Tombouctou vit un drame, la destruction de monuments funéraires dédiés à des saints et classés depuis 1988 au patrimoine mondial de l’Unesco. Quel but poursuit cette barbarie que rien ne semble pouvoir arrêter ? S’agit-il, comme l’écrit ci-contre Vincent Hugeux, de « vider les mémoires », de détruire l’héritage culturel de chacun en s’attaquant à des lieux vénérés ?
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) M. Fatou Bensouda a déclaré que la destruction de ces mausolées était un « crime de guerre » passible des poursuites de la CPI.
La mise à bas des bouddhas de Bamyan et, aujourd’hui, des mausolées de Tombouctou résonnent en chacun de nous comme l’attaque ultime de ce qui nous transcende à travers l’art, la culture et la spiritualité.
« Au Mali, les djihadistes fouettaient les fumeurs, les footeux et les femmes « impudiques ». Voici que ces valeureux guerriers tuent les morts. La destruction, à la pioche, à la houe et au burin, des mausolées de Tombouctou, procède d’une névrose commune à tous les boutefeux de la charia, fatale dès 2001 aux bouddhas de Bamyan, dynamités par les talibans afghans puis, plus récemment, aux tombeaux de mystiques soufis somaliens.
En deux jours, sept des 16 monuments de terre ocre de la « cité des 333 saints », édifiés en lisière du désert en l’honneur de savants, d’érudits ou d’oulémas vénérés, ont été réduits en poussière. « Tous le seront, sans exception », promet un porte-parole d’Ansar Eddin, la milice qui asservit la ville. Y compris ceux qu’abritent les trois mosquées ancestrales de la ville, joyaux de l’architecture islamique africaine. « On ne peut rien faire, soupire, navré, un témoin cité par l’AFP. Les fous sont armés. »
Protecteurs de la communauté, les figures de ce panthéon intime inspirent aux musulmans du cru une profonde dévotion. On les implore contre la sécheresse, les criquets et la disette, comme en faveur de la jeune épousée ou de l’enfant à naître. « Tout ça, c’est haram ! [proscrit en islam], tranche un casseur en chef. Allah est unique. » Personne hormis le Très-Haut, martèlent les bigots incultes. Rien avant nous, répond l’écho. Car il s’agit aussi et surtout d’abolir le passé, de vider les mémoires. Fondée au XI siècle, Tombouctou fut certes une cité prospère, temple du négoce sur la route des caravanes, mais aussi un phare du savoir, dont témoignent les dizaines de milliers de manuscrits anciens que détiennent ses grandes familles. Et dont certains –horresco referens !– datent de l’ère pré-islamique.
« Puisque le peuple et le parti sont en désaccord, ironisait Berthold Brecht pour mieux flétrir la tyrannie staliniste, il nous reste à dissoudre le peuple. » Telle est au fond l’essence de l’entreprise des garde-chiourmes du Nord-Mali : nier ce qui précède et en anéantir les legs. Sans doute l’ivresse de la toute-puissance fait-elle plus de ravages que celle que procure l’alcool. Et l’on peut bien piétiner avec un acharnement puéril le moindre personnage de bois sculpté, au prétexte que toute représentation de l’être humain doit être bannie : la statuaire traditionnelle nuit moins au rayonnement du Prophète que le visage, hideux, de la bêtise et de la barbarie. »
Vincent Hugeux