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Elimination des armes à sous-munitions

Monique Cerisier ben Guiga est intervenue dans le débat au Sénat le 6 mai 2010 sur le projet de loi relatif à l'élimination des armes à sous-munitions.

Handicap International et Amnesty International lui ont adressé  un courrier pour "saluer son action et le soutien du groupe socialiste et apparentés en faveur d'une application effective de la Convention en France".

Voici son intervention:

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par ce texte, la France avance dans un processus législatif visant à éliminer les armes les plus perverses dont l'usage cause des dommages physiques irréversibles à des populations civiles.

Au nom du groupe socialiste, je tiens à rendre hommage aux organisations non gouvernementales qui ont été à la pointe de ce combat : Handicap international, Amnesty international, la Croix-Rouge. Elles nous ont permis de mesurer à quel point il était urgent de mettre fin à une telle barbarie.

La loi du 21 septembre 2009 a autorisé la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions. Il s'agissait de la première partie du processus initié avec la signature par la France de la convention multilatérale relative aux armes à sous-munitions, dénommée « convention d'Oslo », qui interdit l'utilisation, la production, le transfert et le stockage des armes à sous-munitions.

Compte tenu du grand nombre de pays ayant ratifié cette convention, nous pouvons espérer que celle-ci entre en vigueur dès le 1er août 2010. À l'instar de Mme le rapporteur, je pense souhaitable que le texte dont nous débattons aujourd'hui soit promulgué avant cette date.

Ce projet de loi constitue une avancée considérable pour la protection des populations civiles, qui sont les principales victimes de ces armes, et parfois très longtemps après la fin des hostilités. Nous approuvons donc la décision du Gouvernement de le soumettre rapidement au vote du Parlement.

M. Jean-Louis Carrère. C'est rare !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le tribut humain des armes à sous-munitions est bien trop lourd au regard du droit international. L'utilisation massive de ce type d'armes en Asie du sud-est par l'armée américaine et au Liban au cours de l'été 2006 par l'armée israélienne a suscité une véritable prise de conscience. Leur emploi dans des zones habitées et cultivées, conjugué à leur fort effet de dispersion, entraîne un pourcentage très élevé de victimes, notamment parmi les enfants, puisque de nombreux types de bombes ressemblent à des jouets.

Ce type d'armes fait subir aux populations civiles un risque majeur sur le long terme. En raison de leur taux de dysfonctionnement très important, elles restent sur le terrain où elles ont atterri sans avoir explosé et constituent, parfois des années après la fin des conflits, une menace quotidienne intolérable qui interdit, par exemple, la culture des terres.

Cette convention constitue un outil juridique international contraignant qui permet d'aller bien plus loin que les textes antérieurs, telle la convention du 10 octobre 1980 sur l'interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination. Cette convention s'était révélée insuffisante.

La convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, dite « convention d'Ottawa », constitue un modèle d'instrument juridique international contraignant.

Comme ma collègue Catherine Tasca l'avait déjà souligné en septembre 2009 à l'occasion de la discussion sur la ratification de cette convention, je veux saluer le choix de Lionel Jospin, lors de son arrivée aux responsabilités, en 1997, d'inscrire notre pays dans cette dynamique internationale pour le désarmement, que la reprise des essais nucléaires en 1994 et en 1995 avait stoppée.

En œuvrant pour la signature de la convention d'Ottawa et en faisant procéder à sa ratification le 8 juillet 1998, le gouvernement français avait relancé le processus de désarmement pour ces types d'armes. La convention d'Oslo poursuit cette œuvre et l'on peut saluer la continuité de l'action de la France dans ce domaine, d'un gouvernement à l'autre, d'une majorité à l'autre.

M. Jean-Louis Carrère. C'est à marquer d'une pierre blanche !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La deuxième partie de ce processus concerne, en France, l'adaptation en droit national des prescriptions de la convention. C'est l'objet du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui. Il s'agit d'un texte positif, très attendu.

Ce projet de loi procède à une adaptation fidèle en droit interne des préconisations de la convention. Mais, et nous tenons à le saluer, il va parfois encore plus loin que le texte de la convention, en particulier en ce qui concerne la notion d'assistance, les mesures de transparence et la définition des armes concernées. (M. le ministre s'entretient en aparté avec M. le président de la commission des affaires étrangères.)

Monsieur le ministre, je m'efforce de rendre hommage en ce moment à l'action de Gouvernement ;…

M. Didier Boulaud. Point trop n'en faut !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … aussi serais-je heureuse que vous m'écoutiez !

M. Hervé Morin, ministre. Je vous écoute !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L'interdiction d'assister, d'inciter ou d'encourager quiconque à s'engager dans les activités couvertes par la convention implique l'interdiction de la fabrication, de l'offre, de la cession, de l'exportation et de l'importation, du commerce et du courtage, ce qui est une première dans un projet de loi connexe au régime des matériels de guerre, armes et munitions.

Il faut toutefois relativiser un peu ce progrès, dans la mesure où la notion de courtage n'existe pas en droit français, mais nous y reviendrons.

