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Compte-rendu de voyage Syrie, Liban, Israël et Palestine

MISSION SUR LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT

2ème déplacement (18-31 janvier 2009)

 

Avec mon collègue Jean François-Poncet, je reviens d’une mission au Moyen Orient. Nous nous sommes rendus en Syrie, au Liban, en Israël et en Palestine. Cette région du monde est en grande difficulté. Damas, Beyrouth, Naqoura, Tel Aviv, Jérusalem, Ramallah, Gaza, ne sont pas que des noms sur des cartes géographiques. Ce sont aussi des mots, dont la seule évocation déclenche les passions.

La Syrie

La Syrie est un Etat multi communautaire (majorité sunnite, minorités chrétiennes, alaouites, druzes et kurdes) mais unitaire. C’est une dictature, qui ouvre lentement son économie. Elle a une vraie stratégie de long terme : réformer son économie tout en préservant son unité et utilise sa diplomatie en conséquence.

La France est sollicitée, mais visiblement nos grandes entreprises comme Alsthom ont eu de mauvaises expériences et hésitent à s’investir à nouveau. En revanche nos PME y semblent plus présentes. La Banque Européenne pour le Développement y est très active. La Syrie entretient aussi des relations commerciales croissantes avec la Turquie et souhaiterait renouer avec l’Amérique.

Il demeure que le développement économique de la Syrie est porteur d’inégalités sociales très marquées.

Dans ce contexte tenir une ligne dure vis à vis d’Israël en phase avec son opinion publique permet au gouvernement syrien d’ouvrir une soupape de sécurité, ce qui contribue à consolider le régime.

Pour se renforcer à l’international, la Syrie se constitue plusieurs cartes : celle du Hezbollah libanais, celle du Hamas – dont elle héberge le chef, Khaled Mechaal – qui constitue l’une des principales cartes de son jeu. Sans le Hezbollah et Khaled Mechaal, la Syrie ne pèserait d’aucun poids dans le monde arabe. Avec l’Iran, elle entretient des relations soutenues et anciennes. C’est une alliance forte, à laquelle il lui serait difficile de renoncer sans obtenir de très importantes contre-partie des USA, de l’Union européenne et d’Israël

La France n’est pour la Syrie qu’une carte parmi d’autres. La Syrie entretient avec nous une histoire complexe : nous lui avons imposé de renoncer à sa plus belle province, le Liban. Nous l’avons privée de sa souveraineté en 1920 et amputée du Sandjak d’Alexandrette en 1939. Mais l’attirance culturelle envers la France subsiste. Quant à la Turquie, elle est en train de devenir « le » partenaire économique de référence.

Khaled Mechaal : qui est-il, que dit-il, que veut-il ?

Nous avons rencontré le Chef de Hamas, en toute indépendance et sans l’aide de l’Ambassade de France. Jusqu’au dernier moment cette rencontre était incertaine.

Quel visage nous a-t-il présenté ? Indiscutablement celui d’un homme politique. En une heure et demie d’entretien il n’a développé aucun discours religieux ou idéologique.

Il a rappelé que le Hamas avait su imposer à ses troupes dans la bande de Gaza une trêve réelle et respectée pendant cinq mois de juin 2008 à novembre 2008. Toutefois, en échange de la trêve, Israël n’a pas levé le siège de Gaza. Seule l’aide humanitaire a pu filtrer, mais pas les flux économiques permettant une vie normale à la population.

Le Hamas n’a pas été surpris par la réaction Israélienne, mais par son ampleur et sa brutalité : 1.300 morts, dont la moitié de femmes et d’enfants. Cela n’a pas été vraiment une guerre, mais une offensive unilatérale.

Selon Khaled Mechaal, le Hamas n’aurait eu que quarante-huit combattants tués. Son mouvement a fait une résistance « légendaire ». Il a combattu comme une « armée de fantômes ». Israël n’a remporté aucun de ses buts de guerre. Le Hamas tient toujours Gaza et peut toujours lancer des roquettes. Khaled Mechaal revendique la légitimité du Hamas : par trois fois, affirme-t-il, le Hamas a gagné sa légitimité : la première fois en devenant un mouvement national palestinien, la deuxième fois en remportant les élections, la troisième fois en résistant au massacre israélien.

Khaled Mechaal demande à ce qu’on traite le Hamas différemment, c’est à dire sur la base du respect et de la reconnaissance.

Sur la réconciliation inter-palestinienne, il prétend que le Fatah et l’OLP ont collaboré avec Israël pendant la guerre, que leur attitude pourrait changer, mais que la clef est de respecter le Hamas comme un joueur majeur dans l’arène palestinienne et de se conformer aux règles de la démocratie palestinienne (i.e. le résultat des élections législatives de 2006).

