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Les Français de l’étranger à l’Assemblée nationale ?

CLEn journalisme on appelle cela un marronnier, c’est à dire un évènement qui revient régulièrement à la même époque. La question des députés pour les Français de l’Etranger ne déroge pas à cette coutume, seulement cet été, certains semblent découvrir ce sujet. Sans trop s’intéresser à ce qui s’était fait et dit auparavant, ces mêmes personnes essayent alors de réinventer la roue plutôt que de s’interroger sur le meilleur moyen de faire tourner celle qui existe déjà. Permettez-moi donc un grand retour en arrière, certains d’entre vous n’étaient peut-être même pas nés, et par avance désolée pour la longueur de ce message.

Au printemps 1982, déjà en Allemagne, je reçois un courrier m’appelant à voter pour les délégués au CSFE, délégués qui, m’apprenait ce document, éliraient ensuite les sénateurs représentant les Français établis hors de France. On m’informait également que je pouvais voter par correspondance. Le CSF quoi ?, des sénateurs représentant les Français de l’étranger ?, voter par correspondance mais … ? Beaucoup de questions mais peu de réponses lorsqu’on est isolée et isolée, je l’étais à l’époque.

Quelques années plus tard, sortie de mon isolement, membre de l’ADFE et du PS, j’avais eu le temps de m’informer, et je trouvais l’idée de cette représentation non seulement intéressante mais aussi utile pour défendre nos intérêts. C’était en plus un moyen de rester membre de la communauté nationale. Candidate aux élections au CSFE de 1991 (entre temps j’avais découvert le Conseil Supérieur des Français de l’Etranger, ce fameux CSF quoi …), j’ai eu alors l’occasion de parler à beaucoup de compatriotes de ma future circonscription. Tous ou presque me disaient la même chose : « Pourquoi n’avons-nous pas de députés ? Ce serait plus efficace et puis les gens voteraient davantage sachant tous ce qu’est un député ».

L’idée faisant peu à peu son chemin, onze ans plus tard, en 2002, Lionel Jospin dans sa Lettre aux Français de l’étranger reprenait dans son programme la création de sièges de députés, de même que Ségolène Royal en 2007. Que s’était-il donc passé ?

Trois fois rien si ce n’est que les militants de la Fédération des Français de l’étranger avaient à l’époque développé des idées inédites dans le projet fédéral (Solidaires pour l’avenir) pour imaginer une meilleure représentation des Français de l’étranger, idées reprises et relayées par l’ADFE. De quoi s’agissait-il ?

D’abord de la transformation du CSFE en une Assemblée des Français de l’étranger dotée de pouvoir de conseil sur les textes législatifs relatifs aux Français de l’étranger, et de pouvoir de décision sur les questions d’action sociale, de formation professionnelle, de gestion des bâtiments scolaires, d’action culturelle de proximité et bien sûr sur le budget de l’AFE. Il était prévu que ce transfert de pouvoirs s’accompagne d’un transfert de compétences administratives et financières. L’assemblée élirait son président.

Ensuite il était envisagé la création de délégués consulaires, élus eux aussi au suffrage universel direct, qui participeraient aux travaux des comités consulaires aux compétences élargies. Ces délégués consulaires, d’autre part, pourraient venir augmenter significativement le collège électoral des sénateurs des Français de l’étranger (pour mémoire actuellement 150 conseillers de l’AFE élisent 12 sénateurs …).

Enfin la FFE proposait la création de 10 sièges de députés, ce qui mécaniquement devait entraîner une diminution du nombre de sièges de sénateurs. Ces positions, parmi d’autres, ont été défendues par les membres du groupe ADFE au sein de la Commission temporaire chargée de la Réforme du CSFE mise en place par Hubert Védrine, alors Ministre des Affaires étrangères. Les travaux de cette commission ont débouché sur une réformette qui a donné naissance à l’Assemblée des Français de l’étranger en 2004, le nom des commissions a changé, la composition du Bureau de l’Assemblée a également changé, les délégués sont devenus des Conseillers, mais rien de bien essentiel.

La Commission de la décentralisation appliquée aux Français de l’étranger a ensuite été mise en place à l’AFE et a rendu un rapport contenant des propositions intéressantes concernant l’évolution du rôle de l’Assemblée, transformée en Assemblée d’Outre-frontière et faisant avancer l’idée de collectivité des Français résidant hors de France. Mais Philippe Douste-Blazy, alors ministre des Affaires étrangères, a refusé de donner suite aux propositions du rapport.

En novembre 2005, sans se décourager, Monique Cerisier ben Guiga et Richard Yung ont déposé au Sénat une proposition de loi portant sur la création de 12 sièges de députés pour représenter les Français de l’étranger élus à la proportionnelle, 3 en Amérique, 5 en Europe, 2 pour l’Asie et le Levant et 2 sur l’Afrique ainsi que sur les modalités de vote notamment le vote par correspondance et le vote électronique.

Et maintenant, où en sommes-nous ? Sur les conseils de Thierry Mariani – député du Vaucluse et « monsieur Français de l’étranger » de l’UMP – Nicolas Sarkozy a finalement repris l’idée des députés. Aujourd’hui, je trouve dans mon courrier le texte d’une proposition de loi du sénateur Robert-Denis Del Picchia concernant la création de 15 sièges de députés ! S’il y a quelque chose que Robert-Denis Del Picchia, journaliste de profession, sait faire, c’est bien le travail de communication et de lobbying : pour mémoire c’est lui, encore, qui depuis des années au CSFE puis à l’AFE militait pour la gratuité à partir de la classe de seconde dans les établissements scolaires français à l’étranger …

Pourtant, pendant longtemps, la gauche n’a cessé de se voir retoqué par la droite tout projet de faire entrer les Français de l’étranger à l’Assemblée nationale. Pour ma part je me suis fait le porte–parole du groupe ADFE sur ce sujet en toute occasion, notamment devant Dominique de Villepin, Jean-Pierre Raffarin, Renaud Muselier, Michel Barnier et Philippe Douste-Blazy. Je n’ai eu en retour que haussements de sourcils ou sourires amusés, voire condescendants. La droite et ses élus à l’étranger ont toujours été réticents sinon hostiles à cette idée. Ironie du sort, c’est elle qui – peut-être – va la mettre en œuvre.

Est-ce une raison pour y être opposé ? Certes non, les électeurs de gauche s’y perdraient et notre crédibilité en souffrirait : il n’est pas concevable d’être contre une meilleure représentation des Français de l’étranger et plus de démocratie au prétexte que la réalisation en reviendrait aujourd’hui à la droite. Simplement, et c’est là le principal, il va falloir que tous les élus de gauche à l’Assemblée nationale, au Sénat et à l’AFE soient vigilants sur la mise en œuvre de cette réforme constitutionnelle, notamment en ce qui concerne le nombre de députés et la création des circonscriptions électorales. Là aussi la FFE-PS a déjà avancé plusieurs pistes.

Après ce sera à nous de mouiller notre chemise, de gagner des sièges et, pourquoi pas, nous verrons alors peut-être un jour les Français de l’étranger être les arbitres des élections législatives !

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