Le projet de loi prévoit des mesures précises de transparence sur la destruction des stocks et la détention d'armes à sous-munitions. Nous vous proposerons d'ailleurs de renforcer un certain nombre de ces orientations de bon sens.

Il conviendrait ainsi d'insister, par exemple, sur l'interdiction faite à toute entreprise de financer d'une manière directe ou indirecte, en France ou à l'étranger, des activités condamnées par la convention d'Oslo. Financer une entreprise fabriquant ou commercialisant des armes à sous-munitions revient à encourager une activité interdite par la convention.

Ainsi, bien que ce point soit implicite, il faut comprendre l'interdiction d'assistance inscrite au paragraphe 1c de l'article 1 comme visant les financements des entreprises qui produisent ou commercialisent des armes à sous-munitions. De ce point de vue, les relations très étroites que nous entretenons avec certaines entreprises d'armement israélien qui fabriquent par ailleurs des armes à sous-munitions posent problème. Dès lors, ne respecte pas les obligations prévues par le traité tout établissement financier investissant ou finançant des entreprises engagées dans des activités liées aux armes à sous-munitions prohibées par la convention d'Oslo.

Pour respecter aussi bien l'esprit que la lettre de cette convention et pour éviter tout flou juridique, la France devrait donc prévoir expressément, dans ce projet de loi, l'interdiction de toute forme de financement, qu'il s'agisse de financement direct ou indirect.

Il nous semble également que la définition précise des termes « transfert » et « transit » concernant les opérations de circulation d'armes à sous-munitions d'un État à un autre par voie terrestre, maritime ou aérienne, ainsi que celle de « l'interdiction de courtage » nécessitent quelques explications, la notion de courtage étant peu précisée dans la loi française.

Malheureusement, nous ne pouvons pas ignorer que les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan et Israël ne sont pas parties à la convention.

Or, le principe d'interopérabilité inscrit dans la convention autorise bien les États parties à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des bombes à sous-munitions. Ce principe est certes compréhensible du point de vue du réalisme politique et diplomatique, mais il réduit de façon importante la portée juridique et pratique du texte, et nous devons tout faire pour inciter les États non encore signataires de la convention à la ratifier.

Monsieur le ministre, en conclusion, pouvez-vous assurer à la représentation nationale que, à défaut de s'interdire de s'engager dans une coopération et dans des opérations militaires avec des États non parties à la convention – en Afghanistan, par exemple, aux côtés des États-Unis –, la France n'acceptera pas de prendre part à des opérations militaires au cours desquelles seraient employées par nos alliés des armes à sous-munitions ? Si l'on doit comprendre que la France n'exclut pas de s'engager dans des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions, je ne suis pas certaine que cette prise de distance avec l'esprit de la convention serait de nature à inciter les États non signataires à devenir parties à celle-ci. Sur ce point, monsieur le ministre, nous demandons des éclaircissements. (Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1, présenté par Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Voynet, MM. Bel, Berthou, Besson, Boutant, Carrère, Mazuir, Mermaz, Muller, Piras, Reiner, Vantomme, Boulaud et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Est interdit le financement, direct ou indirect, de toute entreprise de droit français ou de droit étranger dont l'activité comprend les actions interdites susmentionnées.

La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La convention d'Oslo interdit déjà d'« employer », de « mettre au point », de « produire », d'« acquérir », de « stocker », de « conserver » ou de « transférer à quiconque » des armes à sous-munitions ; c'est très bien ! Elle prohibe également le fait d'« assister », d'« encourager » ou d'« inciter » quiconque à s'engager dans toute activité interdite en vertu de cette convention ; c'est encore mieux !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous demande de faire encore un effort et de rendre le texte bien plus précis et percutant en interdisant le financement, direct ou indirect, de toute entreprise de droit français ou étranger engagé dans des activités interdites en vertu de la convention.

En effet, de notre point de vue, investir dans une entreprise fabriquant des armes à sous-munitions ou en faisant le commerce constitue une activité déjà prohibée par la convention d'Oslo, qui interdit le fait d'« assister », d'« encourager » ou d'« inciter » quiconque à s'engager dans de telles activités. La meilleure façon d' « encourager » ou d' « inciter » est indéniablement d'investir beaucoup d'argent dans ce type d'industrie ou de commerce à but mortifère.

Certains pays européens, comme la Belgique ou le Luxembourg, ont d'ores et déjà interdit de tels financements dans leur loi nationale. Je crois savoir que d'autres pays qui nous sont proches – la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas – devraient, à moyen terme, adopter des législations interdisant l'investissement direct ou indirect dans ces industries perverses.

Cet amendement vise donc à compléter utilement le dispositif du projet de loi proposé par le Gouvernement et amendé positivement par la commission.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous voterons évidemment ce projet de loi, car nous estimons qu'il marque, non pas l'achèvement, mais la continuation d'un processus auquel nous avons beaucoup apporté. Quelles que soient ses insuffisances, il doit être adopté.

 

 

 



Publié le 10 mai 2010
Mis à jour le 17 mai 2010