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Mission sénatoriale en Palestine juillet 2008

Compte-rendu du déplacement d’une délégation du groupe d’information internationale du Sénat sur les territoires palestiniens

conduite par sa présidente Mme Monique Cerisier ben-Guiga en Israël et dans les Territoires palestiniens du 5 au 10 juillet 2008

- Synthèse –

Communiqué de presse du vendredi 11 juillet 2008

Territoires palestiniens : L’asphyxie

Une délégation du groupe d’amitié France - Territoires Palestiniens, conduite par sa présidente Mme Monique Cerisier-ben Guiga (SOC – Français de l’étranger), et composée de Mme Bernadette Dupont (app. UMP –Yvelines), Mme Josette Durrieu (SOC – Hautes-Pyrénées), M. Bernard Fournier (UMP – Loire) et M. Charles Gautier (SOC – Loire-Atlantique) s’est rendue en Israël et dans les Territoires Palestiniens, du 5 au 10 juillet 2008, afin d’évaluer la situation sur le terrain au regard de l’objectif de parvenir à un accord de paix avant la fin de l’année 2008. Cette visite a été marquée par de nombreux entretiens politiques et des visites de terrain, y compris dans la bande de Gaza.

Les membres de la délégation ont été frappés par la très nette dégradation des conditions de vie, en matière de circulation, d’activité économique, et de situation sociale et sanitaire des populations vivant dans les Territoires palestiniens. En particulier, dans la bande de Gaza, l’asphyxie de l’activité économique due au blocus israélien précipite la population dans la pénurie alimentaire et la dégradation sanitaire.

Le contraste est saisissant entre les négociations en cours et la situation sur le terrain. Le morcellement des Territoires palestiniens résultant de l’augmentation des entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises, de l’amplification de la construction des colonies, notamment autour de Jérusalem-Est, ainsi que les incursions répétées de l’armée israélienne dans les zones sous contrôle de l’Autorité palestinienne, délégitiment celle-ci aux yeux de la population.

Face à cette situation, les membres de la délégation appellent l’Union européenne et, en particulier, la présidence française de l’Union européenne et à la veille du Sommet de l’Union pour la Méditerranée, à faire respecter les engagements d’Annapolis. La délégation appelle aussi les pays arabes à relancer le plan de paix proposé à Beyrouth en 2002. Elle leur demande de participer au financement de l’UNWRA, dont dépend aujourd’hui la simple survie du peuple palestinien et de sa civilisation.

Sans réelle amélioration des conditions de vie des Palestiniens vivant dans leur territoire sous occupation militaire israélienne, tout espoir de parvenir à un accord de paix durable entre les deux parties est vain.

I. LE DEROULEMENT DE LA VISITE

1°) la situation à Hébron

La délégation s’est d’abord rendue dans la ville d’Hébron, dans la matinée du 6 juillet, où elle s’est entretenue avec le maire de la ville et les responsables du centre de réhabilitation, avant d’effectuer une visite de la vieille ville pendant laquelle elle a été violemment prise à partie par des colons israéliens.

Comme l’a rappelé le maire de la ville, M. Khaled Osaily, au cours de son entretien avec les membres de la délégation, Hébron est l’une des villes les plus anciennes du monde, qui est mentionnée dans l’Ancien testament et qui revêt un caractère sacré, tant pour les chrétiens, que pour les juifs et les musulmans. C’est aussi la plus grande ville de Cisjordanie, qui compte 130 000 habitants, dont 58 % ont moins de 18 ans, et une ville réputée pour ses productions agricoles, son artisanat et son industrie (marbre, céramique, textile, raisin et vin). Or, elle risque de devenir une ville fantôme du fait de l’occupation de la vieille ville par des colons protégés par l’armée israélienne et des entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises.

En effet, Hébron présente la particularité d’avoir des colonies non pas autour, mais au coeur même de la ville. Depuis 1969, après la guerre des six jours, un groupe radical de colons s’est installé au cœur même de la vieille ville et ce groupe cherche depuis à étendre son implantation. Ce groupe compte aujourd’hui environ 600 colons répartis sur cinq implantations dans la vielle ville. Ils sont protégés par plusieurs centaines de militaires israéliens, qui ont installé des miradors, des barrages et des check points autour des installations et sur les principaux axes de circulation, qui sont interdits aux palestiniens et réservés aux colons. Malgré cela, les incidents entre les colons et les habitants palestiniens sont fréquents. En 1994, un colon extrémiste, Baruch Goldstein, a ouvert le feu sur des fidèles musulmans palestiniens venus prier dans le Tombeau des Patriarches, faisant 29 morts et de nombreux blessés.

Depuis cette date, les mesures de sécurité se sont accrues. On dénombre au moins une centaine de check points dans la vieille ville, ainsi que des rues murées, des rues barrées et même l’entrée de la mosquée se fait par un portique de sécurité De ce fait, la circulation et l’activité économique des palestiniens habitant dans la vieille ville sont considérablement limitées. Depuis 1994, 1900 magasins appartenant à des palestiniens ont été fermés et la population palestinienne de la vieille ville est passée de 20 000 à 2000 ou 3000 habitants. En raison des fréquents barrages volants de l’armée israélienne sur la principale route reliant la ville, dont la délégation a d’ailleurs elle-même été le témoin lors de sa visite, l’activité économique est considérablement ralentie.

Dans ce contexte, la municipalité a fait de la préservation de l’identité culturelle de la ville l’une de ses principales priorités. Menée par le centre de réhabilitation, créé par Yasser Arafat pour préserver l’héritage historique de la ville, et avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD), le programme de réhabilitation s’est traduit par la réhabilitation de plusieurs rues et maisons. Toutefois, sans réelle perspective de développement économique (40 % de la population est au chômage) la situation ne peut s’améliorer pour les habitants. Or, la présence de plusieurs centaines de colons au centre la ville et les mesures prises par l’armée israélienne pour assurer leur protection aboutissent à des tensions permanentes avec les habitants palestiniens et à des entraves à leur libre circulation.

