LISTE DES ARTICLES

BIP N° 92 - Souvenirs, souvenirs... (Johnny Hallyday)

berlin89Il y a 20 ans ! Je me le rappelle comme si c’était hier. Nous venions de déménager de Genève à Munich et la famille commençait à s’installer, à nouer des relations, à comprendre cette nouvelle société bavaroise et allemande qui serait la nôtre.
Nous sentions bien que les choses bougeaient à l’Est : il y avait ces manifestations à Leipzig qui, autour de l’église protestante, attiraient des milliers puis des dizaines de milliers de personnes dans un pays où il ne faisait pas bon se réunir à plus de deux.
Et cette brèche dans le rideau de fer, entre la Hongrie et l’Autriche par laquelle la RDA se vidait de toutes ses forces vives. Et les Polonais qui, menés par Jean Paul II, Walesa et Jaruzelski, la faucille, le marteau et le goupillon, avaient ouvert la route.
C’est pourquoi, en regardant les programmes des chaînes de télévision ouest allemandes le 9 au soir, nous avons compris que l’Histoire était en marche. C’est un sentiment exaltant que je n’avais connu qu’avec la victoire de François Mitterrand en 1981 : l’Histoire vivante, celle qui se fait devant vos yeux. J’ai sauté dans le premier avion pour Berlin, ne voulant rien manquer. C’était très amical, très doux : il n’y avait nulle tension, nulle violence. Ces rassemblements immenses dans différents quartiers de Berlin étaient ceux d’Allemands étonnés, parfois encore incrédules, se demandant ce qui allait se passer mais sans anxiété. Et c’est vrai que voir un pays comme la RDA, alliance réussie d’une certaine rigidité prussienne et du communisme stalinien s’effondrer tranquillement, disparaître comme en glissant doucement dans la Spree était extraordinaire. Il y avait bien sûr quelques tentatives du côté du SED (le PC est-allemand) de redresser la situation : on change le premier secrétaire, on compose un nouveau bureau politique du SED et un nouveau gouvernement avec des personnalités plus « ouvertes », « présentables » mais tout le monde sentait que c’était fini.  
Et puis il y avait cette liberté retrouvée, le passage libre de Berlin ouest à Berlin est. Plus besoin de passer par cette station de métro de la Friedrichstrasse, sorte d’entrée solennelle aux enfers avec ses vopos armés et menaçants, ses longues queues pour faire tamponner son passeport, les miroirs au plafond et au sol pour détecter les clandestins. On imagine un cœur dont les deux parties auraient été séparées et dont les artères progressivement se remettent en place : tant de souvenirs, de douleurs et de deuils à effacer ! Le bonheur légitime et si longtemps attendu du peuple allemand de se retrouver : « l’an prochain à la Porte de Brandebourg » !
Il y a actuellement toute une opération de réécriture de l’Histoire qui consiste à faire croire que Mme Thatcher et François Mitterrand auraient été opposés à la réunification de l’Allemagne : je n’en crois pas un mot. L’auraient-ils pensé, en un souvenir passéiste de la guerre, que leur connaissance de l’Histoire et de la force des nations les en auraient de toute manière dissuadés.
Et puis ce satané mur qui n’en finissait pas de mourir, construit dans un béton si dur que lorsqu’on l’attaquait au burin, le marteau rebondissait !
Et le plaisir de marcher sur les larges allées sableuses qui longeaient le Mur, destinées à empêcher quiconque de s’en approcher.
Nous ne pensions pas encore à toutes implications et conséquences politiques et diplomatiques : c’était encore trop tôt pour mesurer ces vastes perspectives : nous en étions encore dans la joie jubilatoire.
Et encore plus lorsque le hasard, qui est guidé par les Dieux, me fait rencontrer dans un rassemblement de 300 ou 400 000 personnes cette personnalité si lumineuse et exceptionnelle qu’est Stéphane Hessel, ambassadeur de France, homme de lettres franco-allemand, fils de Franz Hessel et d’Hélène qui sont Jules et Catherine du livre de Pierre Henri Roché : « Jules et Jim » et du merveilleux film de François Truffaut.
Assis sur cette pelouse du Tiergarten, en compagnie de son épouse et de l’éditeur de son père, romancier allemand célèbre et persécuté par les nazis, il souriait au temps et à l’Histoire qui passaient. Quelle émotion et quels souvenirs !

Richard Yung


Publié le 08 novembre 2009