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BIP N° 87 - Abracadabrantesque !

Vous avez aimé le dépistage des enfants délinquants dès l’âge de trois ans ? Ou la possibilité d’incarcérer les mineurs dès treize ans ? Oui ? Alors vous allez adorer leur arrestation à la sortie de l’école (deux véhicules, six policiers pour interpeller deux garçons - innocents de surcroît, mais là n’est pas la question - de six et dix ans) ou leur audition à la gendarmerie après une bagarre dans la cour de récréation (un écolier de huit ans entendu pendant vingt minutes en présence de son père). Seules les écoles maternelles semblent « sanctuarisées », pour l’instant. Mais jusqu’à quand ?

Plus sérieusement, si ces faits ne doivent pas nous amener à stigmatiser le travail, souvent ingrat, effectué dans des conditions de plus en plus difficiles par les forces de l’ordre, ils sont toutefois révélateurs d’une dérive monarchique du pouvoir de Nicolas Sarkozy. Plusieurs observations le confirment.

D’abord il y a incontestablement un phénomène de cour : si certains détenteurs de l’autorité publique semblent vouloir aujourd’hui être plus sécuritaires que jamais, moins tolérants qu’auparavant, c’est bien parce que le discours ambiant les y pousse. Consciemment ou pas, quelques-uns vont au devant des désirs du pouvoir en commettant des actes absurdes, actes que leur propre hiérarchie est ensuite obligée de condamner. Le gouvernement ferait bien de s’interroger sur les raisons qui font qu’aucun des six fonctionnaires venus arrêter les deux enfants à la sortie de l’école primaire n’aient eu de doute quant au bien fondé de leur expédition. Même s’ils avaient la loi pour eux, rien ne justifiait de l’appliquer ainsi à de si jeunes enfants. Cette absence d’hésitation en dit long sur le pouvoir qu’ont nos dirigeants d’annihiler les esprits.

Ensuite ce phénomène de cour se traduit par une accélération de la judiciarisation de notre société. Tout est désormais matière à garde à vue, puis à poursuite. « La France en garde à vue » titrait Le Monde avec plusieurs témoignages d’interpellations musclées, bien souvent infondées, et de poursuites surréalistes. Dernière en date, celle de cet enseignant poursuivi pour avoir braillé, en pleine gare Saint-Charles, pendant un contrôle d'identité, « Sarkozy, je te vois ! Sarkozy, je te vois ! » … Pour qualifier les faits, le ministère public a dû ressortir une jurisprudence de 1875, parlant de « bruit et tapage injurieux diurnes troublant la tranquillité d'autrui » … D’autrui ou de Sarkozy ?

Enfin, comme promis lors de la campagne présidentielle, il y a eu rupture. Une double rupture même, le président est homme de paroles, au pluriel …

Rupture entre les citoyens et leur police d’abord : « Il y a une dégradation continue des rapports entre les citoyens et leur police » souligne un rapport de la Ligue des droits de l’homme, du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France. Constat inquiétant car si nous n’avons plus confiance en celles de nos institutions qui assurent le contrôle social formel, alors c’est l’Etat de droit lui-même qui est en danger.

Rupture entre les citoyens et leur président ensuite : comment précisément parler d’Etat de droit quand les centres-villes visités par Nicolas Sarkozy sont systématiquement en état de siège avant et pendant sa présence ? C’est en monarque distant qu’il se déplace désormais, préférant la rencontre des « corps constitués » à celle des « vrais gens », « corps constitués » qu’il façonne à son goût, alternant nomination et éviction : préfets, patrons de la télévision et de la radio publiques, du groupe Banque populaire - Caisse d’épargne, de France Télécom, il décide seul de tout. A cela s’ajouteront sans doute les nominations des directeurs d’hôpitaux et des procureurs, après avoir fait disparaître les juges d’instruction.

Pourtant il leur parle aux « vrais gens ». Mais de quoi ? A la veille de l’élection européenne, il ne manque pas de leur resservir le couplet sur l’insécurité, sans bien se rendre compte que, ce faisant, il souligne sa propre incurie dans ce domaine, incurie mise en évidence par les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur : augmentation de 2,4% du nombre des violences à la personne et de 15,4% de celui des vols à main armée pour la seule année 2008.

De toute façon qui le croit, qui l’écoute encore ? Quand lui et les médias – contraints ou complices – nous parlent à longueur d’antenne de portique de détection, de fouille de cartable en nous dressant le portrait d’une France des cités au bord de la guerre civile, d’une France scolaire sous la menace des armes blanches, on aimerait plutôt les entendre sur la crise, sur le pouvoir d’achat … Ou sur le chômage. Ce dernier explose en 2009 : plus de 2,5 millions de chômeurs « officiels » fin avril, plus de 3,5 millions « toutes catégories confondues ». Son premier ministre nous explique, sur un insupportable ton d’évidence, que c’est normal, que ça va continuer ainsi jusqu’en 2010 … Comme si les emplois étaient la seule variable d’ajustement économique face à la crise !

« Le pouvoir absolu a des raisons que la République ne connaît pas » écrivait François Mitterrand. Il y a bien longtemps …

Claudine Lepage


Publié le 01 juin 2009