Malgré sa puissance, affirme Khaled Mechaal, Israël ne peut pas vaincre le peuple palestinien et imposer ses conditions. La paix passe par la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien. La force ne suffira pas à apporter la sécurité à Israël. La « charte » du Hamas sera abandonnée le jour où l’on reconnaîtra l’Etat de Palestine. Israël a l’habitude d’obtenir ce qu’il veut par la force. Cela ne peut changer que si on lui résiste, ou bien si un tiers parti le lui impose. Les Etats-Unis ont échoué dans ce rôle. L’Europe peut être ce tiers parti. Voilà le discours qui nous a été tenu.

 

Quelles conclusions tirer de cette rencontre ?

Le Hamas, devenu un acteur incontournable au Moyen-orient participera nécessairement à un règlement diplomatique du conflit israélo-palestinien. Il garde sa ligne révolutionnaire et ne veut pas renoncer à une résistance qui emploie des procédés terroristes. Toutefois, il est entré dans le pragmatisme de la négociation et l’ostraciser se révèlera de plus en plus contre-productif. Il peut évoluer s’il devient un partenaire du dialogue, dans le cadre d’un gouvernement palestinien d’union nationale par exemple. Mais à en juger par l’épuration post-conflit à Gaza, il ne faut pas en attendre, comme partout ailleurs dans la région, de progrès sur le respect des droits de l’homme !

Le Liban

La classe politique est toute entière focalisée sur les prochaines élections qui auront lieu en juin. La situation pour l’instant est stabilisée, mais fragile.

Deux faits nouveaux sont à signaler. Le repli communautaire est toujours aussi fort, mais l’alliance entre le général Aoun – chef chrétien – et le Hezbollah Chiite change la donne. Quant au Hezbollah, le fait qu’il soit resté inactif lors des évènements de Gaza montre, peut être, qu’il est un parti politique libanais s’occupant d’abord des élections libanaises. Dans ces conditions, les Chrétiens seront les arbitres des prochaines élections. Malheureusement, il n’y a pas grand chose à attendre de leur résultat tant les préoccupations des politiques se limitent à gagner le jeu des élections.

La Nouvelle Finul semble davantage respectée que la précédente et assure un contrôle sur le terrain. Mais elle est confrontée aux violations quotidiennes de l’espace aérien libanais par l’armée de l’air Israélienne : 184 violations par jour sont actuellement recensées.

 

Israël

Compte tenu de notre rencontre avec Khaled Mechaal le ministère des affaires étrangères Israélien ne nous a pas reçus, de même que les leaders politiques. Néanmoins nous avons pu rencontrer des gens fort intéressants tels que l’ancien ambassadeur d’Israël en Allemagne, M. Avi Primor, des chercheurs et les responsables des associations israéliennes de défense des droits de l’Homme.

Israël ne nous a pas donné l’impression d’être un pays en guerre : pas de militaires, de policiers en patrouille, animation dans les rues de Tel Aviv, les boutiques, les restaurants. Dans ces conditions, et en paraphrasant Tocqueville, on peut dire que l’insécurité qui règne dans le centre-ouest est ressentie comme d’autant plus intolérable que la sécurité globale a progressé.

De fait, une grande frustration est perceptible au sein de l’opinion publique israélienne. Elle a le sentiment que le fait d’avoir renoncé à l’occupation de Gaza a été payé en retour par des tirs de roquettes sur le Centre-Ouest d’Israël, ayant provoqué la mort de vingt-cinq personnes en huit ans, et que le Hamas méritait une bonne « correction ». Les Franco-israéliens d’Ashkelon, que la délégation a rencontrés, directement visés par les tirs de roquettes, ont exprimé les difficultés de leur vie quotidienne avec beaucoup de retenue et une émotion communicative.

10.000 Français ont subi les conséquences de la guerre dans le Centre-Ouest d’Israël. Sderot et Ashkelon étaient préparés aux attaques du Hamas, alors que les habitants récemment établis à Ashkod et Bersheba ne l’étaient pas.

Si la stupéfaction et la panique ont vite été surmontées, les traumatismes demeurent : séquelles psychologiques, pour les enfants en particulier. Beaucoup de familles ont perdu leurs ressources, notamment les commerçants.

Ils nous ont expliqué que dans tous les immeubles modernes, il y avait des abris personnels constitués d’une pièce de 8 à 10m² équipée de radio, téléphone et porte blindée ce qui explique la relative faiblesse en pertes humaines. Mais dans les habitats plus anciens, il n’y a rien de tel.

120 à 130 missiles sont tombés en zone urbaine, en pleine journée avec des tirs de plus en plus précis. Il y a eu une dizaine d’alertes par jour pendant les trois semaines de l’attaque sur Gaza.

