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Prostitution : oui, nous devons sanctionner les consommateurs! Par Sylviane Agacinski

Une prostituée africaine à Paris. Le débat sur la prostitution est extrêmement virulent en France (Rohmer/WPA/SIPA)

Je partage cette tribune de Sylviane Agacinski parue dans le Nouvel Observateur du 6 septembre 2012, qui rejoint mon point de vue publié ici.

PROSTITUTION. Loin d’éclairer la question de la prostitution, la tribune publiée dans « le Nouvel Observateur » l’obscurcit. Le problème est qu’elle ne fait pas de distinction entre la relation vénale occasionnelle entre deux personnes et la prostitution exercée « à plein temps ». Du coup, elle situe la prostitution dans « un domaine éminemment privé » (sic), alors que la prostitution de masse, ou en série, met le corps des femmes sur le marché, c’est-à-dire sur la place publique.

Le législateur n’a pas vocation à intervenir dans la morale privée des « femmes entretenues » ou des « gigolos », ce qui lui serait d’ailleurs impossible. Mais il lui appartient de dire si le corps humain et ses organes doivent être reconnus comme des marchandises à la disposition du public, ce qui serait contraire au droit français.

Les signataires de la tribune défendent quant à eux la « liberté » de se vendre, puisque chacun « doit être libre de ce qu’il veut faire de son corps ». Si c’était le cas, on n’aurait plus besoin de droit du travail pour protéger les individus contre les contrats abusifs.

La prostitution n’est jamais libre

Cette prétendue « liberté de se vendre » dissimule l’inégalité sociale entre les acheteurs et les vendeurs et s’appuie sur un sophisme. En effet, louer ses organes, les mettre à la disposition d’une foule de clients qui en usent ou en abusent à leur guise, sous prétexte qu’ils paient, constitue un renoncement à la liberté et un asservissement spécifique des personnes prostituées. Il n’y a pas plus de « libre » prostitution qu’il n’y a de libre esclavage.

Comment d’ailleurs défendre, d’un côté, la liberté sexuelle et privée du client, et de l’autre, accepter que cette liberté soit niée et mise sur le marché ?

Les libéraux prétendent que « toutes les femmes n’ont pas le même rapport à leur corps », comme si, supposées moins sensibles que les autres, certaines femmes étaient douées pour la prostitution… Il suffit d’être attentif aux témoignages des prostituées « à temps plein » pour se convaincre du contraire. « Un homme te paie pour te pénétrer », témoigne une ancienne « professionnelle », « et après celui-ci un autre et encore un autre. Tu te sens réduite à tes organes. Ce n’est pas drôle de te faire pénétrer par tant d’hommes, dans le vagin, dans la bouche et l’anus ». D’autres décrivent leurs efforts pour se dissocier de leur corps, de façon à surmonter leur dégoût. Non : les personnes conduites vers la prostitution par leur histoire et leur condition ne sont pas différentes des autres.

Si les relations sexuelles pouvaient constituer un service comme un autre – comme le veulent les réglementaristes – les propositions sexuelles dans le cadre du travail ne paraîtraient ni humiliantes ni offensantes, et les lois sur le harcèlement sexuel n’auraient pas lieu d’être. Qu’elle punisse ou qu’elle protège, la loi doit être la même pour tous.

La toute-puissante des réseaux de prostitution

La liberté de se vendre est également une illusion à une époque où les prostituées réellement indépendantes représentent une part infime de la prostitution, dominée par la violence des réseaux très organisés de l’industrie du sexe.

Que signifie le « consentement », quand ses ingrédients sont avant tout le besoin, le chômage, la demande pressante des clients, le pouvoir corrupteur de l’argent, le manque d’estime de soi? On peut aussi citer la panoplie redoutable des violences exercées par les trafiquants et proxénètes de toute sorte : promesses trompeuses des recruteurs, dressage par les menaces, coups et tortures, usage du viol et de la drogue.

Une fois rompues par la peur et les traitements dégradants, les femmes ne peuvent plus sortir du système, surtout lorsqu’elles sont, comme dans 80% des cas en France, « importées » par des réseaux étrangers (Europe de l’Est, Maghreb, Afrique noire…). L’exemple des Pays-Bas ou de l’Allemagne montre que la réglementation est le moyen le plus efficace de faire exploser le marché des « travailleuses du sexe », d’ouvrir des Eros Centers où se pratique l’abattage et de protéger les intérêts des proxénètes, puisqu’ils deviennent de simples managers, hôteliers, hommes d’affaires comme les autres. La Suède, plus courageuse, a fait régresser la prostitution et modifié les mentalités.

Reconnaître la prostitution comme un métier, c’est donc, en fait, renoncer à combattre les réseaux qui dominent l’industrie du sexe. C’est pourquoi l’abolitionnisme – position officielle de la France – s’oppose à la prohibition comme au réglementarisme qui fait de la prostitution un métier comme un autre. La seule façon de protéger les plus faibles, c’est de lutter contre un système impliquant à la fois la clientèle, les prostitué(e)s et les proxénètes. Alors, oui, il faut oser sanctionner les consommateurs.

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