La délégation a elle-même été le témoin de cette situation puisque lors de sa visite de la vieille ville, elle a été violemment prise à partie par un représentant des colons d’Hébron et son épouse, qui sans raison apparente ont brutalement agressé, sous les yeux mêmes des soldats israéliens, les membres de la délégation et le garde de sécurité du Consulat général de France à Jérusalem, qui a été retenu pendant plusieurs heures par la police israélienne, malgré son immunité diplomatique. Profondément choquée par le comportement inadmissible de ce colon extrémiste et par la passivité de l’armée israélienne à l’égard d’une délégation de parlementaires français accompagnés par des diplomates, Mme Monique Cerisier ben-Guiga a d’ailleurs rédigé une lettre de protestation qu’elle a transmise au Président du Sénat, M. Christian Poncelet, et au ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner.

En dépit des accords d’Oslo, selon lesquels l’armée israélienne était censée se retirer de toutes les villes palestiniennes de Cisjordanie, Hébron reste partiellement sous occupation israélienne et la présence de plusieurs centaines de colons extrémistes en son cœur constitue une source permanente de tensions. A cet égard, la récente décision prise par le ministre de la Défense M. Ehoud Barak du gouvernement israélien du Premier ministre M. Ehoud Olmert d’autoriser la construction d’un foyer étudiant juif au centre de la vieille ville d’Hébron ne semble pas de nature à améliorer la situation.

2°) la colonisation autour de Jérusalem Est

Dans l’après-midi du 6 juillet, la délégation s’est entretenue avec les responsables de l’association « Ir Amin » et elle a effectué une visite de terrain à Jérusalem Est, centrée sur la question des colonies autour de la ville. Accompagnés par les responsables de l’association « Ir Amin », association israélienne créée en 1994 qui œuvre pour la paix entre Israéliens et Palestiniens et qui est spécialisée sur la question de Jérusalem Est, les membres de la délégation ont effectué une visite autour de Jérusalem Est, qui leur a permis de mesurer les progrès réalisés ces dernières années par la colonisation et le Mur de sécurité, dont le tracé aboutit à englober de fait Jérusalem Est et à couper en deux la Cisjordanie.

Depuis la guerre des six jours et l’occupation de Jérusalem Est par l’armée israélienne, Jérusalem compte 750 000 habitants, dont 250 000 palestiniens. Ces derniers n’ont pas la citoyenneté israélienne mais un statut de résident permanent. Ils ne disposent pas de passeport et leur liberté de mouvement est limitée. Alors que les habitants palestiniens représentent un tiers de la population de Jérusalem, seulement 10 % du budget municipal leur est consacré. Les autorités israéliennes semblent multiplier les obstacles pour les inciter à quitter Jérusalem.

La colonisation autour de Jérusalem Est, dans la partie située au-delà de la ligne verte, s’est fortement renforcée ces dernières années, y compris après la conférence d’Annapolis. D’ores et déjà, il existe de grandes colonies, comme Ma’ale Adumim, qui compte 35 000 habitants, ou Pisgat Ze’ev. Mais les autorités israéliennes projettent de construire une nouvelle colonie, dans une vaste zone dite « E 1 », où seraient construit 3500 logements pouvant accueillir 15 000 personnes, qui aboutirait à encercler et à englober complètement Jérusalem Est. Or, le tracé du Mur de sécurité englobe cette zone de même que les autres colonies situées autour de Jérusalem Est. Il aboutirait donc à couper Jérusalem Est du reste de la Cisjordanie et à couper en deux la Cisjordanie. La question de Jérusalem reste donc centrale pour le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.

3°) Rencontre avec les représentants de l’Autorité palestinienne

    Le 7 juillet, la délégation s’est rendue à Ramallah pour y rencontrer plusieurs responsables de l’Autorité palestinienne et du Fatah.

    Les membres de la délégation ont d’abord eu des entretiens avec M. Rafic Husseini, directeur de cabinet du Président de l’Autorité Palestinienne, M. Mahmoud Abbas, et le Vice ministre des Affaires étrangères, M. Ahmad Soboh. Les responsables de l’Autorité palestinienne ont fait part de leur inquiétude au sujet du processus de paix face à la dégradation de la situation des palestiniens sur le terrain due à la politique israélienne, illustrée par la poursuite et même l’amplification de la colonisation et la multiplication des entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises, qui délégitiment l’autorité palestinienne aux yeux de la population et renforcent l’influence du Hamas. Ils ont fait part de leurs fortes attentes à l’égard de l’Union européenne et de la France, notamment dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

    Les membres de la délégation ont ensuite discuté avec plusieurs députés palestiniens, issus de différentes sensibilités, au cours d’un déjeuner. Les discussions ont notamment porté sur le fonctionnement du Conseil législatif palestinien, entravé par la détention de 57 députés palestiniens par Israël, sur le dialogue inter-palestinien et la nécessité de sortir de la crise politique actuelle, avec l’idée d’un gouvernement de consensus national et l’organisation de nouvelles élections présidentielles et législatives, qui permettraient de mettre un terme à la séparation entre la Cisjordanie, sous le contrôle de l’autorité palestinienne, et la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas.

    Les membres de la délégation se sont également entretenus avec M. Qaddoura Fares, proche collaborateur de M. Marwan Barghouti, haut responsable du Fatah détenu en Israël, qui pourrait représenter un recours pour le Fatah et l’OLP face à l’influence du Hamas.

    Enfin, les membres de la délégation ont visité le centre culturel franco-allemand de Ramallah et ont déposé une Gerbe au nom du Sénat et se sont recueillis sur la tombe de Yasser Arafat au Mausolée provisoire de « la Mouqata’a ».

