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Débat au Sénat sur la politique de coopération et de développement de la France

Je suis intervenue au pied levé jeudi 4 novembre au Sénat pour remplacer Dominique Voynet empêchée de participer au débat sur la politique de coopération et de développement de la France. Lors de ce débat, j’ai saisi l’occasion de souligner l’opacité des chiffres, la baisse des dons en chute libre (par rapport aux prêts parfois difficiles à justifier) et de soutenir la cause des ONG qui sont le parent pauvre de l’aide publique au développement. Ci-dessous le texte de mon intervention.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on parler d’objectifs sans évoquer les moyens pour les atteindre ? Si la France respectait ses engagements, elle devrait consacrer, en 2011, 0,51 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement. Or elle n’atteindra vraisemblablement que 0,47 %, soit un niveau égal à celui de 2006.

Dès aujourd’hui, on peut pressentir qu’il sera donc difficile, voir impossible, d’atteindre 0,7 % du RNB en 2015, ce qui nous éloigne des engagements pris pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, notamment sur la pauvreté, la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes, la santé, l’environnement durable et la mise en place d’un partenariat pour le développement.

De plus, les chiffres de l’APD annoncés par la France à l’OCDE et la réalité de cette aide ne coïncident pas. Ainsi l’APD réelle, c’est-à-dire allégée des dépenses artificielles, n’atteint que 70,3 % de l’APD officielle en 2010.

En effet, la France prend en compte comme une part significative de son aide publique au développement des dépenses « artificielles » telles que l’accueil des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés, ainsi que les dépenses allouées aux territoires d’outre-mer, ce qui ramène l’APD réelle à 0,31 % du RNB.

L’APD officielle intègre, en outre, la contribution de la France à l’allègement des dettes des pays en difficulté, comme j’ai pu le voir récemment au Cameroun avec la mise en place du contrat de désendettement et de développement, C2D. L’allègement de la dette s’inscrit donc comme une part majeure de la contribution française à l’APD, ce qui renvoie, selon moi, a contrario, à la faiblesse des engagements français envers les pays les plus pauvres du continent africain.

Cet affichage officiel de l’aide publique au développement est donc trompeur et permet à l’État d’accroître à moindre coût le volume des crédits qui y sont comptabilisés. Les annulations de dette, qui portent, par ailleurs, sur des créances de toute façon impayables, relèvent, pour finir, davantage de l’exercice comptable que de l’aide française au financement du développement des pays.

Contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités et la pauvreté requiert une diversité d’instruments allant des dons, largement insuffisants aujourd’hui, destinés aux pays les plus pauvres, aux prêts octroyés à des pays émergents.

Le volume des prêts octroyés par l’AFD et comptabilisés dans l’APD a très fortement augmenté depuis 2008, contrairement aux dons. Ces prêts octroyés à des taux proches de ceux du marché ne peuvent évidemment s’adresser qu’aux pays émergents. Je ne citerai, à titre d’exemples, que la Chine, l’Inde, ce qui ne manque pas d’étonner parfois le Français moyen, et la zone Méditerranée-Moyen-Orient. Ce sont les seuls en mesure de s’endetter, contrairement aux pays les plus pauvres.

Il faut mentionner qu’une part importante de l’APD française est également allouée aux organisations européennes et multilatérales : 41 %, au regard de 59 % en aide bilatérale. Il est, certes, normal que la France y ait sa place. Notre contribution ne cesse d’augmenter, sans répondre forcément à une vision stratégique de la coopération française au développement.

L’aide aux pays les plus pauvres, en Afrique subsaharienne, en particulier, est, en réalité, illusoire. Le volume de l’enveloppe « dons » consacrée au financement de projets dans les secteurs sociaux est en baisse de 46 % par rapport à 2006. Là encore, on voudrait connaître les montants exacts affectés aux dons-projets de l’AFD pour 2011.

Pour souligner encore nos craintes, je précise que le volume des crédits publics transitant par les ONG reste mineur et bien en deçà des besoins. Les ONG, notamment de volontariat, s’inquiètent de ne disposer, pour l’instant, d’aucune information fiable sur les montants qui seront disponibles pour leurs projets en 2011.

Je dirai un mot encore sur les enjeux définis en matière de politique de coopération au développement de la France par le projet annuel de performance attaché au projet de loi de finances pour 2011. Je veux parler de « la prévention et la gestion des crises qui menacent à la fois le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays ».

Ce dernier point établit un parallèle entre le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays, laissant entrevoir une justification de notre coopération au développement afin d’endiguer les risques sécuritaires à nos frontières.

Je ne pense pas, quant à moi, qu’on puisse réduire la complexité du problème et expliquer la situation à nos concitoyens en ces seuls termes sécuritaires. Ne sont-ils pas à même de comprendre que la prévention des crises passe par la lutte contre la pauvreté ? Ne sont-ils pas à même de comprendre la nécessité de participer, par la contribution nationale, à l’émergence d’un monde plus solidaire, plus égalitaire et, finalement, plus sûr ? Selon deux sondages, l’un de l’IFOP, l’autre de BVA, publiés à l’automne 2009, les Français, malgré la crise, approuvent l’aide au développement et souhaitent mieux en connaître les résultats.

Non, les questions de pauvreté, de santé, d’environnement et de démocratie, où qu’elles se posent, ne peuvent nous laisser indifférents ! Le développement des pays pauvres ou émergents n’est pas sans conséquence pour la France et l’Europe. Nous avons un devoir de solidarité, celui de mener une politique d’aide cohérente, juste et efficace.

Il nous faut définir, outre nos objectifs, les moyens réels mis en place pour les atteindre et présenter, ensuite, un bilan des actions menées. Comme le préconise le rapport de MM. Cambon et Vantomme, il nous faut « une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents ».

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage l’avis de la commission, qui préconise une loi de programmation et d’orientation consacrée à l’APD adoptée à échéances régulières, rendant cette aide plus lisible, plus prévisible, plus transparente. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Fabienne Keller applaudit également

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