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BIP N° 100 - Coup de blues

Les Français broient du noir, c’est l’INSEE qui le dit : le moral des ménages est au plus bas depuis 2008 car ils sont inquiets pour leur pouvoir d’achat et préoccupés par le retour d’un chômage important. La cote du président est elle aussi au plus bas…

En plus les Français sont psychiquement fatigués. Ça c’est le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye qui nous l’expliquait en février dernier. Pour le président, on ne sait pas.

On pourrait ajouter la crainte de devoir attendre très longtemps pour toucher une maigre retraite et, surtout, l’angoisse des parents de laisser à leurs enfants un monde plus dur et plus dangereux que celui dont ils avaient hérité : 73% des Français pensent que les jeunes aujourd’hui auront moins de chances de réussir que leurs parents

Bon. C’est vrai que l’on aimerait bien débattre sereinement de ces vraies questions. Nuancer par exemple cette histoire de hauteur de moral car, quelquefois, c’est plus du ressenti que du réel, comme la météo. Ainsi, sur le pouvoir d’achat, 57% des Français estiment que leur situation financière personnelle est bonne mais sont inquiets pour celle de leur voisin et pour la leur dans l’avenir … Les médias en déduisent que, la crise aidant, nous sommes d’incorrigibles râleurs pessimistes et évacuent le sujet en nous infligeant des kilomètres d’éditos sur une « rumeur » qui n’intéresse qu’eux, le couple présidentiel et leurs amis.

Pourtant notre morosité, antérieure à la crise, révèle des craintes plus profondes qu’une simple grogne : le déclassement social, le chômage, l’exclusion, les périls climatiques, l’individualisme, etc. Ce pessimisme se traduit par un affaiblissement des dépenses de consommation car les ménages anticipent une dégradation de leur niveau de vie et de leur capacité à épargner. Cela fait désordre pour relancer l’activité économique en cette période dite de sortie de crise …

Au fond, le président et son gouvernement ne souhaitent pas débattre de ces questions. Alors, se prenant pour Eyjafjallajökull, ils nous enfument et essayent de récupérer les voix perdues du Front national : niqab, burka, polygamie, insécurité, nationalité, police, violence scolaire, justice, c’est reparti comme en 2007. Tout fait divers est motif à légiférer, menacer, stigmatiser, expulser voire déchoir de la nationalité française. Et comme pour le débat sur l’identité nationale, cela ne débouche sur rien si ce n’est sur la haine et le repli sur soi. Car, de même, que la justice ne peut se rendre dans l’émotion, la loi ne peut se faire dans l’agitation médiatique et populiste. Dès lors que les grandes questions sociétales deviennent des instruments de manipulation électorale aux mains de quelques politiciens qui jouent aux apprentis sorciers, il ne peut rien en sortir de bon. L’individualisme triomphe et avec lui l’abstention politique.

Tout cela laisse un amer goût de cendres : 3 Français sur 4 n’ont plus confiance en leurs hommes et femmes politiques. Les fortes participations au référendum de 2005 et à la présidentielle de 2007 n’ont pas été confirmées lors des derniers scrutins. Le retour de la crédibilité des politiques n’aura donc duré qu’un temps.

Il ne faut pas laisser s’installer cette défiance. Richard David Precht, jeune philosophe allemand, expliquait en septembre 2009 pourquoi l’Allemagne avait élu ses députés sans véritable débat. Selon lui la faute incombait aux citoyens que la prospérité avait rendu intéressés par un seul sujet : eux-mêmes. Il faisait ainsi allusion au despotisme démocratique décrit par Tocqueville, despotisme rendu possible par l’ « insertion d’un Etat tout puissant et bienveillant dans la vie des individus qui renoncent à leur autonomie individuelle au profit d’une égalité de traitement.»

L’idéologie au pouvoir n’est pas porteuse d’espoir, c’est le moins que l’on puisse dire : « L’un des effets du bon gouvernement est la perte de la vertu. (…) toute notre organisation sociale repose sur la consommation de produits dont nous n’avons pas besoin, que nous payons avec de l’argent que nous n’avons pas, et que nous achetons pour impressionner des gens que nous n’aimons pas. Si chacun ne consommait plus que ce dont il a réellement besoin, c’est tout le système qui s’effondrerait. Tel est le paradoxe de notre époque. Un vernis étouffant sur des couleurs chatoyantes. La malédiction du bon gouvernement. » conclut Richard David Precht. Ne peut-on imaginer un autre projet de société que celui-là ?

Alors, à quand un débat sur le « désespoir national », monsieur le Président ?

Claudine Lepage


Publié le 05 mai 2010