4°) Rencontre avec des députés israéliens à la Knesset

    Le 7 juillet au soir, la délégation s’est entretenue avec des députés israéliens du parti Meretz et du mouvement « La paix maintenant » à la Knesset. Les parlementaires israéliens se sont montrés sceptiques sur la possibilité d’aboutir à un accord de paix avant la fin de l’année 2008 en raison de la situation politique en Israël marquée par plusieurs « affaires » concernant le Premier ministre, M. Ehoud Olmert. Ils ont confirmé l’impression qu’aux yeux des responsables israéliens la première priorité n’était pas de faire la paix avec les palestiniens mais la menace nucléaire iranienne.

5°) Entretien avec le Premier ministre palestinien

    Dans la matinée du 8 juillet, la délégation a eu un entretien avec le Premier ministre palestinien, M. Salam Fayyad, à Ramallah, puis elle s’est entretenue avec les membres de l’équipe chargée des négociations du processus de paix pour la partie palestinienne.

    Le Premier ministre palestinien, M. Salam Fayyad, a salué le discours du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, prononcé à la Knesset à l’occasion de sa visite officielle en Israël, en indiquant que ses prises de position sur la colonisation, sur le mur de sécurité et sur Jérusalem Est avaient été particulièrement appréciées. Plus généralement, il s’est félicité de la position équilibrée de la France en faveur des deux Etats et l’a remerciée pour l’organisation de la conférence des donateurs et a fait part des fortes attentes des palestiniens à l’égard de la présidence française de l’Union européenne. Il s’est cependant interrogé sur l’opportunité de renforcer les relations entre l’Union européenne et Israël sans conditionner ce renforcement à des progrès sur le processus de paix.

    Concernant les relations avec le Hamas, le Premier ministre s’est dit favorable à un dialogue pouvant déboucher sur la mise en place d’un gouvernement de consensus, qui serait chargé de préparer la tenue de nouvelles élections présidentielles et législatives, seul moyen à ses yeux de dénouer la crise actuelle, tout en estimant que la prise de contrôle par la force de la bande de Gaza par le Hamas était inacceptable. Il s’est déclaré favorable à l’envoi d’une tierce partie, une force armée composée majoritairement de contingents arabes, dans le territoire de la bande de Gaza.

6°) L’état des négociations sur le processus de paix

    La délégation a ensuite eu une présentation de l’état des négociations sur le processus de paix suivie d’un entretien avec M. Maen Erekat, Directeur général de l’Unité de soutien aux négociations de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP).

    Six mois après la conférence d’Annapolis, censée relancer le processus de paix et alors que l’objectif reste de parvenir à un accord avant la fin de l’année 2008, la situation s’est nettement dégradée sur le terrain en raison de la politique israélienne si bien que l’on peut être sceptique sur les chances d’aboutir à un accord de paix avant la fin de l’année et s’interroger sur la volonté réelle des autorités israéliennes d’aboutir à un accord. En réalité, les deux parties n’ont jamais été aussi proches d’un accord mais la partie israélienne ne semble pas prête à faire les concessions nécessaires sur des questions majeures, comme le statut de Jérusalem, le démantèlement des colonies ou encore la question du droit au retour des réfugiés.

    Les négociations actuelles se déroulent dans deux cadres parallèles : d’une part, le statut permanent, qui traite des questions de fond, comme la souveraineté de l’Etat palestinien, le statut de Jérusalem Est, la question des réfugiés, la libération des prisonniers, l’accès à l’eau et la sécurité et, d’autre part, la mise en œuvre de la « feuille de route », par laquelle Israël s’est engagée à lever les obstacles à la libre circulation des personnes et des marchandises en contrepartie d’un renforcement de la sécurité de la part des autorités palestiniennes.

    Concernant d’abord le statut définitif, tout le monde partage l’objectif de la création de deux Etats. Pour la partie palestinienne, l’Etat palestinien devrait être fondé sur la frontière de 1967 (la « ligne verte »), avec pour capitale Jérusalem Est, une souveraineté pleine et entière et une continuité territoriale entre Gaza et la Cisjordanie. Mais, on constate du côté israélien une politique d’annexion, consistant à poursuivre la colonisation, à achever la construction du mur de sécurité, dont 80 % du tracé est situé au-delà de la ligne verte, et une politique visant à restreindre la souveraineté de l’autorité palestinienne, en gardant notamment le contrôle de l’espace aérien et maritime et des frontières.

    Ainsi, depuis la conférence d’Annapolis, la colonisation a littéralement explosé. Le nombre d’appels d’offre pour la construction de nouveaux logements situés dans les territoires palestiniens est passé de 138 entre fin 2006 et fin 2007 à 847 entre décembre 2007 et mai 2008, soit une multiplication par douze. Le nombre de permis de construire est, quant à lui, passé de 114 à 327, soit une multiplication par 6,5 sur la même période. Selon les négociateurs, les palestiniens seraient prêts à céder environ 1,9 % des territoires situés au-delà de la ligne verte dans le cadre d’un échange équivalent de territoires avec la partie israélienne. Celle-ci réclame toutefois environ 8 à 10 % des territoires, dont Jérusalem Est, ce qui est inacceptable pour les palestiniens.

    Le deuxième sujet de négociation concerne le statut de Jérusalem Est. Pour la partie palestinienne Jérusalem devrait devenir la capitale des deux Etats, avec une séparation sur la ligne verte et un accès libre aux lieux saints. Mais, on constate du côté israélien, la poursuite de la colonisation autour de Jérusalem Est et de la construction du mur, ainsi que la multiplication des pressions à l’égard de la population palestinienne vivant à Jérusalem Est, comme la révocation des permis de résidence, la fermeture des institutions palestiniennes (comme la maison d’orient) et les expropriations (notamment pour la construction du tramway). L’objectif semble clairement d’annexer Jérusalem Est et les colonies situées autour.

