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BIP N° 62 - Afghanistan : vers une France atlantiste ?

C’est désormais confirmé : la France enverra 800 soldats supplémentaires sur le sol afghan. Cette décision prise sans concertation préalable avec les représentants du peuple par Nicolas Sarkozy, pose deux questions fondamentales pour notre politique étrangère.

La première question est celle de son utilité. En 2001, le gouvernement Jospin, après avoir organisé un débat à l’Assemblée, avait décidé d’envoyer 1600 hommes pour lutter contre les talibans et aider, avec la communauté internationale, à renforcer la démocratie en Afghanistan. Si cette réponse était à l’époque logique, il convient d’en analyser les conséquences six ans plus tard pour juger de son efficacité. Il se trouve que la situation sur place est peu glorieuse : les talibans sont toujours présents, surtout dans le sud du pays, et la démocratie afghane reste encore un doux rêve lointain. Le peuple est réduit à la misère, choisissant parfois de rallier les talibans face à des autorités corrompues ou largement impuissantes. L’Etat ne dispose que d’une armée de 30 000 hommes, soit même pas la moitié de l’objectif  de 86 000 qui avait été fixé pour 2007. La guerre, telle qu’elle a été menée jusqu’à présent, est donc un échec manifeste. Pourquoi donc la poursuivre ? Pourquoi envoyer d’autres hommes se faire tuer gratuitement ? Le président de la République avait d’ailleurs fait le même constat lorsqu’il était candidat puisqu’il appelait au retrait de 1100 soldats...

En dehors de toute polémique partisane, il est clair que la logique des opérations menées doit changer. Il faut sortir de ce bourbier militaire, se recentrer sur les enjeux politiques en redonnant à l’ONU le rôle qui lui incombe, impliquer les pays voisins tels que l’Inde et le Pakistan pour mener une action claire, mettre enfin l’accent sur le développement économique et social, nous faire accepter des Afghans sans le soutien desquels aucune victoire n’est possible… C’est ce que nous voulions exprimer dans un débat qui nous a d’abord été refusé, puis concédé inutilement puisque la décision était déjà prise, que nous ne disposions que de 20 minutes sur 2 heures pour parler et que nous ne pouvions pas voter. Cette attitude lâche envers le Parlement, au moment même où il est question de le renforcer, est la preuve que le gouvernement lui-même a conscience que cette décision est une erreur.

Cela nous amène à la seconde question fondamentale : quel est l’objectif réel de cette décision ? Nicolas Sarkozy affirmait lui-même il y a un an que la présence française n’était pas décisive en Afghanistan. Pourquoi donc avoir changé d’avis ? Sans doute pour complaire aux Etats-Unis et afficher son désir de réintégrer la France à la structure militaire de l’OTAN que Charles De Gaulle avait quittée en 1966. Le choix du lieu pour faire l’annonce : le Parlement anglais – alors même que la veille, le gouvernement avait refusé de confirmer la nouvelle aux députés français ! –, le choix, également, du moment : une semaine avant le sommet de l’OTAN à Bucarest, ne laissent pas vraiment de doute. Cela s’inscrit d’ailleurs dans la suite logique des actes de Nicolas Sarkozy depuis son élection : son amitié avec Georges Bush, tout comme sa décision de se montrer, au sein de l’Europe, plus proche de l’Angleterre que de l’Allemagne… autant d’indices et même d’aveux, d’une rupture totale avec la tradition de notre pays.

L’envoi de nouvelles troupes françaises, confirmé à Bucarest au sommet de l’OTAN par Nicolas Sarkozy, constitue donc une double erreur : une erreur pour l’Afghanistan qui ne verra pas son sort s’améliorer et une erreur pour le France qui glisse dangereusement dans la voie de l’atlantisme. C’est inquiétant.

Monique Cerisier ben-Guiga


Publié le 04 avril 2008