Aux côtés de plusieurs de mes collègues, sénateurs et sénatrices de tout bord, j’ai signé un communiqué pour me féliciter de l’adoption par les députés de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et demander une inscription rapide à l’ordre du jour du Sénat (voir en fin d’article).
Dignité de la personne, non marchandisation du corps humain, égalité entre les sexes… Je ne reviendrai pas sur les raisons qui motivent ma position sur la prostitution et le système prostitutionnel qui lui est lié. Je les ai déjà exprimées à plusieurs reprises (voir notamment: Prostitution: pourquoi pas la pénalisation du client?, Mon intervention dans le débat sur la proposition de loi visant à l’abrogation du racolage passif, Lettre à un ami: la prostitution, un métier comme un autre?, Les enjeux sociaux de la prostitution mis en lumière par le Sénat).
Mais il me semble important de répondre aux interrogations toutes légitimes que suscite cette question difficile.
– Les abolitionnistes seraient-ils de redoutables putophobes aux sombres desseins liberticides qui nieraient le droit de personnes agissant librement et sans contrainte, autre que financière, à vendre leur corps?
Ce type de prostitution existe bien sûr, il ne s’agit pas de la nier. Pour autant, peut-on admettre que le consentement d’une seule prostituée rende respectable et acceptable l’esclavage de toutes les autres? Assurément non. En tant que femme de gauche, je m’oppose de la même façon à la suppression d’un salaire minimum alors même, que certaines personnes en grande précarité consentent à travailler pour un salaire moindre (remarquons d’ailleurs que dans ce cas de figure, c’est bien l’employeur qui est sanctionné et non l’employé…). L’addition de consentements individuels ne permettra jamais d’avancer vers une société progressiste.
– Les abolitionnistes seraient-ils aussi d’affreux puritains?
Cet argument moraliste est d’une parfaite malhonnêteté intellectuelle. Comment assimiler la liberté sexuelle et la libre disposition de son corps à la soumission à un rapport sexuel avec une personne que l’on n’a pas choisie, que l’on ne désire pas, qui n’a assurément pas l’intention de se préoccuper de notre propre plaisir et qui s’octroie le droit de nous imposer toute pratique puisqu’elle nous paie pour ça! En tant que femme, en tant que féministe, je revendique le droit à une sexualité entre adultes consentants libérée de tout ordre moral, de tout archaïsme patriarcal et de toute loi du marché.
– Pourquoi pénaliser les clients alors qu’il suffirait de combattre davantage les réseaux de proxénétisme?
En effet, la très grande majorité des prostituées est soumise à des réseaux mafieux étrangers de traite d’êtres humains et d’exploitation sexuelle. Leur chiffre d’affaires annuel s’élève à 30 milliards d’euros en Europe. Par quel aveuglement peut-on alors ignorer que c’est bien l’argent des clients qui alimente ces réseaux? Sylviane Agacinski résume parfaitement la situation en rappelant que le marché du sexe a ses producteurs (trafiquants et proxénètes), ses marchandises (les personnes prostituées) et ses consommateurs (les clients). La responsabilisation du client par l’interdiction de tout achat d’un acte sexuel est bien, parmi d’autres, l’un des outils de lutte contre le système prostitutionnel. En outre, elle qualifie la violence prostitutionnelle et légitime par là les politiques d’alternatives, de protection et de prévention.
– Le remède de la responsabilisation du client ne serait-il pas pire que le mal de la violence subie par les prostituées, en renforçant la clandestinité? Les prostituées étant ainsi davantage exposées aux risques pour leur santé et à la violence de clients.
Rappelons qu’actuellement les personnes qui se prostituent dans la rue sont des délinquantes. En renversant la charge pénale, la proposition de loi permettra aux prostituées de menacer de dénoncer le client qui voudrait leur imposer un acte sexuel sans préservatif ou une pratique sexuelle qu’elles refusent. De plus, la question de la santé des prostituées ne peut s’entendre pleinement si l’on refuse de voir que la prostitution est, en elle même, une violence physique et psychologique, pour la simple raison qu’elle induit un nombre incalculable et quotidien de pénétrations vaginales, anales, buccales non désirées. Enfin, comment ne pas concevoir que les prostituées sont, de toute façon, placées dans une situation d’extrême vulnérabilité, qu’elles soient au carrefour d’un centre-ville, sur le bord d’une autoroute, au fond d’un bois ou dans un appartement à la porte fermée sur leur client!