    Le troisième sujet de négociation concerne les réfugiés palestiniens. 60 ans après la « nakhba » (la catastrophe), on dénombre 6 millions de réfugiés palestiniens vivant à l’étranger, principalement dans les pays voisins (Liban, Jordanie) et en majorité apatrides, 1,3 million de réfugiés dans les camps en Cisjordanie et à Gaza. Pour la partie palestinienne, il s’agit de trouver une « solution juste et agréée au problème des réfugiés, fondée sur la résolution 194 des Nations unies ». Cela impliquerait la reconnaissance de sa responsabilité par Israël, une réparation (restitution ou indemnisation) et un « droit au retour » ou une intégration dans le pays hôte. Ces demandes sont toutefois catégoriquement rejetées par Israël.

    Le problème de l’accès à l’eau est l’une des questions les plus sensibles, en raison des ressources limitées. La partie palestinienne souhaiterait aboutir à une allocation « équitable et raisonnable » des ressources en eaux et à une exploitation partagée. Toutefois, depuis 1967, Israël s’est assurée la maîtrise totale de l’accès à l’eau. La consommation journalière en eau serait de 250 litres par personne en Israël et dans les colonies et de seulement 60 litres par personne dans les Territoires palestiniens, alors que le seuil minimal est de 100 litres par personne, selon les négociateurs palestiniens.

    Enfin, sur la question de la sécurité, les palestiniens exigent le retrait complet de l’armée israélienne. Ils ont pris des mesures afin de renforcer les forces de sécurité palestiniennes et se déclarent favorables à une présence internationale (casques bleus ou forces de l’Union européenne). La partie israélienne multiplie toutefois les entraves à l’action des forces de sécurité palestiniennes, garde la maîtrise d’une large partie du territoire et souhaiterait aboutir en réalité à un Etat palestinien démilitarisé.

    Quant à la mise en œuvre de la « feuille de route », elle est actuellement bloquée par la politique israélienne, qui multiplie les entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises.

    Sans forte pression des Etats-Unis et de l’Union européenne, il semble que les autorités israéliennes ne soient pas disposées à parvenir à un accord de paix durable avec les Palestiniens. Or, les élections présidentielles américaines et la mise en place de la nouvelle administration, ainsi que la crise politique en Israël pourraient freiner les négociations.

7°) Le Mur de sécurité

    La délégation a également entendu une présentation des questions soulevées par le Mur de sécurité et les autres entraves à la libre circulation, par les représentants du bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies.

    Lancée en 2002 après le début de la seconde Intifada, officiellement pour mettre fin à la campagne d’attentats suicide, la construction du mur de sécurité est aujourd’hui achevée à près de 90 %. Long de 723 km, dont seulement 20 % est situé sur la ligne verte, le tracé du mur s'écarte à certains endroits de plus de 23 kilomètres de la ligne verte (les « doigts »). Le mur englobe 9,8 % du territoire de la Cisjordanie (dont Jérusalem Est), la majeure partie des colonies israéliennes (80%, soit 400 000 colons sur 500 000) et la quasi-totalité des puits. Pour les Palestiniens, la barrière se situe dans un grand projet israélien d’expansion de son territoire. Les objectifs sécuritaires de l’édifice ne sont qu'un prétexte afin de s'attirer les faveurs de l'opinion israélienne. Ce n'est en rien une mesure provisoire, mais plutôt un édifice à long terme visant à imposer tout de suite les frontières d’un futur État palestinien.

    La Cour internationale de justice a rendu, le 9 juillet 2004, un avis dans lequel elle considérait que : « L'édification du mur qu'Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international». Pour sa part, la Cour Suprême d'Israël, dans sa décision du 30 juin 2004, n'a pas remis en cause l'existence de la "barrière de séparation" mais a ordonné que son tracé soit modifié.

    Un exemple fréquemment donné des effets du mur est la ville palestinienne de Qalqilya, une agglomération d'environ 45 000 habitants. La ville est uniquement accessible par une route à l'est, ainsi qu'un tunnel construit en septembre 2004 qui la relie au village de Habla, lui-même isolé par un autre mur. 45 % des terres cultivées palestiniennes et un tiers des puits d'eau de la ville, se retrouvent désormais à l'extérieur du mur, et les fermiers doivent désormais demander des permis aux autorités israéliennes pour accéder à leurs terres situées de l'autre côté de la "barrière". Depuis octobre 2003, la zone a été déclarée « zone militaire fermée » par l’armée pour une période indéfinie. Tout Palestinien âgé de plus de 12 ans vivant dans cette zone doit obtenir un « statut de résident permanent » pour continuer à vivre dans sa maison. Les autres résidents de la Cisjordanie doivent obtenir un permis spécial pour entrer dans cette zone.

    De nombreuses ONG palestinienne, israéliennes et internationales ont décrit l'impact humanitaire du mur sur la vie des Palestiniens : Il empêche un libre accès à la santé, notamment pour les enfants, il est la cause de la destruction d'une partie de l'économie palestinienne et il divise des familles. Enfin, il contrevient au libre accès aux lieux saints, tant pour les musulmans que pour les chrétiens, nombreux en Cisjordanie.

    Le tracé du mur de sécurité reflète-t-il en réalité un objectif davantage politique que sécuritaire ? Le tracé de la barrière englobe non seulement une grande partie des colonies israéliennes (80 %) dans la partie à l'ouest de la barrière, mais il prend aussi nombre de villages palestiniens. Pourquoi annexer des villages palestiniens puisque l'objectif de la barrière est d'empêcher des Palestiniens d'accéder en Israël pour y perpétrer des attentats? Pour beaucoup, c'est le signe que la barrière n'a pas qu'un objectif sécuritaire. En empêchant les Palestiniens vivant près de la barrière de mener une vie normale, Israël espère les contraindre à quitter leur terre pour se réfugier plus à l'intérieur de la Cisjordanie. De cette façon, ces terres deviendraient inoccupées et libres à coloniser.

