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Mon intervention sur la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal

Je suis intervenue au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Cette restitution concerne plus précisément vingt-six objets béninois, issus du palais des rois d’Abomey, qui ont été saisis en 1892 par le général Dodds, commandant des armées coloniales françaises, dans le cadre de la guerre du Dahomey, et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui aurait été confisqué par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.

Si ces restitutions font suite à la volonté du Président de la République d’œuvrer au retour du patrimoine africain en Afrique et à son discours prononcé à Ouagadougou en 2017, elles trouvent également leur origine dans la volonté des États africains de retrouver sur leur sol les biens culturels dont ils ont été dépossédés pendant la colonisation.

Ce projet de loi qui a été adopté à l’unanimité  est un geste fort et symbolique, mais de portée limitée sur le plan législatif. Il pose naturellement la question de l’après car n’en doutons pas d’autres États africains souhaiteront à l’avenir récupérer des biens culturels appartenant à leur histoire.

Retrouvez ici la vidéo de mon intervention ainsi que le compte rendu des débats.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que sénatrice des Français établis hors de France j’ai eu souvent l’occasion et la chance de me rendre en Afrique, notamment au Bénin et au Sénégal. La question de la restitution des biens culturels y a régulièrement été évoquée par mes interlocuteurs, notamment par Marie-Cécile Zinsou, qui a d’ailleurs été entendue dans le cadre de nos travaux préparatoires.

Si ces restitutions font suite à la volonté du Président de la République d’œuvrer au retour du patrimoine africain en Afrique et à son discours prononcé à Ouagadougou en 2017, elles trouvent également leur origine dans la volonté des États africains de retrouver sur leur sol les biens culturels dont ils ont été dépossédés pendant la colonisation.

Cette demande est fortement appuyée par la société civile africaine et par de nombreuses associations. Ce projet de loi, au-delà du discours du Président de la République, est la réponse à une demande ancienne et forte dont je regrette qu’elle n’ait pas été entendue plus tôt.

Précisons d’emblée que cette demande ne concerne pas tous les biens culturels issus du patrimoine africain présents sur notre territoire, notamment au quai Branly, mais uniquement ceux provenant de prises de guerre.

Il s’agit plus précisément de vingt-six objets béninois, issus du palais des rois d’Abomey, qui ont été saisis en 1892 par le général Dodds, commandant des armées coloniales françaises, dans le cadre de la guerre du Dahomey, et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui aurait été confisqué par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.

Cette demande limitée n’est donc pas de nature à remettre en cause le caractère inaliénable des collections auquel nous sommes tous attachés.

L’Afrique est un continent jeune – on considère que 19 ans y est aujourd’hui l’âge médian –, qui connaîtra, dans les décennies, à venir une croissance démographique spectaculaire.

Ces restitutions peuvent jouer un rôle majeur pour permettre à cette jeunesse de retisser le lien avec son histoire et de renforcer son identité. Pour que ces futures générations construisent leur avenir, il est vital qu’elles puissent accéder à leur histoire et s’inspirer des générations précédentes. Car, comme le disait justement Aimé Césaire, « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».

Au-delà de l’aspect historique, n’oublions pas les enjeux de mémoire qui se jouent également ici et qui sont vitaux dans la construction et l’avenir de nos sociétés. Dans les discussions que j’ai pu avoir lors de mes déplacements en Afrique, il était souvent question de fierté ou de dignité retrouvée lorsqu’était évoqué le retour de biens culturels sur le sol africain.

Ces restitutions sont également rendues nécessaire par le fait que les collaborations, dépôts ou prêts entre musées, bien que précieux, ne sont aujourd’hui pas toujours suffisants, car ils ne répondent plus aux demandes de la société africaine. Il en était ainsi, en 2006, lors de l’exposition de la fondation Zinsou, à Cotonou, consacrée au roi Béhanzin et organisée à la demande du musée du quai Branly. Cette exposition avait attiré 275 000 personnes en trois mois, et nombre de Béninois n’avaient pas compris pourquoi les objets de leur patrimoine devaient retourner en France à la fin de l’exposition.

Outre son aspect éthique, à mes yeux, la restitution à ces pays de biens culturels, revêtant parfois une dimension spirituelle, dont ils ont été dépossédés, contribuera à refonder notre relation et notre partenariat avec eux. Le retour des vingt-six pièces du trésor de Béhanzin, provenant du pillage du Palais d’Abomey en 1892, et du sabre d’El Hadj Omar Tall offre ainsi la possibilité d’ouvrir un nouveau chapitre de notre diplomatie culturelle avec l’Afrique. À l’inverse, une fin de non-recevoir aurait des conséquences désastreuses et nuirait fortement aux relations franco-africaines.

Les inquiétudes que l’on peut entendre concernant la conservation et la présentation au public de ces biens seront, je n’en doute pas, levées grâce au renforcement de la coopération culturelle franco-béninoise, à la coopération muséale, à la formation de conservateurs de musée, à l’échange d’experts et à un programme de travail commun. Il convient de tout entreprendre pour que ces biens continuent, à l’avenir, d’être présentés au public dans des lieux adaptés.

Un dernier point peu évoqué dans nos travaux est la nécessaire pédagogie que nous devons mener, notamment auprès de nos compatriotes, pour leur expliquer pourquoi ces objets qui étaient jusqu’à présent exposés dans nos musées sont restitués à des pays africains. Je crains que, sans explication et sans démarche historique accompagnant ces restitutions, ces dernières puissent être mal comprises par notre population fortement attachée à l’histoire et aux enjeux qu’elle peut représenter.

En conclusion, ce projet de loi, qui est un geste fort et symbolique, mais de portée limitée sur le plan législatif, pose naturellement la question de l’après. N’en doutons pas, mes chers collègues, d’autres États africains souhaiteront à l’avenir récupérer des biens culturels appartenant à leur histoire.

Cette démarche s’inscrit dans un mouvement global sur l’histoire et la mémoire. M. Emmanuel Kasarherou, président du musée du quai Branly-Jacques Chirac, indiquait justement devant notre commission que « la question des restitutions a mis au premier plan celle des provenances, un questionnement prégnant dans notre siècle, mais qui ne l’était pas dans le précédent : la façon dont les objets sont passés de mains en mains n’intéressait guère, c’est désormais une préoccupation importante ».

Quel procédé législatif devrons-nous adopter à l’avenir ? Devrons-nous, à chaque fois, passer par un dispositif dérogatoire au droit commun ou, à l’inverse, disposerons-nous d’une loi-cadre qui permettrait, peut-être, une procédure plus claire et plus lisible et dans laquelle pourrait être indiqué que seuls des objets acquis par la violence et la contrainte peuvent être concernés par une éventuelle restitution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDPI.)

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