LISTE DES ARTICLES

Les orientation de la politique française de coopération et de développement

Le 25 mai 2010 la commission des Affaires étrangères a auditionné M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes sur les orientations de la politique française de coopération et de développement.

Nous reproduisons ci-après seulement l'intervention de Monique Cerisier ben Guiga ainsi que la réponse du ministre aux intervenants.

Pour consulter l'intégralité du compte-rendu, cliquer ici

-----

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Je me réjouis de cette audition, dont je remercie les présidents de nos deux commissions. Le ministre, qui a également souhaité un débat, en défendra sans doute le principe. Faut-il rappeler la frustration que nous éprouvons au moment du vote du budget ? Je souhaite donc un débat, ainsi qu'une loi de programmation qui ne fixe pas des objectifs mirifiques, rien n'étant pire que de présenter des projets qu'on ne peut assurer. Aurons-nous de façon certaine des crédits sur trois ou quatre ans ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Nous avons des lois pluriannuelles de finances publiques. On pourrait en outre alléger les débats budgétaires en mettant à profit les semaines de contrôle parlementaire pour organiser des débats tels que celui d'aujourd'hui.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Notre deuxième rang pour l'aide publique au développement est assez fictif. C'est l'aide programmable qui importe. Le document cadre indique des objectifs et des moyens. Aura-t-on des indicateurs pour mener une évaluation ? On en manque aujourd'hui pour l'AFD. Or, et je reviens ici à la question de M. de Rohan, il est dommageable que cette agence joue un rôle pilote sans que votre ministère ait barre sur son action. Le pouvoir financier est là-bas et c'est là que la réflexion se mène. Le directeur pressenti de l'Agence, ce matin, n'avait pas de réponse sur la question des rapports avec les ambassadeurs. Ceux-ci auront-ils la primauté sur les directeurs de l'AFD ou resteront-ils ridiculisés ?

.../...

M. Bernard Kouchner. - Un plancher de financement ? Bien sûr, mais il y a loin de mes rêves à la réalité. Soyons réalistes, demandons l'impossible... Il n'est pas aisé, en cette période, de parler en Espagne ou au Portugal de ceux qui ont besoin d'être aidés. Cela va être dur et personne n'a la recette. Alors, un minimum pour les quatorze pays apparaît réaliste.

Voilà vingt ans que je demande en vain une contribution assise sur les transactions financières pour financer le développement, qu'on me refuse au nom de l'orthodoxie financière. J'appelle cela une contribution et non une taxation en raison de la gravité des conséquences. Et voilà que pour la première fois, nous avons été d'accord pour la proposer. Techniquement, il est plus simple de passer par les banques qui paieront. A qui ? Je serais tenté d'invoquer l'exemple du Fonds mondial de lutte contre le sida... Il s'agit d'autre chose que de la taxe Tobin, qui vise à réduire les mouvements spéculatifs de capitaux à court terme pour stabiliser le système financier. Nous avons réuni cinquante-neuf pays dans un groupe pilote mobilisé sur les financements innovants. Par ailleurs, onze pays nous accompagnent et ont lancé un groupe d'experts chargé de faire des propositions sur la mise en place d'une contribution sur les transactions financières. M. Gordon Brown soutenait cette initiative, mais je n'ai pas eu de réponse du nouveau gouvernement britannique à mes sollicitations. J'attends le premier rapport d'experts, qui ouvrira le choix entre taxe sur les monnaies et taxe sur les mouvements de capitaux. On ne peut faire cela sans les Nations Unies. Les Européens pèseront. J'en parlerai dimanche aux Africains, qui ne sont pas d'accord a priori. Je ne sais quand l'Assemblée générale pourra se prononcer sur ces financements innovants.

Il y a des endroits où il n'y pas de conflit entre ambassadeur et représentant de l'AFD. On a déjà vu cela dans le domaine de la culture. Un ambassadeur n'est pas un Pic de la Mirandole ; il doit en revanche se montrer dynamique. Si nous ne sommes pas porteurs de propositions, tout un pan de notre diplomatie tombera.

Il y a des indicateurs de performances, monsieur Gouteyron. L'AFD, c'est 1 600 techniciens. Nous nous étions inspirés du modèle suédois quand nous avons mis cela en oeuvre, imparfaitement. Un contrat d'objectifs et de moyens est en préparation ; vous avez auditionné M. Bourguignon qui sera le président du comité des évaluations de l'AFD ; nous préparons une grille de dix-neuf indicateurs dont un indicateur budgétaire. Personne ne fait mieux que nous : on a pour le secteur de la santé, qui fut notre grand succès, des indicateurs tels que le nombre de vaccinations.

Même si l'ambassadeur dispose de peu de moyens, l'aide bilatérale marche quand elle est bien faite car une petite somme fait parfois une grande différence. Cela ne coûte pas cher de creuser un puits. Cependant, l'impact de ce type d'opération n'est pas aisé à évaluer. Je me rappelle d'observations de la Cour des comptes sur l'aide au Mali... Comment pouvait-elle savoir ce qu'il en était, faute de s'être rendue sur le terrain ?

La coopération décentralisée est décomptée dans l'effort national d'aide publique au développement. Nous travaillons en cofinancement ou par appel à projets. Les représentants des collectivités territoriales rencontrent leurs homologues.

M. Jean-Louis Carrère. - Cela ne va pas durer.

M. Bernard Kouchner. - La crise financière n'est pas un leurre. Le budget sera contraint, malgré tous mes efforts pour pérenniser notre action en faveur du développement. Je souhaite que les financements innovants marchent.

Je sais que les accords de Lomé, c'est M. Fourcade. L'ancien président de la commission du développement et de la coopération du Parlement européen que je suis doit pourtant avouer ne jamais les avoir compris : c'était très opaque. Il y avait de l'argent bien sûr, cependant la réalité du pouvoir appartenait au Conseil européen.

Madame Keller m'a invité à rêver : je donnerais le pouvoir à des ONG que je contrôlerais le plus possible et je confierais les projets aux Africains en jugeant sur la façon dont ils les mettraient en oeuvre, comme on veut le faire en Afghanistan. Je ne ferais pas confiance aux ministères mais à des groupes locaux. Il n'y a toujours pas de système médical à Haïti, où j'avais accompli ma première mission : la charité permanente devient perverse.

Je comprends ce que vous dites sur l'affichage des 0,7 %. Ne doit-on pas offrir un but, un rêve ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Alors on peut afficher plus...

M. Bernard Kouchner. - S'approcher du but pour certains objectifs ne serait pas si mal que cela. Les Nations Unies donnent un objectif. Quant à la schizophrénie sur les objectifs du millénaire, il faut tenir compte de la crise, mais aussi du dialogue avec les Français : sans leur présenter des objectifs hors de portée, on doit recueillir leur soutien pour une aide déterminée.



Publié le 03 juin 2010