    En effet, à côté du mur, il existe d’autres obstacles à la libre circulation, tels que les check points contrôlés par l’armée (106 check points militaires), les levées de terre ou fossés, les gravas ou barrières coupant les routes des palestiniens ou encore les barrages temporaires. Depuis l’accord conclu en novembre 2005 sous les auspices des Etats-Unis et censé lever les obstacles à la circulation en Cisjordanie, le nombre d’obstacles a doublé, passant de 300 à 600. En outre, il faut ajouter les routes réservées aux colons et les zones militaires fermées, comme la vallée du Jourdain. En réalité, toute la politique d’Israël en Cisjordanie consiste à protéger les colons juifs (au nombre de 450 000), c’est-à-dire une population résidant illégalement, vis-à-vis de la population palestinienne, résidant pourtant légalement sur son territoire.

    Pour certains, les ambitions israéliennes vont plus loin encore. Ainsi, M. Gadi Algazi, professeur à l'université de Tel-Aviv évoque dans un article paru dans le Monde diplomatique un projet visant à diviser la Cisjordanie en « bantoustans ». Il s'agirait de cantons, strictement limités et impossibles d'accès sans passer par des barrages de Tsahal ou par la barrière. En morcelant littéralement la Cisjordanie, Israël voudrait pouvoir entièrement la contrôler et empêcher toute organisation ou communication sur plusieurs cantons. M. Meron Rapoport, journaliste israélien, parle de trois cantons : Le premier de Jénine à Ramallah (partie nord de la Cisjordanie), le deuxième de Bethléem à Hébron (partie sud de la Cisjordanie) et le troisième autour de Jéricho (dans l'est de la Cisjordanie). D’ores et déjà les routes reliant les colonies découpent en trois la Cisjordanie, obligeant les Palestiniens à faire de longs détours. Avec l’achèvement de la construction du Mur de sécurité autour de Jérusalem Est et de la nouvelle colonie « E1 », ne va-t-on pas dans cette direction ?

    L’après midi du 8 et la journée du 9 juillet, la délégation s’est scindée en deux groupes.

8°) La situation à Bethléem

Un premier groupe, composé de Mme Josette Durrieu, M. Bernard Fournier et M. Charles Gautier, s’est d’abord rendu à Bethléem, dans l’après midi du 8 juillet. La délégation a rencontré le maire de Bethléem, M. Victor Batarseh, ainsi que la gouverneur de la ville, M. Salah Tamari, figure historique de l’OLP et compagnon de route de Yasser Arafat. Les membres de la délégation ont ensuite visité l’Alliance française, ainsi que le camp de réfugiés d’Aida.

Bethléem, située à 10 km au sud de Jérusalem, constitue avec Beit Jalah et Beit Sahour, un lieu emblématique de la présence et de l’héritage chrétiens en Palestine. La ville accueille plusieurs lieux saints, comme la Basilique de la Nativité. Cette ville de 30 000 habitants est aujourd’hui à majorité musulmane (65%), de nombreux chrétiens ayant émigré ces dernières années dans le contexte de la seconde Intifada et en raison des difficultés économiques. Un décret présidentiel, pris par Yasser Arafat et toujours en vigueur, stipule que le poste de maire et la majorité des sièges au conseil municipal doivent revenir à des chrétiens.

La situation économique de la ville s’est fortement détériorée pendant la seconde Intifada. Les populations des camps de réfugiés de Bethléem (camps de Eisher, Aida et Azza, qui comptent près de 19 000 habitants) ont été les plus touchées. Le secteur touristique, principal moteur économique de Bethléem, emploierait jusqu’à 20 % de la population de la ville. Après une chute drastique, le tourisme notamment religieux a connu une légère reprise ces deux dernières années.

Depuis 2002, l’agglomération de Bethléem est isolée de Jérusalem par le mur de séparation. Son tracé longe les zones les plus densément peuplées. Les accès à la ville sont étroitement réglementés par l’armée israélienne. Ces restrictions de circulation ont largement affecté l’économie locale. Bethléem demeure néanmoins l’une des villes les plus actives des Territoires palestiniens. Elle bénéficie d’un réseau culturel et associatif très dense. Une Alliance française y est installée sur la place centrale. La ville abrite aussi la plus ancienne université de Cisjordanie, qui accueille 2 000 étudiants.

9°) La situation à Naplouse

Ce groupe s’est ensuite rendu à Naplouse le 9 juillet. Les membres de la délégation ont été accueillis par les responsables du Centre culturel Français. Ils se sont ensuite entretenus avec le gouverneur de Naplouse, M. Jamal Mouheissen, puis avec M. Ghassan Shaka’a, membre du Comité exécutif de l’OLP et ancien député-maire de la ville. Les membres de la délégation ont ensuite effectué une visite de la vieille ville, avant d’avoir un entretien avec le Président de l’Université Al-Najah de Naplouse, M. Rami Hamadallah.

    

    La visite de Naplouse par la délégation s’est déroulée dans des circonstances particulières puisque la veille de cette visite l’armée israélienne avait effectué plusieurs incursions dans la ville, pourtant placée sous autorité palestinienne, détruisant un centre commercial, comprenant 70 magasins, profanant trois mosquées, fermant une école et confiscant les trois bus scolaires, ces lieux étant soupçonnés d’être sous l’influence du Hamas.

    

    Importante ville de Cisjordanie et ancien centre économique, Naplouse est aujourd’hui asphyxiée par le blocus imposé par l’armée israélienne et les entraves à la libre circulation. De plus, les incursions répétées de l’armée israélienne délégitiment l’autorité palestinienne aux yeux de la population et aboutissent en réalité à renforcer l’influence du Hamas. Malgré cela, l’éducation des enfants et adolescents, élément traditionnel de la « résilience culturelle palestinienne » face à l’occupation israélienne, reste une priorité. L’Université Al Najah de Naplouse, l’une des plus grandes universités de Cisjordanie, compte plus de 16 000 étudiants, dont une majorité de jeunes filles.

