Lu sur le forum de la FFE du Parti socialiste, cet article de Valérie Battaglia, de Bruxelles, article fort qui alimente notre réflexion sur le débat concernant le voile intégral. Je le relaie ici avec son autorisation.
Féministe, de gauche, très réticente à l’égard de toutes les religions qui, toutes sans exception, soumettent les femmes et prônent à leur encontre des règles irrationnelles qui ne s’appliquent jamais aux mâles, je me sens lasse et fatiguée à l’idée de répéter une fois encore, à mes consœurs socialistes, les mêmes arguments contre une loi de circonstance anti-burqa, niqab ou tout ce que l’on voudra .
Car cette loi ne résoudra rien, mais stigmatisera et enfermera dans leurs murs les femmes les plus pauvres, les plus fragiles, les plus soumises de notre territoire. Par contre, comme l’ont déjà dit un député de droite, Mr Raoult, et certains managers de boutiques de luxe, il faudra faire en sorte de laisser tranquilles les clientes du triangle d’or parisien, soit privatiser les boutiques (Vuitton, Chanel, Hermès…) le temps de leurs achats, soit fermer les yeux et surtout faire en sorte que ces princesses ne soient dérangées en rien ni dans leurs hôtels, ni dans leurs virées shopping …
Sur toutes ces questions, que nous (je) avons abondamment traitées auparavant car nous sentions le vent mauvais arriver en tempête absurde, je vous renvoie sur ces liens : http://lmsi.net/spip.php?article1032 (bel article de Sylvie Tissot où la question du voile est envisagée sous l’angle biaisé du débat actuel mené par la clique Besson and co), http://lmsi.net/spip.php?article485 où la laïcité fait face au féminisme, par Monique Crinon http://lmsi.net/spip.php?article464 , ici un beau texte sur l’instrumentalisation de la libération des femmes afghanes en burqa par le cynisme des politiques étrangères des pays occidentaux , par Christine Delphy ici encore, le bilan d’un féminisme d’état sarkozyste auquel s’est rallié, à notre grand effroi, bon nombre de femmes et d’hommes politiques de gauches par Sylvie Tissot : http://lmsi.net/spip.php?article717 et enfin tous les articles de Laurent Levy dont le dernier : http://lmsi.net/spip.php?article1017 sur les fondements du prohibitionnisme. Et de toutes façons, tous les penseurs, collègues de Normale Sup et de l’EHESS, qui ont fondé le site « Les Mots sont importants » : http://lmsi.net/
Bien évidemment, je milite pour la libération des femmes, de toutes les femmes, mais tout dépend comment, par qui et pourquoi, car nous savons d’expérience, que les libérations forcées relèvent elles aussi de l’oppression et engendrent parfois des conséquences plus que néfastes.
Mais surtout, je voudrais militer dans mon parti pour libérer les femmes de la pauvreté, de la violence, de la guerre dont elles sont les principales victimes partout dans le monde. Voilà me semblait-il l’utilité du Parti Socialiste. Depuis quinze jours, je fais la navette entre République et Bagnolet à Paris, et je n’ai pas vu la moindre burqa, par contre, j’ai vu des femmes dans la rue, sans logement, sans soins médicaux, psychiatriques, sans dents, en grande détresse. J’en ai vu plus que cela est supportable dans un pays riche, civilisé et qui se veut, soi-disant, depuis des mois, à la pointe du combat pour la dignité des femmes.
Tout ce débat autour de la burqa en France, je le dis crûment, n’est que balivernes et ne fera rien avancer pour les centaines de femmes qui meurent de la pauvreté ou des violences conjugales tous les jours, pour les milliers de femmes qui subissent la faim, la guerre et voient leurs enfants mourir sous leurs yeux dans le monde. Ce combat est cependant beaucoup plus facile et tendance, presqu’aussi beau que le dernier sac Longchamp porté par Kate Moss, femme bien libérée, elle, quoique très addict à beaucoup de substances que l’on traque dans les banlieues, et qui s’étale comme modèle féminin occidental dans Elle et Marie Claire, magazines de l’avant garde de la lutte anti-niqab, burqa et tout ce que l’on voudra, du moment que cela concerne l’Autre et pas nos addictions à nous (shopping, cosmétiques, fric, drogues, régimes anorexiques, violences dans les comportements économiques et familiaux…. tous très « hype » comme on dit dans ces magazines..)
Dans le cas de la loi d’aujourd’hui, permettez moi de douter fortement du sincère souci des femmes et de la délicatesse de ces messieurs dames de gauche et de droite…
D’ailleurs ils l’ont tous dit : il faudra fermer les yeux pour les princesses des émirats des Champs Elysées sinon le chiffre d’affaires de nos industries du luxe sera en baisse… C’est sûr, les salopes de pauvres voilées doivent être stigmatisées, humiliées, jetées en pâture au FN, il n’existe aucun problème plus urgent en France aujourd’hui.
Mais si le PS vote cette loi, je voudrais aussi que Mme Badinter refuse de cautionner les campagnes de Publicis où dans le meilleur des cas nous sommes représentées comme des cintres de chair ou des étalages de viande, je souhaite que les magazines Elle et Marie Claire lus par la gôôôche cessent de nous présenter des femmes éternellement jeunes même à 50 ans, trimballant des sacs à main à 1000 euros, et vantant les mérites de palaces au Kenya ou aux Seychelles et d’ériger en valeurs suprêmes du féminisme : le botox, Hermès, Lagerfeld, et des porte-monnaies bien pleins… Au nom de la dignité de la femme (et de l’Oréal, sûrement aussi ? ? ?, car nous le valons bien ! ! !). Mais quand les femmes en burqa ne pourront plus sortir dans la rue, leurs jolis yeux sans pattes d’oie pourront se reposer en paix…. Tant pis si les autres femmes en France et dans le monde continuent de souffrir, mesdames des magazines et mesdames féministes de la sarkozye pourront se promener sans blesser leurs regards.
Bonne soirée, bonne conscience, bonne nuit les féministes roses dans le pays de Candy où tout est si joli…
« Qu’un pays soit raciste, cela se conçoit. Les autres pays européens le sont aussi. Qu’un pays ait des tentations nationalistes, cela se conçoit aussi. Mais qu’il le fasse en invoquant des valeurs humanistes et universelles, ça c’est exceptionnel : ça c’est français. » Christine Delphy, Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française (1980-2010) , éditions Syllepse, 2010.
Valérie Battaglia, Bruxelles – Belgique