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La flexisécurité à la française

cdtJe viens de finir Un Américain en Picardie, un roman sans prétention écrit par Ted Stanger un journaliste américain qui vit en France depuis quelques années et qui a un peu de mal à comprendre les particularités françaises. A la lecture de ce livre on ressent le choc des cultures dans le monde du travail entre un PDG texan (ultra libéral mais bon bougre au fond !) et les salariés (un peu « bornés » mais dévoués à leur entreprise) d’une PME picarde qui vient d’être reprise par une société texane. Je me suis bien sûr agacée de voir notre système ridiculisé, caricaturé mais j’ai aussi souri de nos travers …

Et on est plein dans un sujet d’actualité : l’assouplissement de la législation du travail. C’est un sujet épineux qui concerne les 18 millions de salariés du secteur privé. Aujourd’hui il s’agit d’alléger les procédures de licenciement tout en accordant quelques concessions aux salariés. Elle introduit la notion de flexisécurité, un paradoxe en soi, qui entend d’une part donner la flexibilité nécessaire à l’entreprise pour réagir aux fluctuations du marché, notamment en terme d’ajustement précis de la quantité de travail utilisée en fonction de la production du moment – et donc de la demande – et permettre, d’autre part, de garantir la sécurité non plus d’un emploi mais d’un parcours professionnel aux salariés … Une véritable gageure !

Quels sont les points clés de la négociation entre patronat et syndicats ?

La rupture « à l’amiable » du contrat de travail. Pour limiter le recours aux prud’hommes par les salariés, le patronat souhaitait instaurer un troisième mode de rupture du CDI, entre le licenciement et la démission et Laurence Parisot, Présidente du Medef s’est vivement félicitée de l’adoption de cet « acquis majeur pour tous ». « Ce concept de séparabilité représente un acquis majeur pour tous. C’est une vraie bonne nouvelle pour l’embauche en France qui se modernise et se dynamise » a-t-elle ajouté.

L’allongement de la période d’essai. Le patronat souhaitait rallonger la période d’essai à trois mois renouvelables pour les ouvriers, employés et techniciens et à six mois renouvelables pour les cadres mais finalement les syndicats ont obtenu un rallongement inférieur à la demande du Medef : 1 à 2 mois pour les ouvriers-employés, de 2 à 3 mois pour la maîtrise et de 3 à 4 mois pour les cadres.

Un contrat « à objet précis » : un CDI sur des objectifs précis pour des ingénieurs ou des cadres pouvant aller jusqu’à 36 mois.

La « portabilité » des droits. Le texte prévoit pour le salarié licencié de conserver certains de ses droits acquis lors de son dernier emploi. Le texte propose que les salariés puissent conserver 50 % de leur droit individuel à la formation (DIF) dans leur nouvelle entreprise. Les salariés pourraient conserver leur couverture santé pendant « un tiers du temps de leur droit à l’indemnisation chômage ».

Les syndicats, à l’exception de la CGT qui n’est pas disposée à signer cet accord, essaient d’y trouver du positif. La CFDT a notamment salué le doublement de l’indemnité légale de licenciement, le transfert des droits et la création d’une prime pour les jeunes demandeurs d’emploi mais son représentant a en revanche regretté que le nouveau mode de rupture des contrats, baptisée « rupture conventionnelle » ne soit pas homologuée par les prud’hommes mais par la direction départementale du travail. FO a vu un certain nombre d’avancées dans le texte dont la prime pour les jeunes chômeurs, le fond de formation pour les demandeurs d’emploi, le transfert à 100 % des heures acquises au titre du DIF (droit individuel à la formation).

Que penser de ce de début de remise en cause des acquis en matière de droit du travail ? Une adaptation du marché du travail à la concurrence internationale ? Peut-être, et la mondialisation des échanges la rendait-elle sans doute nécessaire. C’est en tous cas officialiser ce qui se passe déjà en catimini et il vaut donc mieux un accord concerté entre patronat et syndicats. Cependant la signature de cet accord risque d’ouvrir la porte à une libéralisation de plus en plus grande du marché du travail qui, si nous n’y prenons pas garde, offrira de plus en plus de flexibilité et de moins en moins de sécurité pour le salarié. La fermeture de Nokia à Bochum en Allemagne qui délocalise en Roumanie et le licenciement de 2300 personnes d’ici mi-2008 qui en découle, a été facilité par l’assouplissement de la législation du travail intervenu en Allemagne ces dernières années. Et si l’usine à Bochum ferme, ce ne sont pas seulement les 2300 salariés de Nokia qui perdent leur emploi. Cela concerne également environ un millier de salariés chez les sous-traitants, et encore un millier d’intérimaires qui sont d’ailleurs les premiers à perdre leur emploi puisque les premières lettres de licenciement sont parties le 17 janvier. De plus en plus de salariés craignent aujourd’hui pour leur avenir en Allemagne, plus d’un tiers d’entre eux, et cette angoisse augmente avec l’âge des salariés.

Il ne s’agit pas de s’opposer à toute adaptation, il s’agit d’empêcher que les salariés kleenex ne deviennent la norme : à jeter après usage ! Il faut que nous, socialistes, restions très vigilants sur les détournement possibles que les employeurs pourraient faire de cette nouvelle réglementation, notamment pour tout ce qui concerne les prolongements des périodes d’essai ou les contrats de mission. On a déjà vu par le passé des CDD détournés de leurs objectifs initiaux. Il faut aussi que cette réforme soit accompagnée d’une politique industrielle ambitieuse pour notre pays, politique qui favoriserait le développement de la R&D dans les PME afin que celles-ci redeviennent compétitives et embauchent.

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