10°) Visite de la bande de Gaza

Le deuxième groupe, composé de Mme Monique Cerisier ben-Guiga et de Mme Bernadette Dupont, a effectué une visite de deux jours dans la bande de Gaza les 8 et 9 juillet.

L’après midi du 8 juillet, après avoir franchi, non sans difficultés, le point de passage d’Erez, Mme Monique Cerisier ben-Guiga et Mme Bernadette Dupont sont entrées dans la bande de Gaza, qui fait l’objet d’un blocus quasi complet de la part d’Israël, depuis la prise de contrôle par la force de ce territoire par le Hamas, le 14 juin 2007. Peuplée de plus de 1,4 million d’habitants, soit 40 % de la population vivant dans les territoires palestiniens, dont la moitié d’enfants, sur une superficie de 365 km2, la bande de Gaza connaît l’une des plus fortes densités au monde. La situation à Gaza a été qualifiée par M. John Ging, directeur des opérations sur la bande de Gaza pour l’UNWRA, de « chaos humanitaire ». Depuis le bouclage de ce territoire par Israël, on peut parler, en effet, d’« une prison à ciel ouvert ».La population connaît la sous-nutrition et la malnutrition, avec 85 % de la population dépendante de l’aide alimentaire et une situation sanitaire catastrophique. La situation semble d’ailleurs s’être dégradée récemment à la suite des affrontements entre le Hamas et les partisans du Fatah cet été à Gaza.

Les membres de la délégation se sont entretenus avec des parlementaires palestiniens membres du Fatah et non membres du Fatah sur la place du Hamas dans la bande de Gaza et le dialogue inter-palestinien.

La délégation a rencontré le syndicat des pécheurs de la bande de Gaza qui lui ont fait part du harcèlement dont ils font l’objet de la part des autorités israéliennes, qui confisquent leurs bateaux, limitent le fuel, les empêchent de réparer les moteurs des bateaux et les filets, par manque de pièces détachées. Ils les empêchent de pécher au-delà d’une zone entre 4 et 8 miles nautiques, alors que la zone de pêche est de 20 miles nautiques. L’armée n’hésite pas à tirer sur les pécheurs. L’un d’entre eux avait été tué par balle la veille lors d’une sortie en mer. De ce fait, seulement 40 % des pêcheurs peuvent sortit en mer et le prix des poissons a fortement augmenté, passant de 8 shekels pour un kilo de sardines à 25 shekels en pleine saison : alourdissement du coût de la nourriture pour la population, et particulièrement des protéines, appauvrissement des pécheurs, les conséquences s’enchaînent.

Puis, la délégation a eu un dîner de travail avec M. Raji Sourani, Vice Président de la Fédération internationale de protection des droits de l’Homme (FIDH), Président du Centre palestinien pour les droits de l’Homme. Les violations des droits de l’Homme sont le fait de toutes les parties en présence. Il est parfois difficile de démêler ce qui relève du banditisme et de la politique. Mais, simultanément, les institutions tiennent. Par exemple, l’université de Gaza forme des étudiants de haut niveau.

La délégation a également rencontré les représentants de l’UNWRA, l’agence des Nations Unies qui gère les camps de réfugiés palestiniens, dont son directeur, M. John Ging, qui lui ont fait part des difficultés croissantes de financement dues à la très forte augmentation du nombre de bénéficiaires de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza du fait du blocus israélien. Depuis 2004, le prix du colis humanitaire de base a quadruplé et il a doublé depuis l’an dernier. Or, comme la délégation a pu le constater en assistant à une distribution, ce colis ne comporte que riz, farine, fruits, lait pour bébé et ce couvre pas les besoins mensuels des familles. D’où les carences et l’insuffisance alimentaires.

Le 9 juillet, Mme Monique Cerisier ben-Guiga et Mme Bernadette Dupont ont d’abord visité l’hôpital Nasser de Khan Younes où elles se sont entretenues avec l’équipe de chirurgiens français en mission, et visité le projet MAMED de restauration de prothèses. Comme les membres de la délégation ont pu le constater, en raison du blocus israélien, l’hôpital de Khan Younès ne peut plus réparer radio et scanner, stériliser les linges, importer des compresses et a dû fermer sa maternité foyer d’infection nosocomiale pour les nouveaux nés (90 nouveaux nés sont morts de ce fait dans l’hôpital voisin en juin).

La délégation a ensuite effectué une visite du camp de réfugiés de Shati. Logements sommaires, toits de tôle, électricité rare, fourniture d’eau épisodique : le seul lavage du linge tourne au problème insoluble.

Puis, la délégation s’est rendue au Centre culturel français de Gaza, seule fenêtre ouverte sur l’extérieur. Là encore, la vie culturelle subit les entraves du blocage israélien, comme l’illustre l’annulation de plusieurs concerts en raison de l’interdiction faite aux artistes invités par le centre culturel de se rendre dans la bande de Gaza.

Enfin, la délégation a visité les bassins de décantation de Beït Lahia. L’Agence française de développement (AFD) dirige ce programme essentiel pour la survie des Gazaouis : les anciennes installations de traitement des eaux usées de Beït Lahia, périmées, forment maintenant un lac d’eaux putrides dont le niveau est plus élevé que la mer et surplombe la ville. Celle-ci est menacée et au-delà la mer, y compris les côtes israéliennes, d’une catastrophe humaine et écologique majeure. Le projet, dirigé par l’AFD, est ralenti par les restrictions mises par Israël à l’entrée du ciment à Gaza. Malgré tout, il a été possible, grâce à des entreprises gazaouis, de construire les nouveaux bassins de décantation. Mais quelle entreprise internationale répondrait à un appel d’offre pour la construction de la station d’épuration sans laquelle les bassins de décantation sont inutiles ? Le chantier est situé à 200 mètres des positions israéliennes à Erez, sous la menace permanente des tirs. L’entrée à Gaza est problématique pour les ingénieurs et techniciens étrangers. L’importation des appareils et matériaux se heurte au blocus. En l’absence de détente politique, ce programme essentiel, que la France juge prioritaire dans le cadre du suivi d’Annapolis, n’avance pas.

