lendemain de révélations de dysfonctionnements ou de véritables erreurs judiciaires (Outreau par exemple) l’amalgame est fait et c’est toute l’institution qui se retrouve mise en examen … On reparle alors de réforme avec en ligne de mire le juge d’instruction et sa faillibilité, faillibilité qui trouverait sa source dans son propre statut : Robert Badinter rappelle qu’il est difficile en effet d’être « à la fois Maigret et Salomon », c’est à dire en même temps enquêteur et juge. Instruction collégiale (abandonnée parce que trop coûteuse), création de la fonction de juge des libertés qui décide de l’incarcération à la place du juge d’instruction (dont la plupart du temps il reprend les recommandations), aucune réforme n’est apparue à ce jour satisfaisante.

Le gouvernement envisage donc de supprimer carrément le juge d’instruction et de confier au procureur l’instruction à charge et à décharge, procureur qui aurait désormais face à lui un avocat avec des droits et des moyens renforcés (quid du respect des droits des mis en examen les plus démunis qui ne pourront se payer les meilleurs avocats ?). L’inquiétude vient du fait que l’instruction passerait alors des mains d’un juge d’instruction indépendant à celles d’un procureur qui, lui, a une hiérarchie à laquelle il doit obéir et dont sa carrière dépend. Le pouvoir maîtriserait alors toutes les enquêtes sensibles.

L’indépendance du parquet, voilà bien ce qui agite ces jours-ci médias et classe politique. Le procès Clearstream en constitue un parfait cas d’école. Le procureur de Paris a beau se défendre d’avoir agi sur ordre de sa hiérarchie, a beau déclarer se sentir blessé par cette suspicion, a beau expliquer que c’est la pratique commune, dès l’instant où les condamnés ont interjeté appel, rien n’y fera : le caractère passionnel de l’affrontement entre Villepin et Sarkozy rend ces affirmations inaudibles et l’aspect pénal de cette affaire accessoire. La justice est devenue politique. Le soupçon est d’autant plus tenace que plusieurs magistrats et juristes sont dubitatifs quant aux motivations de Jean-Claude Marin, surtout que ce dernier a théâtralisé sa décision en l’annonçant en direct à la radio, Europe1 devenant l’annexe du palais de Justice de Paris. Enfin, personne n’est convaincu par les commentaires et dénégations des portes paroles de l’UMP ou du gouvernement, voire de la femme du président. Beau résultat.

Par-delà ces gesticulations, resurgit un vieux débat, un serpent de mer : comment rendre la justice réellement indépendante du pouvoir sans risquer de voir la démocratie otage d’un « gouvernement des juges » ? Faut-il simplement faire évoluer la fonction de juge d’instruction ? Faut-il renforcer les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature ? Faut-il élire les juges et les procureurs qui seraient ainsi défonctionnarisés ?

Une chose est sûre : la Cour européenne des droits de l’homme a déjà interpelé la France sur la dépendance de ses procureurs et n’a pas l’intention d’en rester là.

Nous devons nous mobiliser pour que ce projet de réforme, en l’état, soit rejeté et que l’instruction ne se fasse pas sous la tutelle unique de la Chancellerie, quand bien même serait créé, comme l’envisage le gouvernement, un juge arbitre qui trancherait les conflits entre accusation et défense. Il en va de nos libertés individuelles et de notre Etat de droit.

Quant à la vendetta UMP … n’eut été le discrédit jeté sur nos institutions par ces guerres picrocholines, qui s’en plaindrait à gauche ?

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