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BIP N° 59 - La rupture brisée

Nicolas Sarkozy a développé dans sa campagne présidentielle deux thèmes dominants : « je suis le candidat de la rupture » et « travailler plus pour gagner plus ». C’était bien vu, et chaque Français a gardé en tête ces deux slogans. Ils expliquent en partie sa nette victoire, comme le thème de la « fracture sociale » avait fondé celle de Jacques Chirac en 1995 .

Le thème de la rupture en particulier permettait au candidat de se présenter comme un homme neuf, nouveau en politique malgré 35 ans de postes à tout niveaux, et de se distinguer d’un Chirac vieillissant, engoncé dans l’inaction et à la philosophie vaguement radicale-socialiste. Il fallait les yeux du cœur des plus de 60 ans – l’essentiel de l’électorat sarkoziste - pour y croire, comme les retraités pour approuver le « travailler plus pour gagner plus » !

Dans les premiers mois de l’hyperprésidence on a effectivement assisté à un feu d’artifice de nouveautés, de surprises, de bousculements qui ont permis de croire à la rupture :

  • réhabilitation de l’argent, de la richesse ostensible. Ce n’est pas Guizot et son « enrichissez-vous », c’est Berlusconi !
  • retour à la religion et ses valeurs, même si elles condamnent divorces et vie bling-bling
  • exaltation de la valeur travail ( expression curieusement empruntée à Marx)

La rupture selon Sarkozy c’est aussi une activité débordante dans tous les domaines, des ministres réduits à être des chefs de bureau, une communication si bien maîtrisée qu’elle dicte chaque jour aux medias les thèmes à traiter, un contact physique avec les Français agriculteurs, ouvriers métallurgistes, pêcheurs bretons et surtout les victimes d’accidents et de crimes devenues les héros de notre société, un recours aux études et rapports commandés de préférence aux intellectuels proches de la gauche pour parachever l’audace de l’ouverture, et promettant une avalanche de réformes tous azimuts.

Puis ces dernières semaines une fêlure est apparue dans cette mécanique bien huilée, et Sarkozy n’inspire plus confiance. Il ne s’agit pas seulement d’image ou de clinquant bling-bling, mais de la prise de conscience de l’absence de résultats de la politique annoncée.
Au rendez vous des 6 mois : la croissance – que l’on devait saisir avec les dents - reste en plan et trop faible pour créer des emplois en nombre suffisant ; plus grave encore, toute relance économique est rendue impossible par le déficit budgétaire créé en juin 2007. Les mesures fiscales (ISF, droits de succession, bouclier fiscal) ont été injustes puisqu’elles n’ont profité qu’aux plus riches, et inefficaces puisqu’elles n’ont servi ni la consommation ni l’investissement. Elles ont de plus « vidé les caisses » (Sarkozy) et mis l’Etat en faillite (Fillon) et créé le plus fort déficit de la balance commerciale jamais atteint.
Le Président fait de la politique à crédit : il promet de plus en plus et tient de moins en moins. Selon l’expression de François Hollande, « il est en état de surendettement politique ».
En conséquence, les Français comprennent bien qu’il n’y a aucune politique sociale ni aucune réforme qui puisse être menée à bien et que tous les rapports (Védrine, Attali) finissent à la poubelle.
Même le slogan « je dis ce que je fais, je fais ce que je dis » est réduit en cendres tièdes et en souvenirs attendris. Pour travailler plus, il faut qu’il y ait plus de travail. Mais sans croissance, il n’y a pas plus de travail : les employés des grandes surfaces qui travaillent 27 H par semaine en moyenne sauront vous en parler.

Et sans travail, il n’y a pas de pouvoir d’achat supplémentaire. Les salariés qui sont au SMIC ou proche du SMIC le savent bien qui peinent à payer leur loyer, leur essence et maintenant leur nourriture.
La réforme des institutions préconisées par le rapport Balladur sont renvoyées à plus tard, après l’été, sans doute. La politique industrielle et l’action envers la mondialisation du rapport Védrine sont, semble-t-il, en attente de jours meilleurs. Les réformes du rapport Attali, d’inspiration très libérale et que l’on devait toutes mettre en oeuvre dans les semaines à venir, devraient donner un point de croissance en plus. Elles sont bloquées par l’ire des parlementaires UMP : « on ne va pas se regarder mourir » selon l’expression étonnante de Jean-François Copé.
Si la rupture consiste pour le président à recevoir les chauffeurs de taxi pour leur promettre que l’on ne fera rien, à rassurer les buralistes en leur laissant entendre que l’on va permettre les fumoirs, et les retraités en accordant aux bénéficiaires du minimum vieillesse une prime de 200€ par an, on comprend la déception des Français qui ont voté Sarkozy.
La magie du spectacle présidentiel, de ses paillettes et de son strass, n’aura duré qu’un été.
Cela ne suffit pas à faire du PS une alternative puissante mais cela lui donne, dans la foulée des élections cantonales et municipales, le devoir de le devenir.

Richard Yung
Sénateur des Français établis hors de France


Publié le 13 février 2008