11°) Rencontre avec les ONG israéliennes à Tel Aviv

Dans la matinée du 10 juillet, les membres de la délégation ont rencontré des responsables d’ONG israéliennes à Tel Aviv. Ils ont évoqué la situation sanitaire catastrophique en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les exactions commises par les colons juifs ou l’armée israélienne à l’encontre des palestiniens et l’absence de suite données aux plaintes par la police et les tribunaux israéliens, ainsi que le problème de l’accès à l’eau.

Au cours de cette visite, Mme Monique Cerisier ben-Guiga s’est également entretenue avec le père du soldat franco-israélien Gilad Shalit retenu en otage par le Hamas et les parents du prisonnier franco-palestinien Salah Hammouri, détenu en Israël, ainsi qu’avec les représentants de la communauté française vivant en Israël et dans les territoires palestiniens.

Tout long de leur déplacement, les membres de la délégation ont bénéficié de l’aide précieuse du Consulat général de France à Jérusalem et de l’Ambassade de France en Israël, qu’ils tiennent à remercier ici.

II. LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DU DEPLACEMENT

Des nombreux entretiens et visites de terrain effectués par la délégation ressortent les principaux constats suivants :

- la très nette dégradation des conditions de vie, en matière de circulation, d'activité économique, et de situation sociale et sanitaire des populations vivant dans les Territoires palestiniens, à Gaza d’abord, qui est une « prison à ciel ouvert » où misère et radicalisme se conjuguent, mais aussi en Cisjordanie. Le contraste est saisissant entre les négociations, présentées officiellement sous un jour positif, et la dégradation de la situation sur le terrain. Le morcellement des Territoires palestiniens résultant de l'augmentation des entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises, de l'amplification de la construction des colonies, notamment autour de Jérusalem-Est, ainsi que les incursions répétées de l'armée israélienne dans les zones sous contrôle de l'Autorité palestinienne, délégitiment celle-ci aux yeux de la population.

- la satisfaction exprimée par les responsables palestiniens et les personnalités rencontrées, toutes tendances politiques confondues, à l’égard des prises de position du Président de la République lors de son discours devant la Knesset et une forte attente à l’égard de la présidence française de l’Union européenne, accompagnée toutefois d’interrogations quant à la capacité de la communauté internationale à faire évoluer l’attitude d’Israël, notamment sur la colonisation, qui connaît une accélération spectaculaire malgré l’engagement pris lors de la conférence d’Annapolis par les autorités israéliennes de « geler » la construction de nouvelles colonies ;

- la fragilisation de l’autorité palestinienne et de ses responsables, en l’absence de progrès sur le terrain et de percée perceptible dans les négociations, ainsi que les perspectives incertaines du dialogue national inter palestinien, dans un contexte où le Hamas s’estime en position de force à Gaza, comme l’ont d’ailleurs confirmé les affrontements armés entre les partisans du Hamas et du Fatah à Gaza en août dernier. Pour autant, la détermination du Premier ministre palestinien à poursuivre les réformes engagées et les efforts en matière de sécurité reste entière, en dépit d’une perte de légitimité du fait des multiples entraves sinon avanies israéliennes décrédibilisant l’approche des modérés ;

- l’impact très limité en termes de relance économique d’une aide internationale ayant pourtant atteint des niveaux record depuis la suite de la Conférence de Paris, du fait principalement du maintien, sinon du renforcement des restrictions israéliennes de toutes natures aux accès et mouvements de biens et de personnes, restrictions dont la mission a fait elle-même l’expérience à trois reprises (Hébron, Naplouse, Gaza). Un constat qui nourrit le procès fait à la communauté internationale de « financer l’occupation » davantage qu’elle ne contribue à son atténuation sinon à sa disparition.

- CONCLUSION –

L’Etat d’Israël considère aujourd’hui l’Iran comme la seule véritable menace stratégique. Les rodomontades anti-israéliennes du président iranien, les inquiétudes nées du programme nucléaire, mais surtout de l’influence croissante de l’Iran dans la région, semblent justifier cette analyse, et ce d’autant plus que l’interminable conflit israélo-arabe, qui se solde actuellement par la victoire israélienne sur le peuple palestinien, met au second plan, dans l’esprit des Israéliens, la nécessité de faire la paix avec les Palestiniens.

Dans de telles circonstances, la politique de l’Etat d’Israël dans les territoires palestiniens, qu’il occupe depuis plus de quarante ans, paraît non seulement injuste mais absurde : tout semble fait par l’occupant pour précipiter la population sous la bannière du Hamas, tandis que les Etats-Unis et l’Union européenne précipitent eux-mêmes ce mouvement dans la sphère d’influence de l’Iran.

En effet, nous avons pu constater, lors de notre mission d’étude réalisée du 5 au 10 juillet 2008 en Cisjordanie et à Gaza, que la situation dramatique du peuple palestinien se dégrade chaque jour davantage sur tous les plans, économique, social, culturel, politique. Le contraste entre le processus de négociations, censé déboucher sur un accord de paix avant la fin de l’année 2008, et la situation sur le terrain est saisissant.

Sur le plan économique, l’achèvement du mur de séparation, situé à 80 % dans le territoire palestinien, à l’est de la Ligne verte, la multiplication des entraves à la circulation des personnes et des marchandises (106 check points militaires, levées de terre, fossés, blocs de béton disposés en travers des routes), passées de 300 à 600 depuis l’accord de novembre 2005 censé être destiné à faciliter la circulation, provoquent une véritable asphyxie. Les villes de Cisjordanie, traditionnellement industrieuses, voient leur économie ruinée par l’impossibilité de faire circuler les marchandises. Quant à l’économie de Gaza, elle est totalement anéantie par le blocus.