– La prostitution ne serait-elle pas l’ultime étape de l’émancipation des femmes, ne contrevenant ainsi aucunement à l’égalité entre les sexes?
Il semble pourtant évident que dans une société où le corps des femmes (85% des prostituées sont des femmes) peut constituer une marchandise, être vendu, même simplement « loué », à des hommes (90% des clients sont des hommes), être noté, commenté, conspué, sur des forum, l’égalité femmes-hommes n’est pas envisageable. Et que dire d’une société où tout homme peut être réduit à un être soumis à des pulsions sexuelles irrépressibles devant être assouvies à tout prix et où toute femme peut être considérée comme potentiellement désireuse d’arrondir ses fins de mois en se prostituant ou bien encore comme ne recherchant les rapports sexuels que dans le but d’obtenir des faveurs? La pénalisation de l’achat d’acte sexuel est l’un des outils permettant de lutter contre les stéréotypes et d’œuvrer en faveur de l’égalité des sexes. A cet égard, est-ce seulement un hasard si les pays ayant fait le choix de l’abolition sont les pays où l’égalité entre les sexes est la plus évidemment admise et efficacement mise en œuvre?
– Est-ce vraiment le moment de voter une telle proposition de loi, alors que notre pays a besoin de « vraies » réformes pour lutter contre le chômage et pour favoriser la reprise?
En tant que parlementaire socialiste, je considère que c’est toujours le moment de voter une réforme permettant de faire avancer notre société vers plus de progrès humain et social.
COMMUNIQUE
Nous nous félicitons de l’adoption par l’Assemblée Nationale de la proposition de loi Coutelle/Olivier renforçant la lutte contre le système prostitutionnel soutenue par le gouvernement et défendue par la Ministre des droits des femmes. Cette proposition de loi prolonge le travail mené précédemment à l’Assemblée Nationale par la mission Bousquet/ Geoffroy et celui conduit par les sénateurs Jouanno et Godefroy sur la situation sociale des personnes prostituées ainsi que par les délégations droits des femmes du Sénat et de l’Assemblée Nationale.
Pour la première fois, un texte a pour objectif de permettre aux femmes de toutes nationalités de s’engager dans un parcours de sortie de la prostitution. Reposant sur un accompagnement par les associations compétentes, il prévoit une aide spécifique financée par un fonds spécial que le gouvernement s’est engagé à abonder de 20 millions d’euros par an.
Ce texte soucieux de combattre la prostitution de rue s’attaque également au développement de la prostitution sur Internet dans le respect des impératifs de libertés publiques. Les fournisseurs d’accès devront en effet signaler les sites susceptibles de ne pas respecter la loi sur la traite et le proxénétisme sans pour autant être frappés d’un blocage administratif.
La proposition de loi veut également prévenir l’entrée dans la prostitution des différents publics – étudiants notamment -, par le développement d’actions d’information ciblées.
Enfin, reconnaissant pleinement le statut de victimes des personnes en situation de prostitution, l’Assemblée Nationale a adopté deux mesures permettant l’inversion de la charge pénale. Elle abroge le délit de racolage et, dans une optique de responsabilisation du client, interdit l’achat d’actes sexuels en instaurant un délit sans peine de prison assortie mais sanctionné par une contravention de 1500 €.
Nous estimons que l’adoption à une large majorité de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel appelle un examen de ce texte à court terme par la Chambre haute. Nous demandons donc son inscription rapide à l’ordre du jour du Sénat.
Laurence ROSSIGNOL (PS) – Chantal JOUANNO (UDI) – Brigitte GONTHIER-MAURIN (CRC) – Alain MILON (UMP) – Jean-Vincent PLACE (Ecolo) – Christian BOURQUIN (RDSE) – David ASSOULINE (PS) – Maryvonne BLONDIN (PS) – Nicole BONNEFOY (PS) – Luc CARVOUNAS (PS) – Françoise CARTRON (PS) – Laurence COHEN (CRC) – Roland COURTEAU (PS) – Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (UMP) – Philippe KALTENBACH (PS) – Claudine LEPAGE (PS) – Michelle MEUNIER (PS) – Danielle MICHEL (PS) – Jean-Jacques MIRASSOU (PS) – Gisèle PRINTZ (PS) – Roland RIES (PS)