La mairie a mis en place un centre de crise et les associations françaises, en particulier l’ADFI, ont traduit les consignes de sécurité, diffusées en hébreu, pour les francophones.

Les habitants de ces villes déplorent ce qui se passe à Gaza. Cette guerre leur a été imposée.

Les Palestiniens israéliens ont évidemment très mal vécu les événements de Gaza. Leurs conditions de vie sont défavorables (salaires inférieurs – emplois inférieurs) et aucun programme de mise à niveau social n’a sérieusement été mis en place, selon Giri Grinstein du Think tank Reuk.

Il ne semble pas faire de doute que Benyamin Netaniaou remportera les prochaines élections et qu’il formera une coalition avec le parti travailliste d’Ehud Barak, le leader d’extrême droite Lieberman et le parti ultra-orthodoxe Shass. Kadima et Tipi Livni seront vraisemblablement les perdants de cette élection.

 

La Cisjordanie et Gaza

La Cisjordanie

Nous n’avons vu de la Cisjordanie que Ramallah, qui est de facto une capitale, puisque c’est le siège de l’autorité palestinienne. Nous avons été reçu par Salam Fayyad – Premier ministre qui a lutté avec un certain succès contre la corruption du Fatah. Ramallah, qui n’est pas toute la Cisjordanie, donne l’image d’une relative opulence. Beaucoup d’argent semble s’être investi ou avoir été blanchi dans cette ville. Le Fatah tient la Cisjordanie mais il nous a été dit que les incursions des forces israéliennes sont fréquentes. Les arrestations des partisans du Hamas par la police du Fatah pendant les évènements de Gaza s’élèveraient à six cent personnes.

Gaza

Pour décrire ce que nous avons vu à Gaza les mots manquent.

La grande majorité du nord de la bande de Gaza et de la ville sont encore debout. Il n’y a pas eu à proprement parler de « guerre » à Gaza. Une guerre est un affrontement entre deux armées. Or, il n’y a pas eu d’affrontement. Le Hamas a évité le combat. Il porte d’ailleurs la lourde responsabilité de ne pas avoir prévu les moyens de protéger les civils, même si les conditions de pauvreté générale, aggravées par le blocus, rendaient la construction d’abris en nombre presque impossible. Quand les maisons sont en parpaings, couverts de tôle, l’abri de béton armé tient du rêve.

Que s’est-il donc passé ?

Dans une première phase un bombardement aérien massif et ciblé. Voici les cibles dont nous avons vu les ruines : l’école américaine, l’hôpital du Croissant rouge palestinien qui travaille en liaison avec la Croix Rouge Internationale, le dépôt de l’UNWRA qui contenait des vivres et des médicaments pour 7 millions d’euros, les zones industrielles – 324 usines rasées, et des mosquées.

Dans deux cas au moins – dont nous pouvons témoigner - des bombes au phosphore blanc ont été utilisées : les unes sur l’hôpital du Croissant rouge, les autres sur le dépôt des Nations Unies.

Dans une seconde phase, les chars israéliens se sont positionnés en lisière de la ville et ont tiré des obus dans les immeubles où l’armée estimait que les combattants du Hamas se cachaient. Puis ils sont entrés en passant par les vergers, ont détruit des serres, des oliveraies. Certains quartiers ont été rasés, d’abord par les bombes, ensuite par les chars, et enfin les bulldozers les ont recouverts de terre. Nous avons vu ces terrains vagues.

Les médecins de l’hôpital du Croissant Rouge nous ont dit qu’une centaine de civils de la même famille ont été rassemblés dans une maison qui a ensuite subi des tirs d’artillerie. Cela est confirmé par l’OCHA (bureau de coordination de l’ONU pour les affaires humanitaires en Palestine) : il s’agit de la famille Samouni à Zeitoun. Les forces Israéliennes ont empêché les secours de l’hôpital du Croissant Rouge d’accéder à cette maison en tirant sur les ambulances. Plusieurs jours après, quand enfin les secours ont pu y accéder, des enfants, des adultes gravement blessés, déshydratés et affamés ont été sortis des décombres. Il y a eu 22 morts. Les journalistes des grands médias français que nous avons rencontrés à Jérusalem nous ont rapporté que des soldats israéliens avaient inscrit sur les murs des maisons des inscriptions telles que : « la place des Arabes est sous terre », « peuple palestinien – 1948 – 2009 – Rest in Peace ».