La situation sociale est qualifiée par John Ging, directeur de l’UNWRA à Gaza, de « chaos humanitaire ». La population de la bande de Gaza, de 1,4 million d’habitants dont plus de la moitié est constituée d’enfants, sur 365 km2, connaît désormais la sous-nutrition et la malnutrition avec 85 % de la population dépendante de l’aide alimentaire et une situation sanitaire catastrophique. Nous avons pu constater que l’hôpital de Khan Younès ne peut plus réparer radio et scanner, stériliser les linges, importer des compresses et qu’il a dû fermer sa maternité devenue un foyer d’infection nosocomiale pour les nouveaux-nés (90 bébés sont morts de ce fait dans l’hôpital voisin en juin). Le système éducatif palestinien, qui a contribué à ce que les ONG appellent « la résilience culturelle palestinienne » face à des conditions de vie déshumanisantes, explose. La misère matérielle et morale, la violence qui en résulte montent dans toute la Cisjordanie comme à Gaza. La bande de Gaza ne serait-elle pas, finalement, que le laboratoire expérimental des futurs cantons palestiniens qui se dessinent sur les cartes en lieu et place de l’Etat imaginé à Oslo ?

Politiquement, l’Autorité palestinienne perd sa crédibilité aux yeux du peuple qu’elle est censée gouverner, ou, à tout le moins, administrer. Elle est minée par le blocage du processus de paix, mais surtout par la dégradation continue des conditions de vie de la population, par son incapacité à la protéger des incursions répétées de l’armée israélienne dans les zones théoriquement placées sous son contrôle. Ainsi, le 8 juillet, à la veille de notre visite dans cette ville, l’armée israélienne a–t-elle investi Naplouse, pénétré dans trois mosquées, fermé une école et confisqué les trois bus de ramassage scolaire, détruit et fermé pour 3 ans les 70 magasins du moderne centre commercial de la ville. Le lendemain, c’était au tour du service de cardiologie de l’hôpital de Ramallah, siège de l’autorité palestinienne, de subir le même sort. Il n’y a plus de service de cardiologie en Cisjordanie.

Enfin, l’impuissance de l’Autorité palestinienne à obtenir de l’occupant qu’il mette un terme à l’expansion des colonies prouve chaque jour aux victimes des expulsions et spoliations qu’elle ne les protège en rien. Le plan d’implantation des colonies disloque et rétrécit le territoire palestinien inexorablement : à ce jour, les Palestiniens sont confinés sur 12 % de la Palestine historique, dont ils occupaient encore 22 % en 1967. Depuis la réunion d’Annapolis, il y a six mois, le gouvernement israélien a multiplié par six le nombre de permis de construire et par douze le nombre d’appels d’offre pour la création ou l’extension de colonies, en particulier autour de la Jérusalem-Est palestinienne, aujourd’hui coupée des villes voisines et du reste de la Cisjordanie. Comment un Palestinien pourrait – il croire aux belles paroles et promesses de justice et de paix d’Israël, des Etats-Unis, de l’Union Européenne ?

Face à cette entreprise de délégitimation de l’Autorité palestinienne et de ses dirigeants, rien de surprenant à ce que le Hamas, construit sur le refus du processus d’Oslo, ait récolté les fruits amers du désespoir politique. Depuis juin 2007 et la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza, l’unité palestinienne, durement acquise dans les années 1970, n’existe plus. Éclaté, morcelé, fragmenté, le paysage politique palestinien est à l’image de la géographie des territoires occupés. Il se traduit par le repli forcé sur la cellule familiale, les murs de la ville, l’espace communautaire.

Malgré cela, les acteurs internationaux s’évertuent à faire comme si rien ne s’était passé : nous avons refusé de prendre en considération le résultat d’élections démocratiques, même après la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Que ferions-nous demain en cas de nouvelle victoire électorale du Hamas, y compris en Cisjordanie ? Or cette victoire serait la conséquence logique de l’incapacité de la communauté internationale à tenir ses engagements, à faire respecter le Droit international et à créer l’Etat palestinien sur un territoire continu et dans les frontières de 1967, admises même par le Hamas. Avec la disparition d’un horizon politique, la question palestinienne ne va pas s’estomper, elle va changer dramatiquement de nature. Avec le projet politique disparaîtrait le projet national au profit du repli identitaire, du désespoir, de la violence.

La menace la plus immédiate pour Israël aujourd’hui n’est pas la bombe iranienne, mais bien la situation explosive qu’il crée dans les Territoires palestiniens. L’occupation militaire, la colonisation, l’organisation méthodique de l’appauvrissement des Palestiniens, leur soumission à l’arbitraire et à l’humiliation alimentent, à ses portes, un foyer de violence incontrôlable. Cette politique menace le caractère même d’Etat démocratique reconnu à Israël, car le traitement qu’il réserve aux populations civiles occupées le pervertit. Le processus n’est pas irréversible, notamment parce que l’islamisme du Hamas reste un nationalisme, et parce que l’humanisme israélien survit dans les ONG et au sein d’une élite éclairée, mais il appelle une prise de conscience et une réaction rapide de la part d’Israël. Après avoir gagné la guerre, il lui faut aujourd’hui gagner la paix, et l’occasion risque fort de ne pas se représenter.

Dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne, la France se doit de mobiliser ses partenaires pour un engagement efficace en faveur de la paix. En Palestine, aujourd’hui, le réalisme ne réside pas dans la politique de force brutale mais dans le respect humaniste des droits d’un peuple. Que les réfugiés, les occupés, les affamés deviennent enfin des citoyens d’un Etat protégé dans ses frontières, et tous les habitants de cette région du monde connaitront enfin la véritable sécurité qui résulte non des paranoïas armées mais du respect mutuel et de la confiance en autrui.

Tribune cosignée par Mme Monique Cerisier-ben Guiga, Mme Bernadette Dupont, Mme Josette Durrieu, M. Bernard Fournier et M. Charles Gautier.


Publié le 08 décembre 2008