Quel est le résultat de l’opération « plomb durci » ? Il y aurait 1.300 morts du côté palestinien, dont près de la moitié de femmes et d’enfants ; beaucoup de vieillards également ont été tués ; parmi les hommes morts, il est difficile de dire combien étaient les combattants. De nombreux morts sont sans doute ensevelis sous les décombres comme en témoigne l’odeur de cadavres en décomposition, près de certaines ruines. Il y aurait 3 civils tués et dix soldats du côté israélien.

Le choix de nombreuses cibles de bombardement et de tirs d’artillerie constitue, à mes yeux, des messages politiques clairs : la destruction de toute l’infrastructure économique et sociale promet une misère aggravée aux Gazaouis et l’anarchie politique. L’attaque contre l’hôpital du Croissant Rouge, plus violent que sur les autres établissements de soin, est interprété par les médecins comme l’annonce d’une insécurité en tous lieux, y compris pour les malades et les soignants. La destruction des installations de l’UNWRA, de ses écoles et de l’école américaine privée –celle-ci rasée- est un signal clair à la communauté internationale : sa présence et son action sont indésirables à Gaza. Dans les trois derniers cas, les témoignages des étrangers présents concordent : il n’y avait pas de combattants sur ces sites au moment des bombardements. Israël veut clairement se situer, comme les Etats-Unis, au dessus du droit international.

Que penser de cela ?

Israël est politiquement trop faible et militairement trop fort pour faire la paix.

Israël est politiquement trop faible avec un régime parlementaire qui repose sur un pouvoir législatif monocaméral, dont les membres sont élus à la représentation proportionnelle intégrale. Il en résulte que le Premier ministre est constamment l’objet du chantage des petits partis de sa coalition. La survie du gouvernement en dépend. Cela rappelle l’impuissance de la IVe République en France face à la guerre d’Algérie.

La force militaire d’Israël joue aussi en défaveur de la solution politique. L’efficacité du renseignement et du Mossad, reconnue par tous et, d’autre part, l’armée de l’air, dont le format est supérieur à celui de l’armée française, le rendent invincible dans une guerre conventionnelle. Cette stratégie, mise en place par Ben Gourion, s’explique par la petitesse de son territoire et l’importance démographique des pays qui l’entourent, qui font qu’Israël ne peut pas, ne doit jamais être surpris.

De leur côté, les Palestiniens sont trop affaiblis et trop divisés pour faire la paix.

Aux yeux de l’opinion palestinienne et au-delà, arabe, les membres de l’Autorité palestinienne apparaissent maintenant comme des « collaborateurs » et ceux du Hamas comme des « résistants ». Cette situation risque de fragiliser considérablement les pays arabes qui ont été les partisans d’une ligne modérée, en particulier quant ils sont confrontés à brève échéance à des problèmes de succession : l’Egypte de Moubarak et l’Arabie Saoudite du roi Abdallah.

Pour Israël la paix, c’est la sécurité. Il semble qu’Israël estime que l’usage exclusif de la force est le meilleur moyen de la préserver. Pourquoi négocier ?

Pour les Palestiniens, la paix c’est la justice. La justice : c’est reconnaître leurs droits nationaux, c’est reconnaître leurs leaders. C’est leur reconnaître un Etat dans des frontières viables.

Ce quiproquo sur le mot « paix » est générateur de guerres futures.

Dans ces conditions que faire ? Les regards se tournent aujourd’hui vers Barack Obama. La rapidité avec laquelle son administration a dépêché un envoyé, ainsi que la qualité de cet envoyé, le sénateur George J. Mitchell, contraste avec la passivité de son prédécesseur au début de son mandat.

Les Etats-Unis peuvent faire pression sur l’Etat d’Israël. Il leur suffit, par exemple, d’interrompre les livraisons quotidiennes de pièces détachées pour l’aviation israélienne, comme le fit jadis Henry Kissinger. La question est de savoir si le Président des Etats-Unis voudra ou pourra, vis-à-vis de sa propre opinion publique, contraindre Israël à faire la paix.

Pousser l’Europe à intervenir. Ce qui vient de se passer à Gaza et dans le centre-ouest d’Israël de la part de l’armée israélienne et du Hamas, c’est contraire aux valeurs qui fondent, aujourd’hui, la civilisation européenne. Les responsables militaires israéliens qui ont conçu cette opération et les responsables politiques qui l’ont autorisée ont fait fi du droit de guerre, et ont infligé une punition collective, que le droit pénal européen condamne depuis Beccaria. « Shock and Awe » : frapper et terroriser des civils pour dissuader des combattants est moralement inacceptable et contraire aux lois de la guerre. Oui, les roquettes lancées de Gaza relèvent du terrorisme. Il reste à qualifier en droit le déluge de feu jeté par Israël sur un million et demi de Gazaouis et à en tirer les conséquences juridiques et politiques.

 


Publié le 06 février 2009